Intervention de Gilles Savary

Réunion du 28 juin 2016 à 17h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Je suis personnellement très peiné de voir la Grande-Bretagne nous quitter. C'est le pays de notre liberté. On célébrera très prochainement le centième anniversaire la bataille de la Somme. Et pendant la Seconde guerre mondiale, les Anglais ont tenu seuls, pendant deux ans, alors que les nazis étaient prêts à pactiser avec eux après Dunkerque. Sans leur résistance héroïque, sans Churchill, l'histoire aurait sans doute été très différente. Pour moi c'est donc un moment de deuil. Je sais qu'il y a une anglophobie latente dans notre pays, mais je ne la partage pas. J'en veux d'autant plus à David Cameron d'avoir allumé tout seul cet incendie. Il l'a fait sous la pression de Nigel Farage : quelle leçon pour tous ceux qui seraient tentés de céder à la pression de nos propres populistes ! Il a voulu faire plus et mieux, et pour gagner les élections, il a promis à son peuple qui ne lui demandait rien un référendum sur la sortie, le donnant en gage à l'extrême droite. On a vu ce qu'il en est advenu : il est battu au bout du compte, et le seul vainqueur de ce référendum, c'est Farage, et tous les populistes d'Europe avec lui. David Cameron est une anti-figure de Winston Churchill, lui qui était capable de dépasser ses propres intérêts du moment pour la liberté du monde. Il a pris l'immense responsabilité d'allumer du petit bois sur la braise des populismes à une époque où les peuples sont angoissés, où la mondialisation bouleverse tout, où l'Europe est déclassée par rapport à la Chine et à d'autres grands émergents, où l'ultra-libéralisme exacerbe une violence sociale considérable. Toutes ces peurs sont évidemment latentes et conduisent à un réflexe de repli national.

Pourtant, cette remarquable construction européenne était sans doute le projet le plus exaltant que ma génération pouvait penser léguer aux générations futures. Remarquable, parce que c'était la paix ! Mes parents eux ont connu la guerre, et la différence entre la pire des barbaries et de la quiétude privilégiée dont nous avons bénéficié. Un bonheur absolu ! On se plaint toujours, car plus on est gâté et plus le désir est inassouvi. Et nos enfants ont eu la chance formidable de vivre dans une Europe dans laquelle les frontières étaient abolies, la chance de se connaître mieux, de voyager beaucoup moins cher, d'avoir des camarades à Barcelone et en Suède, bref d'appartenir à cette grande diversité culturelle qu'est la grande Europe. C'est aussi, et je souhaite insister là-dessus, le plus beau projet social que l'on ait connu ! Je n'ai jamais connu d'acte politique qui a fait progresser aussi vite le niveau de vie d'autant de citoyens en aussi peu de temps, que ce soit à l'Est, au Sud ou chez nous. L'Union a fait sortir beaucoup d'Européens de la misère et de la pauvreté. Les Britanniques ont un produit intérieur brut deux fois plus important que lorsqu'ils sont rentrés dans l'Union !

Mais c'est un sujet qu'on a traité sans les peuples. C'est le lot de toute coopérative : les intercommunalités en France sont en fait dans la même situation ! C'est extrêmement compliqué de faire de la démocratie directe quand on décide de rester indépendant. On n'a pas décidé de créer une Europe fédérale, donc qu'est-ce que l'on voit à la télévision ? Des conciliabules qui prennent un temps fou, entre les Allemands qui marchent sur les pieds des Français, qui négocient avec les Italiens, les Espagnols…

Les États membres ont pris la responsabilité de s'en tenir au marché, mais le marché ce n'est pas chaleureux ! Ce n'est pas convivial, ce n'est pas la chair des peuples. Nous avons négligé ce que la France avait pourtant demandé de longue date : de travailler sur la défense, sur la protection des frontières.

Il va falloir rebattre les cartes, mais l'équation va être difficile. Je ne vois pas aujourd'hui comment on pourrait faire adopter un nouveau traité par vingt-sept États membres sans que l'un d'entre eux dise non. Le faire ratifier sans les peuples poserait un problème. Mais un nouveau traité semble essentiel. Il va falloir beaucoup d'imagination et de solidarité de la part des États membres pour passer quelques paliers d'intégration. Il faut repenser le partage des compétences, ne pas hésiter à en reprendre certaines à l'Union dans des domaines qui sont jugés trop bureaucratiques, trop tatillons. Mais il faut aussi lui en demander de nouvelles, ce qui nous demandera un très grand effort de partage des responsabilités. Je pense en priorité à l'Europe de la défense, nécessaire au vu du désengagement américain. Cette Europe de la défense ne pourra pas marcher si nous considérons que la France restera la seule à décider de l'engagement des forces, sinon cela n'a aucune chance de marcher ! Il faut que nous arrivions à exorciser une certaine Europe franco-française et que les Allemands exorcisent une certaine Europe allemande. Il faut remettre la main sur une certaine partie de nos intérêts et mettre en place une certaine Europe qui nous protège.

L'Europe de la jeunesse est cruciale et essentielle. Il faut démultiplier l'effort d'échange entre les jeunes.

En matière migratoire, je ne suis personnellement pas très fier de ce qu'a fait l'Europe en matière d'accueil des réfugiés, mais ça ne dispense pas d'avoir conscience que nous sommes à la veille de flux migratoires constants vers nos pays. Il n'y a pratiquement que nous qui nous plaignions de notre condition, tous les autres pays du monde l'envient ! Il faut absolument que nous parvenions à avoir une politique d'asile identique dans tous les États membres, à renforcer Schengen, à défendre nos frontières, à accueillir sereinement ces réfugiés qui fuient la mort.

Pour revenir à la situation britannique, je pense personnellement qu'il faut que cela aille vite. Un scénario peut se présenter : les Britanniques peuvent vouloir faire ce qu'a fait la France en repassant par leur Parlement. Même si nous pourrions nous réjouir qu'ils choisissent finalement de rester, je pense que ce serait en fait délétère de refaire encore ce qu'ont fait la France et l'Irlande en trahissant un référendum populaire. Nous n'avons malheureusement pas d'autres solutions si nous voulons éviter d'alimenter les populismes.

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