Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 28 juin 2016 à 17h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, Présidente de la Commission :

Évidemment, nous ne pouvions pas ne pas parler des résultats du référendum britannique cet après-midi dans notre commission, continuant ainsi le débat que nous venons d'avoir dans l'hémicycle. Ces résultats constituent un tournant majeur dans l'histoire de l'Union européenne.

J'ai eu l'occasion de rappeler en séance quelle est la réponse que doivent selon moi apporter les gouvernements européens, et le moteur franco-allemand en premier lieu, à cette décision du peuple britannique.

Nous devons désormais, à mon sens, nous engager sur la voie d'une Union plus sociale et plus démocratique si nous voulons regagner la confiance des peuples européens. Il faut recentrer le projet européen sur son objectif initial : reconstruire avec les États membres volontaires une Europe de la solidarité, des libertés, de la paix et du partage de la prospérité. Il faut remettre l'Europe au service d'un véritable projet politique, et de sa capacité à porter nos valeurs dans le monde.

Nous devons agir ensemble pour garantir la liberté de circulation, pour construire l'Union de l'énergie, pour lutter contre le dumping social et mener une véritable convergence fiscale. Sur beaucoup de ces sujets, la voix du Royaume-Uni a longtemps été un frein, et il faut saisir cette opportunité malheureuse pour avancer sur tous ces sujets.

Mais si nous voulons que l'Union soit ambitieuse, il faudra lui donner les moyens de cette ambition, à la fois financiers et juridiques. Il faudra également que nous repensions l'Europe de la défense, alors que la deuxième armée européenne va quitter l'Union.

Pour cela, il faudra probablement accepter une Europe différenciée, autour d'un noyau dur porteur d'une intégration renforcée.

Notre commission travaille déjà depuis longtemps sur l'ensemble de ces sujets.

Mais je voulais revenir dans cette communication sur l'analyse de ce référendum et sur les suites juridiques et institutionnelles qui vont lui être données au niveau de l'Union, car il me semble nécessaire de synthétiser tout ce qui a été dit ou écrit au cours des derniers jours. Je pense que nous nous posons tous aujourd'hui beaucoup de questions sur la suite des événements.

Ce vote laisse le Royaume-Uni plus désuni que jamais.

En effet, les résultats de ce référendum mettent en exergue des disparités régionales sans appel : l'Angleterre, région de loin la plus peuplée, a voté pour le « Leave » à 53,4 %, à l'exception de Londres qui s'est prononcé largement pour le maintien, avec 60 % des suffrages. Le Pays de Galles à également voté pour le Brexit, avec 52,5 % des suffrages. L'Écosse a massivement voté pour le « Remain » à 62 %, de même que l'Irlande du Nord avec 55,8 % des voix.

De tels résultats remettent potentiellement en cause la cohésion du Royaume-Uni.

En Irlande, le Sinn Féin a aussitôt plaidé pour la tenue d'un nouveau référendum portant sur l'unification des deux Irlande.

Comme elle l'avait laissé entendre pendant la campagne, la première ministre écossaise Nicola Sturgeon a déclaré qu'une telle divergence entre l'Écosse et le reste du Royaume-Uni justifie une nouvelle consultation du peuple écossais sur sa propre indépendance, et souhaite que l'Écosse reste dans l'Union européenne. Elle a également déclaré qu'Holyrood, le Parlement écossais, pourrait apposer son veto à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le Brexit rendra en effet nécessaire d'amender le « Scotland Act » de 1998. Même si la décision finale reviendra très probablement à Westminster in fine, cette menace n'est pas à prendre à la légère.

Ce vote ne montre pas seulement un État divisé géographiquement : il révèle également un clivage générationnel très fort, ainsi qu'un clivage ville-campagne.

Avant tout, pour moi, ce vote britannique est avant tout un cri des plus précaires, des plus démunis, des laissés pour compte de la mondialisation, auquel nous devons répondre.

La classe politique britannique est aujourd'hui en complète recomposition, et fait face à de nombreuses incertitudes. Les tourments du parti travailliste et du parti conservateur ne sont plus seulement une affaire de politique intérieure : l'évolution politique de Westminster et du 10, Downing Street joueront un rôle déterminant dans la manière dont les négociations seront menées.

Le Premier ministre David Cameron a annoncé sa démission dès vendredi matin. Le nom du nouveau Premier ministre devrait être connu au plus tard le deux septembre prochain, et non plus début octobre comme initialement annoncé. Boris Johnson est évidemment un candidat naturel pour ce poste, mais il est loin de faire l'unanimité au sein du parti conservateur. Le nom de Teresa May, ministre de l'intérieur depuis six ans, plutôt eurosceptique mais ayant fait campagne du côté du « Remain », est également évoqué.

Au Labour, vingt membres du gouvernement fantôme ont démissionné hier pour protester contre le leadership de Jérémy Corbyn.

Hier, lors de son intervention à la Chambre des communes, David Cameron n'a pas écarté l'idée d'élections générales anticipées, même s'il a rappelé que cette décision reviendrait au futur Premier ministre.

De nombreuses réunions et prises de position se sont succédé au niveau européen depuis vendredi matin. Le Conseil européen qui a lieu ce soir sera déterminant.

Ce qui est certain, c'est que David Cameron n'invoquera pas ce soir au Conseil européen l'article 50 du traité, et se limitera à expliquer le vote du peuple britannique. À la Chambre des communes hier, il a rappelé que la décision d'invoquer l'article 50, tout comme la position du Royaume-Uni lors des prochaines négociations, reviendrait au prochain Premier ministre. Tout paraît donc gelé d'ici septembre, et, du côté britannique, les responsables politiques semblent vouloir « prendre le temps ».

Pour le moment, la question du calendrier de cette notification fait encore débat. Alors que le président de la République française et les présidents de la Commission européenne et du Parlement européen ont appelé à aller vite, la Chancelière allemande a mis en garde contre « toute décision hâtive ». Peter Altmaier, ministre proche de la chancelière, a même déclaré dans un entretien à la presse régionale que « Londres devrait avoir la possibilité de réfléchir encore une fois aux conséquences d'une sortie ».

Vendredi, le président de la République a appelé lors de sa conférence de presse à « prendre lucidement conscience des insuffisances du fonctionnement de l'Europe et de la perte de confiance des peuples dans le projet qu'elle porte » et à ce que « l'Europe se concentre sur l'essentiel : la sécurité et la défense de notre continent pour protéger nos frontières et pour préserver la paix face aux menaces ; l'investissement pour la croissance et pour l'emploi pour mettre en oeuvre des politiques industrielles dans le domaine des nouvelles technologies et de la transition énergétique ; l'harmonisation fiscale et sociale pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties ; enfin le renforcement de la zone euro et de sa gouvernance démocratique. »

Peu après, la Chancelière allemande est intervenue en estimant que la décision britannique était « un coup porté au processus d'unification européenne ». Elle a souligné que les citoyens européens devaient pouvoir « ressentir concrètement en quoi l'UE contribue à améliorer leur vie » et que l'Union européenne devait agir dans les domaines où elle était susceptible d'apporter une plus-value pour régler des problèmes qui excédent les capacités des États pris individuellement, comme le chômage des jeunes et la sécurité.

Samedi, les ministres des affaires étrangères des six États fondateurs se sont réunis à Berlin pour apporter une première réponse. Ils ont reconnu l'existence de « plusieurs niveaux d'ambition entre les États membres pour ce qui est du projet d'intégration européenne » et la nécessité de « trouver de meilleurs moyens de traiter ces niveaux d'ambition différents afin de faire en sorte que l'Europe réponde mieux aux attentes de tous ses citoyens ». Ils ont également considéré qu'il était nécessaire de concentrer les « efforts communs sur les défis qui ne peuvent être traités qu'au moyen de réponses européennes communes, tout en laissant d'autres tâches au niveau national ou régional ».

Comme vous le savez, hier, une réunion a également eu lieu à Berlin entre Angela Merkel, Matteo Renzi et François Hollande. Dans leur déclaration commune, les trois chefs d'État et de Gouvernement insistent sur trois priorités : la sécurité intérieure et extérieure ; une économie forte et une cohésion sociale forte ; des programmes ambitieux pour la jeunesse.

Pour mieux comprendre ce que nous sommes en train de vivre, il me semble essentiel de souligner les divergences au sein de la Grande coalition allemande sur le sujet.

Ainsi, alors que la Chancelière a insisté sur la nécessité d'avancer à vingt-sept, le format choisi par le ministre des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier d'une réunion des ministres des États fondateurs samedi dernier est révélateur d'un autre point de vue.

Par ailleurs, Sigmar Gabriel, ministre allemand de l'économie et Martin Schultz, Président du Parlement européen, ont publié une tribune conjointe identifiant dix points pour relancer l'Union. Ils appellent ainsi à un « tournant économique », à un « pacte de croissance » et à une Europe porteuse de plus de justice sociale. Ils plaident également pour une mise en commun de la politique étrangère, pour une politique d'immigration commune, pour le renforcement de la sécurité européenne, et pour une protection effective des droits fondamentaux à l'heure du numérique.

Même au sein du parti de la Chancelière, les avis sont divisés : par exemple, mon homologue au Bundestag, Gunther Kirchbaum, s'est montré beaucoup moins « souple » qu'Angela Merkel vis-à-vis des Britanniques.

Le Parlement européen s'est réuni en session plénière extraordinaire ce matin. N'oublions pas qu'il aura un rôle important à jouer lors des négociations des accords avec le Royaume-Uni ! Il a adopté une proposition de résolution appelant notamment le Royaume-Uni à notifier son retrait le plus vite possible.

Lors des débats, Jean-Claude Juncker a encore une fois insisté sur cette nécessité d'éviter un trop long moment d'incertitude. Il a indiqué avoir interdit toute « négociation secrète » aux commissaires et aux directeurs généraux et a rappelé son mot d'ordre « no notification, no negociation ».

Quelles suites institutionnelles, enfin ?

Pour le moment, l'heure est avant tout à la décision politique. Nous avons quelques pistes sur les aspects juridiques, mais en réalité, tout reste encore à inventer, car l'article 50 du traité reste assez évasif.

Le Commissaire britannique, Jonathan Hill, a démissionné ce week-end. À la Chambre des communes hier, David Cameron a indiqué qu'il souhaitait que celui-ci soit remplacé, car le Royaume-Uni reste encore pour deux ans un membre à part entière de l'Union.

Le Conseil a déjà désigné son négociateur, un diplomate belge, Didier Seeuws. Le départ du Royaume-Uni durera a minima deux ans. Depuis le traité de Lisbonne, l'article 50 du traité sur l'Union européenne permet à un État de faire le choix, de manière unilatérale, de quitter l'UE. Le Royaume-Uni devra d'abord notifier au Conseil européen sa décision de retrait. Des négociations s'engageront ensuite entre l'Union européenne et le Royaume-Uni afin d'aboutir à un accord fixant les conditions de son retrait et ses relations futures avec l'Union. Cet accord doit être approuvé selon la procédure de l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union, autrement dit conclu par le Conseil statuant à la majorité qualifiée après approbation du Parlement européen.

Les représentants du Royaume-Uni ne pourront pas participer aux négociations internes au Conseil concernant cet accord de retrait. Si cet accord n'est pas conclu au bout de deux ans, ce qui est très probable, les traités devront cesser de s'appliquer au Royaume-Uni, sauf si un délai supplémentaire est autorisé par le Conseil européen, statuant à l'unanimité et en accord avec l'État membre concerné.

Durant la période nécessaire à la négociation, à la signature et à la ratification de l'accord de retrait entre l'Union et le Royaume-Uni, ce dernier restera membre à part entière de l'Union, et le droit européen continuera à s'appliquer de la même manière au Royaume-Uni.

Les ressortissants britanniques pourront continuer à exercer pleinement leurs droits au sein de toutes les institutions de l'Union, sauf en ce qui concerne les négociations de l'accord de retrait.

Sur quoi portera cet accord de retrait ? Ce contenu reste largement à définir. Une des principales questions que devra régler cet accord de retrait est celle de la situation des Britanniques dans l'Union, et des résidents de l'Union au Royaume-Uni. De nombreuses questions très concrètes devront être réglées : sur les modalités de la fin de la participation au budget de l'Union, sur le sort réservé aux fonctionnaires britanniques au sein des institutions, sur la répartition des bâtiments, sur la présidence britannique de l'Union prévue pour le deuxième semestre 2017…

L'article 50 précise que si l'État ayant exercé son droit de retrait souhaite à nouveau adhérer, sa demande doit être soumise à la procédure d'adhésion de droit commun.

Indépendamment de la procédure de retrait, le Royaume-Uni devra maintenant renégocier ses relations avec l'Union. L'article 50 du traité ne prévoit pas de statut d'État associé spécifique pour un État décidant de quitter l'Union. Les articles sur l'Union et les pays de son voisinage seront donc applicables pour définir les contours de cette nouvelle relation.

Quelles sont les différentes options envisagées pour le moment ? A priori, aucune qui permette au Royaume-Uni d'avoir un large accès à notre marché intérieur sans accepter en contrepartie la libre circulation des travailleurs et de payer une contribution à l'Union.

L'option « norvégienne » permettrait au Royaume-Uni, alors membre de l'Espace économique européen au même titre que la Norvège et que le Lichtenstein, d'avoir accès au marché unique et de jouir des quatre libertés fondamentales, sans pour autant s'engager dans les autres politiques communautaires. Dans ce cas, le Royaume-Uni serait soumis à un ensemble de règles affectant le marché intérieur, sans pouvoir participer aux prises de décision. Par ailleurs, il devrait continuer de contribuer au budget communautaire, en versant une somme quasiment équivalente à sa participation actuelle. La libre circulation des travailleurs s'appliquerait également.

Une deuxième option est l'option « suisse » : le Royaume-Uni conclurait avec l'Union une multitude d'accords bilatéraux sectoriels fondés sur le droit international classique. Sur la base de la contribution suisse, on estime que dans ce scénario le Royaume-Uni devrait verser une somme équivalente à 55 % de sa contribution actuelle. Londres ne serait pas lié par les décisions de la CJUE. En pratique, elle serait cependant contrainte d'appliquer plusieurs règlements et directives de l'Union, sans participer à leur élaboration.

L'option d'un accord de libre-échange ou d'association ad hoc négocié avec l'Union : ce scénario permettrait au Royaume-Uni de ne plus participer à certaines politiques communautaires, tout en ayant accès au marché communautaire, sans pouvoir de décision sur la réglementation. La contribution britannique serait alors à définir. Londres devrait négocier séparément des accords commerciaux avec les pays tiers et les organisations extérieures à l'Union.

Mais face à un cas totalement inédit, tout reste possible…

Je voulais faire le point sur les suites du « Brexit » à l'Assemblée nationale.

Dans notre commission, nous auditionnerons le 6 juillet prochain M. Harlem Désir, sur le Conseil européen d'aujourd'hui et de demain, et l'ambassadrice de France à Londres le 13 juillet prochain, en fin de matinée ou en début d'après-midi.

Nous prévoirons notamment pour la rentrée des déplacements à Londres et à Bruxelles.

Au niveau de l'Assemblée, la conférence des Présidents, qui s'est réunie ce mardi, a décidé, sur la proposition du Président de l'Assemblée nationale, la création d'une mission d'information sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Cette mission d'information, présidée par M. Claude Bartolone, doit accompagner le processus, la méthode et les modalités de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

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