Intervention de Pierre Chirac

Réunion du 22 juin 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Pierre Chirac, directeur de publication de la revue Prescrire, président de l'association Mieux prescrire :

Je suis d'accord avec le CISS pour favoriser le dialogue entre les professionnels et les patients et pour privilégier la meilleure stratégie de soins et la codécision. Le bon usage des moyens thérapeutiques disponibles est un enjeu important. On a parlé de problème culturel : beaucoup de prescripteurs pensent qu'ils prescrivent en raison d'une demande des patients, alors que ces derniers en jugent autrement lorsqu'on les interroge. Sans doute faut-il effectivement donner aux soignants les moyens d'avoir plus de temps à partager avec les patients. Sans doute faut-il aussi mettre en place un système incitatif pour avoir des consultations de déprescription car, au niveau international, dans les pays riches, l'enjeu est celui du « moins, c'est mieux ». On observe un mouvement, dans les plus grandes revues de médecine, visant à faire le tri et à éviter certains empilements qui représentent des milliards d'euros d'économies potentielles. Parmi les nombreuses innovations, certaines sont effectivement intéressantes, mais on les ajoute aux traitements antérieurs que l'on continue à prescrire alors qu'ils sont moins intéressants. C'est un gâchis incroyable.

La réalité perçue du prix est très documentée, notamment dans le rapport du Sénat américain. Si le sofosbuvir a suscité une réaction si forte, c'est qu'on était pour la première fois face à un prix de traitement de maladie rare pour une maladie qui ne l'est pas. Cela a posé problème dans tous les pays du monde. Il est un fait extrêmement bien documenté que la production de ce traitement coûte 120 euros. Quant aux coûts de recherche, ils n'en sont pas vraiment. L'action de Pharmasset a fait l'objet d'une spéculation financière quelques semaines avant que cette biotech ne soit rachetée par Gilead : on a vu les marchés financiers se ruer sur un médicament ne présentant plus aucun risque. Les actionnaires ont spéculé au moment où la mise sur le marché du traitement était évidente.

M. Viala nous a demandé des comparaisons avec les autres pays : c'est un phénomène mondial et tous les pays sont logés à la même enseigne. Mais nous avons la chance qu'aux États-Unis – pays où les prix sont totalement libres et où le libéralisme est quotidiennement appliqué – soit remise en cause pour la première fois la liberté du prix du médicament. Depuis 2011, les cancérologues y tirent la sonnette d'alarme. Il faut donc se lier à cet État, que ce soit dans le cadre du G7 ou ailleurs, pour trouver une solution au problème.

Pour que le dialogue entre patients et soignants porte tous ses fruits dans le choix de la meilleure stratégie – c'est-à-dire que soient choisis les traitements les plus bénéfiques et les mieux tolérés au prix le plus faible possible –, il convient de former et d'informer le public et les soignants.

Il est vrai, monsieur Lurton, que plusieurs ministères sont représentés au sein du CEPS. Mais qui a le pouvoir ? On le saura peut-être lorsque son fonctionnement sera transparent. Mais Christian Lajoux, l'ancien président du LEEM, raconte dans son livre que lors d'une réunion du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) à l'Hôtel de Marigny, M. Renaudin, alors président du CEPS, lui courait après en lui disant que le LEEM allait enfin pouvoir signer l'accord-cadre que proposait l'État, tant il était bénéfique à l'industrie pharmaceutique ! Le poids du ministère de l'industrie au sein du CEPS et de l'Élysée au sein du CSIS me semble donc surdéterminant.

Vous nous avez interrogés concernant la publicité et la visite médicale. Aujourd'hui, le marché comporte beaucoup de médicaments prescrits par des spécialistes – hospitaliers en particulier – ce qui limite la marge de manoeuvre des généralistes qui ont ensuite du mal à corriger le tir si nécessaire et à modifier les prescriptions, étant donné l'aura des spécialistes. Je remarque qu'il a été impossible de réglementer la visite médicale à l'hôpital dans la loi qu'a fait voter Xavier Bertrand. Il ne faut donc pas s'étonner qu'à la sortie des hôpitaux, les prescriptions de médicaments soient extrêmement chères.

Au niveau européen, on assiste plutôt à une fuite en avant qu'à l'esquisse de solutions. Il ne faut malheureusement pas espérer de l'Union européenne qu'elle renforce les exigences applicables aux autorisations de mise sur le marché puisqu'elle va dans le sens inverse au travers de son projet d'adaptive pathways, c'est-à-dire d'AMM fractionnées, ayant pour objet d'autoriser les médicaments à la fin de la phase 2 des essais cliniques – au terme de laquelle on ne sait pas grand chose. On peut être certain que, dans ces conditions, les prix resteront très élevés.

Faudrait-il procéder à une évaluation des bénéfices cliniques au niveau européen ? On assiste aussi à l'émergence d'un mouvement favorable à ce que l'évaluation clinique des médicaments se fasse parallèlement à une évaluation de l'ASMR du type de celle que fait la HAS. Ce n'est pas une bonne idée selon nous car aujourd'hui, les acteurs forts au niveau européen ne sont pas les agences du médicament mais les agences d'évaluation des technologies de santé. Cela risquerait donc d'entraîner un nivellement vers le bas.

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