Pour disposer d'un produit qui serait spécifiquement dédié à la fibromyalgie, il faudrait en avoir une idée plus précise. Dans l'état actuel de nos connaissances, il est difficile d'imaginer un produit spécifiquement créé pour ce syndrome complexe qui combine douleurs, troubles de l'humeur, troubles du sommeil et une grande fatigue.
Ce n'est pas une réponse strictement scientifique, mais c'est une réponse de bon sens, de la part d'un praticien des thérapeutiques et des médicaments. Je ne vois pas comment on pourrait développer un médicament spécifique pour la fibromyalgie sans explication physiopathologique, sinon univoque, du moins suffisamment solide. Les explications liées aux seuils de douleur font aujourd'hui l'objet de controverses scientifiques.
Ma réponse sera très proche en ce qui concerne les extensions d'AMM. La prégabaline ou les antidépresseurs peuvent être efficaces sur certaines expressions de la fibromyalgie. Pourtant, en raison du caractère polymorphique du syndrome, on aurait tort d'étendre l'indication à la fibromyalgie en tant que telle. Un antidépresseur efficace dans une forme de fibromyalgie où domine la dépression sera sans doute moins efficace dans une forme où domine la douleur. Il faut approfondir les recherches pour voir s'il existe une physiopathologie de la fibromyalgie. Lorsque nous comprendrons ses mécanismes, il nous sera plus facile d'identifier les produits qui pourraient répondre à la pathologie.
Il n'y a pas de réticence d'origine financière à utiliser des médicaments avec l'indication de fibromyalgie. Nous sommes face à un refus d'extension de l'indication au niveau de l'EMA, laquelle ne s'est pas intéressée à la question de la prise en charge. Je dispose des trois rapports des pays qui ont étudié ces dossiers et les ont présentés devant le CHMP. Ce dernier, qui n'a pas à tenir compte de préoccupations économiques, qui dépendent de chaque pays, ne s'est prononcé, à partir de données scientifiques, que sur le bénéfice-risque des produits proposés.
On pourrait parler d'une réticence d'origine financière si, après avoir accepté l'extension d'AMM pour l'indication de fibromyalgie, on refusait la prise en charge au niveau de la sécurité sociale, ou s'il y avait une discussion sur le prix. Mais on n'en est pas là puisqu'il n'y a pas d'AMM avec indication totale ou partielle sur la fibromyalgie.
Quoi qu'il en soit, en tant que directeur de l'ANSM et ancien thérapeute, je suis convaincu qu'il faut favoriser une approche globale et graduée de la fibromyalgie, qui soit la moins médicamenteuse possible. C'est d'ailleurs ce qui ressort du rapport d'orientation de la HAS. Je ne dis pas que, dans certaines situations, il n'est pas utile de recourir à un antalgique ou à des benzodiazépines pour aider le patient à dormir. Mais on se trouve face à un tableau assez complexe, avec des symptômes variés, qui réagissent mal à la thérapeutique. Dans le cas de la fibromyalgie, les antalgiques ont peu d'effet sur la douleur, de même que les antidépresseurs sur la dépression.
Cette situation favorise l'errance médicale. Comme les professionnels eux-mêmes sont déroutés, les patients ont tendance à changer de médecin et à multiplier les thérapeutiques, ce qui n'est pas souhaitable. Prendre des thérapeutiques médicamenteuses, par exemple des benzodiazépines, pendant des années, n'est pas une bonne idée, car cela ne sert à rien. Mais si vous avez une pathologie qui ne se traite pas, qui vous angoisse, qui vous rend la vie difficile, vous pouvez rentrer dans un cycle vicieux, d'autant plus que certains de ces produits, qui sont à visée psychotrope, peuvent entraîner des addictions. En fait, il y a beaucoup de danger à prendre ces médicaments, pour des bénéfices très accessoires. Comme l'indique le rapport d'orientation de la HAS, la prise en charge de la fibromyalgie doit être plutôt physique, psychothérapique, sociale, globale, etc. Une aide médicamenteuse peut parfois être utile, mais, en l'état actuel des connaissances et des pratiques, le médicament me paraît être la moins bonne des thérapeutiques connues.