Intervention de Fabrice Pilorgé

Réunion du 22 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Fabrice Pilorgé, chargé de mission « démocratie sanitaire et plaidoyer » de l'association AIDES, membre du Collectif interassociations sur la santé, CISS :

On peut certes se féliciter – la France l'a beaucoup fait – qu'un certain nombre de personnes aient eu accès au traitement. Si notre pays avait un peu d'avance au départ, c'est notamment parce que des autorisations temporaires d'utilisation ont été délivrées sous la pression des malades pour l'accès à des traitements vitaux qui ont peut-être été dévoyées par la suite. Néanmoins, au cours du temps, parce que les critères n'ont pas été revus assez rapidement et que les négociations sur le prix n'ont pas été rouvertes, on a pris un retard que nous espérons voir rattrapé maintenant. La ministre a finalement entendu notre demande d'accès universel qui devrait être satisfaite en septembre. Je précise que la notion d'accès universel ne veut pas dire que l'on met tout le monde sous traitement : c'est dans la relation thérapeutique entre le médecin et le patient que la mise sous traitement peut être décidée, en fonction de divers indicateurs dont l'état de santé – mais pas seulement.

En revanche, on ne peut pas dire que nous ayons été entendus sur la question du prix. La loi relative à la santé aurait pu être l'occasion de réformer sérieusement le CEPS mais cela n'a pas été le cas. L'actuel président du CEPS a beau dire qu'il applique la loi qui lui est imposée, il a exercé d'autres fonctions à une époque où il aurait pu faire évoluer la législation. De toute évidence, les choses n'étaient pas assez mûres, contrairement à d'autres mesures intéressantes qui ont été votées dans la loi en question à l'initiative de la société civile. Il va donc falloir rouvrir le dossier. Lorsque, en octobre dernier, nous avons proposé avec des sénateurs que le CEPS puisse avoir connaissance du coût de ce traitement, la ministre s'est engagée à créer – après le premier rapport de Dominique Polton, qui devait également traiter de la question du coût mais qui a surtout traité de l'évaluation des produits de santé – un groupe de travail sur le sujet : il n'est toujours pas installé.

J'en viens à la licence obligatoire. Comme l'ont souligné mes collègues, qualifier celle-ci de bombe nucléaire évite d'avoir à se poser la question de son applicabilité. Malgré nos très nombreux contacts avec les différentes institutions et le cabinet de la ministre de la santé, force est de constater que le ministère n'a pas ouvert le dossier. Les seules réponses que nous ayons eues concernant les faiblesses juridiques du recours à la licence obligatoire ont été extrêmement vagues. Nous souhaitions avoir une discussion technique et juridique en mobilisant des experts avec lesquels nous travaillons sur la propriété intellectuelle : ce groupe de travail se fait toujours attendre. On n'a pas saisi l'occasion de la loi de santé pour faire évoluer le fonctionnement du CEPS, notamment pour en renforcer la transparence. On va donc effectivement avoir plus largement accès au Sovaldi et aux traitements de l'hépatite C. Reste encore à s'assurer que les gens y aient réellement accès, car donner la possibilité de prescrire ne veut pas dire que toutes les personnes atteintes auront fait l'objet d'un dépistage et y auront accès. En tout cas, on n'a pas avancé sur le prix du médicament, dont une association comme la mienne – qui fait de l'action de terrain pour inciter les gens à faire du dépistage, leur permettre de mieux se protéger et aider les personnes malades à faire valoir leurs droits – aurait aimé ne pas avoir à s'occuper. Nous avions bêtement imaginé que le prix ne poserait pas de problème…

Il a été dit que nous travaillions dans l'urgence. Or, nous avons au contraire anticipé les choses en ouvrant le débat sur ce dossier et en alertant les pouvoirs publics bien avant la fixation du prix du Sovaldi, au moment de la délivrance des autorisations temporaires d'utilisation, il y a plus de deux ans. Nous l'avons fait calmement et progressivement, en rencontrant l'ensemble des partenaires. Et contrairement à d'autres sujets, il a été difficile d'avancer avec l'État sur ce point.

Enfin, il est évident qu'il faut travailler avec l'Union européenne, s'agissant notamment des moyens de financer le développement de médicaments alternatifs par rapport à ceux qui existent actuellement sur le marché. On pourrait utiliser les crédits européens aujourd'hui consacrés à l'innovation thérapeutique pour distribuer des prix à l'innovation. On pourrait sans doute travailler sur la question des brevets et de la brevetabilité. Encore une fois, si le recours de Médecins du monde est recevable, cela veut dire que, bien que le Sovaldi soit intéressant sur le plan thérapeutique, ce n'est pas une invention. Mais ne nous concentrons pas uniquement sur l'Europe : le débat semble suffisamment mûr pour que de nombreuses mesures puissent être prises ici et maintenant, assez rapidement. Nous ne voudrions pas arriver à la fin de la législature sans avoir avancé sur ce dossier, sans quoi il faudrait tout recommencer au cours de la suivante.

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