Intervention de Gilles Savary

Réunion du 28 juin 2016 à 17h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Permettez-moi de commencer mon propos par une rapide description de ce que l'Europe a apporté au secteur aérien, qui, je le rappelle fut le premier à être libéralisé.

D'abord, une certification européenne des aéronefs, avec l'Agence Européenne de Sécurité Aérienne(AESA), qui remplace les vingt-huit - bientôt vingt-sept, hélas…- certifications nationales. C'est un avantage pour le secteur de la construction aéronautique, quelle que soit la nationalité du constructeur d'ailleurs, mais l'A380 en a particulièrement bénéficié.

Ensuite, une certaine rationalisation d'un Ciel européen en voie d'embolisation. L'idée visée au départ était un espace aérien unique avec pour objectif d'optimiser les flux de trafic aérien – ce qui permet de diminuer la consommation des avions – et d'augmenter l'efficacité des services de navigation en Europe. Les questions sociales et l'enjeu financier pour les États lié au contrôle des redevances de navigation aérienne ont conduit au choix d'un processus plus progressif, avec des blocs d'espaces aériens fonctionnels, les fameux FAB (Fonctionnal Air Space Block).

Enfin, le choix d'un modèle économique, avec un marché intérieur complètement ouvert, une séparation stricte entre les aéroports et les compagnies et la prise en compte de la notion de « juste rentabilité » des investissements aéroportuaires pour la détermination des redevances payées par ces dernières.

Mais le secteur du transport aérien européen est confronté à des mutations qui mettent à l'épreuve le modèle économique des compagnies nationales historiques et des grands hubs européens. Les compagnies traditionnelles sont prises en étau entre, d'une part, les compagnies à bas coûts qui ont révolutionné l'offre aérienne européenne sur le point à point, et, d'autre part, les compagnies du Golfe sur le marché long-courrier, grâce à des offres commerciales agressives et des prestations luxueuses, qui reposent sur des stratégies étatiques de diversification post-pétrole et un modèle économique intégré.

La stratégie dévoilée par la Commission en décembre dernier se veut une réponse, et vise à améliorer la compétitivité du secteur de l'aviation.

Le premier axe d'action est celui de la concurrence inéquitable externe. Le premier outil, ce sont des mandats de négociation d'accords globaux. La Commission en avait demandé six en décembre, le Conseil Transports en a décidé quatre le 7 juin dernier : avec l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE), la Turquie, le Qatar et les Émirats arabes unis. Mais se pose aujourd'hui la question de l'impact du Brexit sur cette tentative pourtant bienvenue de présenter un front européen uni sur la question des droits de trafic.

Quant à la proposition de révision des outils existants, elle est modeste, puisque s‘il est bien question d'une révision cette année du règlement sur la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales, la Commission envisage d'assouplir la notion de « contrôle effectif » d'une compagnie européenne par une compagnie étrangère par le biais de l'adoption de lignes directrices interprétatives du règlement 10082008, alors qu'il conviendrait, au contraire, de renforcer ces dernières. Il ne s'agit pas là d'une simple question théorique, au vu de la stratégie déployée par la compagnie Etihad, bien plus subtile que celle du choc frontal adoptée par Emirates. Ses prises de participation dans diverses compagnies aériennes, Air Berlin, Air Serbia et Alitalia par exemple, pourraient à terme donner lieu à une recomposition et une consolidation.

Le deuxième axe est celui de l'efficacité du marché intérieur, avec la rénovation de l'architecture européenne en matière de sécurité et de sûreté via l'extension des compétences de l'AESA à toute la chaîne de valeur du transport aérien.

C'est un signal fort de soutien à l'industrie européenne, établie ou naissante, avec une réglementation davantage fondée sur la performance avec une nouvelle approche fondée sur les risques, mais il faudra veiller à concilier le maintien du haut niveau de sécurité aérienne et l'exigence d'une réglementation agile.

Trois points en particulier me semblent importants dans les propositions faites par la Commission : la création du premier cadre juridique à l'échelle de l'Union pour garantir la sécurité d'utilisation des drones et leur intégration dans l'espace aérien, absolument nécessaire face à la multiplication d'incidents préoccupants, mais qui doit être proportionné et articulé avec les règles nationales et internationales existantes, pour ne pas brider une industrie innovante et évolutive ; la disponibilité des ressources budgétaires et des effectifs nécessaires à l'AESA, et pour cela, au minimum, les règles communautaires de plafonnement ne doivent s'appliquer que sur la partie du financement de l'agence qui relève du budget communautaire ; et, enfin, le maintien du partage actuel des responsabilités en matière de sûreté, même s'il convient, clairement, de faciliter les échanges d'informations entre États membres afin d'améliorer collectivement la capacité d'analyse des menaces, en particulier pour ce qui concerne la question des zones de survol.

Il y en a aussi un quatrième, « en creux » si je puis dire : il est pour le moins paradoxal de rénover l'architecture européenne de sécurité par l'extension des compétences de l'AESA, tout en tardant à rénover des conditions sociales dont l'impact négatif sur la compétitivité des compagnies historiques ainsi que les éléments de risque pour la sécurité ont été démontrés. Le simple état des lieux juridique proposé est très éloigné de la nécessaire coordination des régimes de sécurité sociale et du traitement des cas atypiques. Il y a deux priorités d'action : faire du lieu de travail réel du salarié la base d'affectation et de la base d'activité réelle de la compagnie le lieu d'établissement, avec les droits sociaux qui l'obligent, et lutter contre les artifices juridiques en matière de recrutement de personnels navigants.

Enfin, et j'en termine, Madame la Présidente, cette stratégie comporte un volet environnemental. Au lendemain de la COP 21, renforcer la base industrielle de l'Europe en matière aéronautique et permettre à l'Union européenne de continuer à jouer un rôle prééminent au niveau mondial dans ce secteur ne peut se concevoir sans accorder une haute priorité à la protection de l'environnement et aux enjeux climatiques. Mais plutôt qu'un leadership solitaire, l'Union européenne doit faire le choix de la coopération, tant en ce qui concerne l'extension des compétences de l'AESA en matière environnementale que pour la mise en place d'un système de régulation mondial des émissions de CO2.

Voilà les raisons qui m'ont conduit à vous présenter cette proposition de résolution, sur laquelle je vous propose l'amendement n° 1, rédactionnel, qui complète les visas, et l'amendement n° 2, « conjoncturel » celui-là, qui appelle à ce que les conséquences du résultat du référendum britannique du 23 juin soient tirées rapidement et cette stratégie réorientée si nécessaire.

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