Intervention de Fabrice Pilorgé

Réunion du 22 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Fabrice Pilorgé, chargé de mission « démocratie sanitaire et plaidoyer » de l'association AIDES, membre du Collectif interassociations sur la santé, CISS :

Appartenant à l'association AIDES qui lutte contre le sida et les hépatites, je parlerai pour le CISS à travers le prisme de cette expérience associative. J'évoquerai l'accès au nouveau traitement de l'hépatite C tout en m'appuyant aussi sur des constats de terrain. Nous nous sommes très tôt engagés sur la question : dès la fixation du prix de l'autorisation temporaire d'utilisation, nous nous sommes dit qu'il y aurait un gros problème de prix susceptible de conduire à un rationnement des traitements. Ce débat préoccupe non seulement notre association mais aussi Médecins du monde, le Comité médical pour les exilés (COMEDE), SOS Hépatites et les collectifs de lutte contre le virus de l'immuno-déficience humaine (VIH) et les hépatites virales.

Je dois dire, en tant qu'acteur de la lutte contre le sida, que je n'aurais jamais pensé devoir m'intéresser au prix des médicaments et que nous aurions préféré ne pas devoir ouvrir ce dossier. Nous pensions que les traitements nous permettant de vivre, de survivre ou de guérir devaient être pris en charge par la sécurité sociale et que la question de l'élaboration du prix relevait de la responsabilité de l'État. Force est de constater que, dans l'affaire du Sovaldi, la capacité de l'État à négocier n'a pas été démontrée.

Nous avons donc dû nous intéresser au marché du médicament et à sa financiarisation – non pas pour remettre en cause le fait que des gens gagnent de l'argent mais pour essayer de comprendre la logique à l'oeuvre. L'industrie pharmaceutique est l'une des industries phares en Europe, et encore plus aux États-Unis. Elle est concentrée entre quinze multinationales sur un marché globalisé dans le cadre duquel les accords commerciaux multilatéraux et la reconnaissance des brevets sont très importants. Ayant déjà dû nous y confronter dans les années 2000 pour l'accès des pays du Sud aux antirétroviraux, nous n'aurions jamais pensé devoir le faire dans les pays du Nord. L'industrie pharmaceutique reçoit aussi un fort soutien des politiques industrielles, dans un souci de compétitivité qui peut parfaitement s'entendre. C'est enfin l'un des secteurs industriels les plus rentables, enregistrant un taux de marge nette technologique d'environ 20 %, et même de 50 % dans les biotechnologies – notamment dans les petites structures qui développent les molécules avant leur rachat par de plus gros laboratoires à des fins d'évaluation et d'essais thérapeutiques de grande ampleur.

Nous avons dû nous intéresser à la gouvernance et aux mécanismes guidant ces entreprises du médicament. Il s'agit pour celles-ci – encore une fois, on ne peut leur en vouloir – d'assurer la croissance de leur chiffre d'affaires, de maintenir une marge bénéficiaire, de distribuer des dividendes, de garder la confiance de leurs actionnaires et de la bourse, de soutenir la recherche-développement mais aussi de procéder à des fusions-acquisitions. Nous avons vu dans le cas du Sovaldi que ce n'était pas du tout le laboratoire ayant finalement mis sur le marché la molécule qui l'avait développée au départ : c'est une petite entreprise de biotechnologies créée par le chercheur ayant travaillé sur le Sovaldi et par l'université américaine soutenant ces recherches.

Ces laboratoires cherchent évidemment à développer l'innovation grâce à la recherche et au développement interne et, surtout, grâce à la consolidation et à l'acquisition de start-up, de petites biotechs, de spin-off et de brevets académiques. Nous sommes donc passés en vingt ans d'un modèle dans lequel les chercheurs essayaient de créer de nouvelles molécules à un autre dans lequel les grosses entreprises pharmaceutiques qui développent et mettent sur le marché les molécules les rachètent lorsqu'elles sont convaincues que ces dernières vont arriver sur le marché.

Nous assistons, dans le domaine des molécules innovantes, à une déconnexion entre le prix et le coût. Comment fixe-t-on le prix du médicament sur un marché administré comme la France ? Fait-on le calcul de son coût en développement pour faire une marge raisonnable ? Non : c'est la valeur du médicament qui est en jeu. Dans une enquête, le Sénat américain a montré que le laboratoire Gilead, comme d'autres, avait essayé de déterminer quel prix les prescripteurs et les malades seraient prêts à payer pour obtenir une molécule innovante.

Nous voudrions que les questions de coûts de développement et d'aides à la recherche – crédits d'impôt, recherche publique – fassent partie des critères pris en compte par le CEPS.

Nous souhaitons par ailleurs que l'État utilise les outils qu'il a sa disposition pour négocier : la fixation unilatérale des prix et la licence obligatoire, autorisation accordée par les pouvoirs publics à un opérateur permettant d'utiliser une technologie brevetée sans autorisation du titulaire du droit mais contre rémunération de ce titulaire. Cette disposition n'a rien d'une spoliation : elle consiste, à des fins de santé publique, à suspendre un brevet tout en continuant à rémunérer son titulaire.

Nous plaidons également en faveur d'un renforcement du contrôle démocratique. La consultation des représentants des usagers ainsi que de ceux des associations et des professionnels de santé a progressé : la loi santé a en effet généreusement accordé la conclusion d'une convention entre le CEPS et les associations mais le cadre de cette convention est si large que nous ne sommes pas certains que cela nous permette de mieux travailler.

Nous souhaitions aussi créer les conditions d'un débat et d'un contrôle parlementaire régulier sur ces questions. De ce point de vue, nous ne pouvons que nous réjouir que vous vous en soyez saisis.

Se pose également la question de la transparence dans la négociation au sein du CEPS : aujourd'hui, les conventions conclues entre l'État et les laboratoires ne sont pas publiques. Le prix « facial » et les marges arrières ne sont pas connues. Nous avons des difficultés à accéder aux résultats des essais cliniques et aux coûts réels. Les crédits d'impôt, les aides et les investissements publics ne sont pas forcément dans le domaine public. Tous les systèmes de rachat de brevets et d'opérations financières sont eux aussi opaques. Nous souhaitons qu'il y ait plus de transparence au sein du CEPS, que vous soyez consultés et que vous effectuiez un contrôle auquel nous serions associés. En l'état, comment le CEPS peut-il négocier des prix s'il n'a même pas connaissance des prix réels pratiqués dans les autres pays ?

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