Intervention de Magali Léo

Réunion du 22 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Magali Léo, chargée de mission pour l'assurance maladie au Collectif interassociatif sur la santé, CISS :

J'ai entendu parler tout à l'heure de « situation impossible », ce qui m'a fait bondir. Je ne crois pas que nous soyons aujourd'hui dans une impasse. Je suis même assez optimiste quant à la suite des événements. Il existe dans notre économie bien des secteurs moins déterminants sur le plan éthique, mais mieux régulés par la puissance publique que ne l'est la santé : je pense notamment au secteur de l'énergie. De mon point de vue, la régulation est avant tout une question de volonté du législateur et de la puissance publique en général.

Cette volonté doit, selon nous, porter sur plusieurs axes. Nous sommes très attachés à ce que la thématique du prix du médicament soit appréhendée à travers le prisme de l'accès aux soins – qui embrasse des questions bien plus larges. Il sera difficile d'actionner un levier sans actionner les autres. Je pense notamment aux pratiques médicales, aux modalités de financement des établissements de santé – puisque la tarification à l'activité (T2A) et l'intéressement des praticiens au volume des actes ont, en dépit de leurs vertus, des effets collatéraux nuisibles – et à l'application des mécanismes de fixation unilatérale du prix ou de licence d'office, qui existent aujourd'hui en droit positif. Sans doute faut-il toiletter les règles applicables à cette licence, mais on ne peut balayer le dispositif d'un revers de main en se contentant de dire que c'est l'arme thermonucléaire. L'Etat ne doit pas renoncer à des outils qui peuvent l'aider dans la conduite des négociations. Peut-être faudrait-il aussi explorer des stratégies supranationales, la France n'étant pas le seul pays confronté à ce problème d'accès aux soins. C'est un problème général, en Europe comme aux États-Unis où il a fait l'objet de déclarations dans le cadre de la campagne présidentielle – déclarations qui ont eu une incidence majeure sur le cours des biotechs. Il y a un problème mondial de financiarisation de l'économie du médicament, qui a des incidences sur tous les patients du monde entier.

Quant aux leviers d'amélioration des pratiques médicales – enjeu inséparable de celui du prix des médicaments selon le CISS –, il sont multiples.

La formation des médecins, que vous avez citée tout à l'heure, est essentielle : il existe aujourd'hui en France un certificat optionnel à Lyon-Est, qui porte sur la pertinence des actes complémentaires permettant d'étayer ou de corroborer un pré-diagnostic. Finalement, les médecins sont peu sensibilisés à la pertinence des soins qu'ils prescrivent. C'est une difficulté dont il faudrait tenir compte dans les programmes de formation des professionnels de santé.

L'assurance maladie est un autre levier, par le biais de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) qui permet de rémunérer les médecins à la performance en fonction, notamment, d'indicateurs de santé publique. Sans doute la ROSP sera-t-elle reconduite dans la prochaine convention médicale en cours de négociation. Ce levier est pour le moment un investissement coûteux puisque sont versés, en sus du paiement à l'acte, des compléments de rémunération à des médecins. Il conviendra, à terme, de faire le bilan de cette politique. Toujours est-il que l'assurance maladie, ayant fait le calcul, se rend compte que la cartographie est édifiante, les disparités dans les prescriptions et les pratiques médicales étant loin de s'expliquer par la seule épidémiologie régionale. Il est des disparités très coûteuses que l'on ne s'explique pas. Si l'assurance maladie a décidé d'investir massivement dans la ROSP, c'est probablement qu'elle pense faire un retour sur investissement dans les prochaines années et qu'il existe des marges d'amélioration de la pertinence de la pratique médicale.

Il faut, plus généralement, agir sur la rémunération des médecins. Actuellement, plus le temps de la rémunération est court, plus il y a de lignes sur la prescription médicale. Peut-être le patient influence-t-il le prescripteur ; toujours est-il que le prescripteur engage sa responsabilité professionnelle et morale. Il y a sans doute un problème culturel, et c'est là que doit intervenir le concept de codécision. Il est essentiel aujourd'hui que l'on s'achemine vers un travail de partenariat entre le prescripteur et son patient. Aujourd'hui, il nous paraît extravagant qu'un patient reparte sans prescription médicale, car il en attend une de son médecin, mais la prescription mérite d'être expliquée et de donner lieu à un accompagnement du patient, notamment en termes de prévention : cela prend du temps, qui doit être valorisé dans la rémunération du médecin.

Il existe d'autres procédés, tels que « choisir avec soin », qui permettent de tenir compte des consensus professionnels autour de la pertinence des soins. J'insiste aussi sur la transparence. On attend encore les atlas régionaux de la pertinence des soins – qui devraient être publiés incessamment sous peu – pour donner à voir à chacun – professionnels de santé, usagers, patients – les conséquences de la non-pertinence des soins en France. Le chiffre de 50 milliards d'euros annuels de soins non pertinents doit être porté à la connaissance de tous les acteurs. S'il faut évidemment conduire des actions fortes pour faire évoluer le prix du médicament, il existe aussi des économies, à réaliser dans le cadre des pratiques médicales, pour financer l'innovation accessible à tous.

Nous avons également été interpellés quant au rôle des représentants des usagers et à la démocratie sanitaire. Vous avez noté le nombre de mandats dont nous disposons dans différentes instances locales, régionales et nationales : nous en sommes très fiers. C'est la loi du 4 mars 2002 qui le permet, en vue d'assurer la défense des droits collectifs des usagers du système de santé. Le CISS ainsi que toutes les associations agréées ont pour mission de mandater des représentants pour porter la parole des usagers dans les instances de santé. C'est un gros travail, nécessitant un lourd investissement en termes de formation à destination des bénévoles associatifs qui donnent de leur temps et ne sont pas forcément des experts du médicament ni de l'assurance maladie. Une union nationale des associations agréées est en cours de création, grâce à laquelle nous espérons que cette mission sera soutenue et que le financement sera à la hauteur des enjeux. Elle permettra sans doute d'insuffler une nouvelle dynamique dans la représentation des usagers. Si je suis optimiste aujourd'hui, c'est parce que, depuis peu, les représentants d'usagers siègent à la commission de la transparence de la HAS.

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