Intervention de Christiane Lambert

Réunion du 30 juin 2016 à 10h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Christiane Lambert, première vice-présidente de la FNSEA :

Après avoir élevé des bovins et des porcs dans le Cantal, j'élève désormais des porcs dans une exploitation familiale du Maine-et-Loire ; je suis donc une passionnée de l'élevage, que je connais parfaitement. Je vous remercie de l'invitation que vous nous avez faite de témoigner en tant qu'éleveurs dans le cadre de vos travaux. J'ai lu les comptes rendus de différentes auditions que vous avez tenues, et je salue la qualité de votre travail qui, nous l'espérons, permettra de conduire un débat posé et dépassionné sur un sujet complexe que certains événements ravivent régulièrement, comme ce fut le cas des images diffusées hier, que nous avons tous vues et qui sont insoutenables, notamment parce qu'elles sont récurrentes. En revanche, s'il faut dénoncer ces gestes inadmissibles, le fait d'entrer dans les abattoirs de cette façon et avec un équipement vidéo pose question. De même, les propos tenus par le préfet hier soir, selon lesquels ces images pourraient être obsolètes, nous interrogent : j'espère que toute la lumière sera faite sur cet événement si les actes rapportés sont avérés.

La réglementation encadrant les conditions d'abattage a été très souvent rappelée ; je n'y reviens donc pas. La France et l'Europe sont sans doute les lieux où ces normes sont les mieux respectées au monde. Les pouvoirs publics français en sont les garants et doivent le rester. Nous comptons beaucoup sur la présence d'inspecteurs vétérinaires pour contrôler le bon déroulement des opérations dans les abattoirs et s'assurer que le passage de la vie à la mort des animaux se fait dans les meilleures conditions et sans souffrance. En tant qu'éleveurs, nous sommes attachés au bon traitement des animaux : nous les élevons avec soin et professionnalisme, et nous avons peu à peu intégré les nouvelles demandes sociétales de bien-être des animaux et de connaissance de leur comportement. Nombreux sont les agriculteurs qui se forment pour être plus à même d'appréhender ces questions : plus de 4 500 agriculteurs se sont formés l'an dernier pour mieux cerner la sociologie et le comportement des animaux, et pour leur offrir des bâtiments, une alimentation et des soins adaptés. Nous savons aussi que les conditions économiques sont plus ou moins favorables. En raison de la crise actuelle de l'élevage, les éleveurs sont plus inquiets, plus stressés. Or, ce sujet crée un stress supplémentaire lorsqu'il est abordé de manière critique et stigmatisante.

Nous sommes donc au travail. La FNSEA a coordonné voici un an les travaux de vingt-six organisations d'élevage – instituts techniques, interprofession, associations d'élevage, de vétérinaires et d'anthropologues qui travaillent autour de l'élevage – pour bien montrer que de la naissance au départ pour l'abattoir et à l'abattoir même, nous sommes attachés aux bonnes pratiques d'élevage, de transport et d'abattage des animaux. Je tiens le document issu de ces travaux à votre disposition.

En tant que responsables d'une organisation syndicale, nous sommes attachés à accompagner les agriculteurs pour tenir compte de ces nouvelles perceptions et pour qu'un travail de professionnalisation et de prise en compte de ces sujets soit accompli. Cela suppose d'informer, de conseiller, de former mais aussi de déployer des chartes de bonnes pratiques d'élevage auprès de tous les agriculteurs, et de mettre en oeuvre des guides de bonnes pratiques et d'hygiène – que nous impose la réglementation européenne mais qui trouvent aussi des déclinaisons intéressantes lorsque nous les accompagnons dans les élevages. Aujourd'hui, 90 % des éleveurs – en produits laitiers et en viande – ont signé la charte des bonnes pratiques de l'élevage, et ce pourcentage est très légèrement inférieur en production ovine. Autrement dit, les élevages se caractérisent par un fort niveau de professionnalisme.

Cependant, nous devons aussi expliquer notre métier, faire savoir comment il fonctionne. La société est de plus en plus urbaine et le secteur des services prend une part croissante ; en clair, on s'éloigne du vivant, de l'animal, de son comportement, de ses attentes, parfois aussi de ses excès – un coup de sabot de cheval ne fait pas de bien, un coup de pied de vache ou un coup de dent de cochon pas davantage. Les animaux sont vivants et parfois imprévisibles. Nous devons expliquer que nous travaillons avec du vivant et que les animaux ne se ressemblent pas. C'est pour cette raison que nous avons pris conscience que la sensibilité des animaux, sur lequel les parlementaires ont statué l'an dernier, était un vrai sujet : nous savons que les animaux sont des êtres sensibles, car il y a toujours une vache qui est leader du troupeau, toujours un animal plus impétueux ou nerveux que les autres. Nous connaissons cette sensibilité.

Nous sommes les premières sentinelles auprès des animaux, puisque nous vivons avec eux et auprès d'eux au quotidien, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous les accompagnons dans les phases les plus délicates que sont le vêlage, le changement de pâture ou de bâtiment. Nous avons à coeur d'expliquer notre métier davantage. Il est vrai que certains types d'élevage posent aujourd'hui plus de questions. Les caricatures existent : grands élevages égalent souffrance, lit-on parfois. Or, le bien-être animal est aussi appréhendé dans les grands élevages, et les règles des directives européennes – qu'il s'agisse de la surface, de la ventilation, de l'éclairage, de la luminosité ou du confort – sont prises en compte afin de donner aux animaux les meilleures conditions d'élevage et de leur permettre d'exprimer leur comportement. Les agriculteurs respectent notamment la directive européenne sur le bien-être de 2001, toilettée en 2008 ; et en cas de non-respect, des sanctions financières s'appliquent en vertu de la conditionnalité de la politique agricole commune (PAC).

De plus, nous sommes très durs vis-à-vis des mauvaises pratiques d'élevage, de transport et d'abattage. Ces pratiques sont aujourd'hui médiatisées. Permettez-moi une parenthèse à ce sujet : nous savons qu'un certain nombre d'associations de protection des animaux les médiatisent dans un réel souci de protection des animaux ; d'autres associations – c'est le cas de L214 – expliquent clairement sur leur site que leur objectif est la non-consommation de viande et la libération des animaux ; il y a là un idéal masqué, puisque cette association s'attache à diffuser des images choquantes dans le seul but de dissuader de consommer de la viande – c'est en tout cas ainsi qu'elle l'exprime. Nous sommes très attentifs à ce durcissement de ton de la part de certaines associations. En revanche, nous avons à coeur de dialoguer avec certaines autres pour expliquer quelle est la nouvelle attente et pourquoi elle se manifeste. Nous travaillons avec d'autres organisations comme CIWF, qui visite des élevages et contribue à écrire des cahiers des charges, et qui est intervenue devant la FNSEA. Nous travaillons également avec l'association Welfarm, qui visite aussi des exploitations et avec laquelle nous avons projeté plusieurs réunions de travail thématiques pour entrer dans le détail de ce que l'on peut faire ou pas dans l'intérêt des animaux. En clair, nous faisons un net distinguo entre les objectifs poursuivis par certaines associations et par d'autres.

Nous formons également en matière de transport et sommes très attachés à ce que nos outils économiques, lorsqu'ils sont opératifs, s'appuient sur des transporteurs consciencieux. Nous le constatons lors de l'embarquement des animaux. Lors du transport de l'élevage à l'abattoir, les animaux passent par des lieux identiques : au quai d'embarquement dans l'exploitation agricole correspond la bouverie à l'abattoir. Nous avons rénové nos quais d'embarquement, qui sont désormais plus lumineux ; les animaux sont brumisés, ont accès à l'eau, ont de la place pour se coucher ; les bâtiments ont été dotés d'un certain confort. Pour les bovins, des couloirs de contention ont été aménagés pour éviter tout risque, car c'est quand les hommes sont stressés par le comportement des animaux que de mauvais gestes peuvent être commis. Il faut donc prévoir les meilleures conditions de stockage des animaux dans ces endroits, pour que leur départ dans les camions et leur arrivée dans les couloirs ou les bouveries des abattoirs suscitent chez eux le moins de stress possible.

Nous savons que le passage de la vie à la mort est particulier. Les éleveurs ont tous donné la mort, à un moment ou à un autre. J'élève des porcs : nous en tuons à la ferme – c'est autorisé, et nous faisons de très bonnes charcuteries. Oui, nous aimons nos animaux ; l'instant du coup de couteau est donc très particulier. Nous comprenons que ce geste qui, en abattoir, est répétitif, puisse changer la façon d'appréhender l'animal et la relation que l'on a avec lui.

C'est pourquoi nous soutenons la proposition de M. Le Foll d'étendre la présence d'un référent protection animale aux établissements de petite taille ; c'est nécessaire. Dans notre profession, nous avons mis du temps à intégrer ces problématiques de bien-être animal, et nous comprenons qu'il faille du temps pour l'intégrer dans les structures d'abattage, où les salariés sont parfois insuffisamment reconnus et valorisés, non seulement en termes de salaire mais aussi parce que leur métier est mal connu et parfois décrié. J'ajoute que les images actuellement diffusées créent un énorme trouble dans le monde des salariés d'abattoirs, qui jugent leur profession trop stigmatisée en raison de quelques mauvaises pratiques qui sont minoritaires, mais que certains voudraient faire passer pour des pratiques généralisées.

Plusieurs sujets sont en débat. Faut-il ou non installer des caméras dans les abattoirs ? Qu'en est-il de la formation, ou encore de l'abattage rituel ? Sur le premier sujet, nous ne pensons pas qu'installer des caméras soit la solution magique, car les salariés auront du mal à l'appréhender. En revanche, l'installation ponctuelle de caméras aux endroits les plus sensibles peut permettre d'encadrer les choses pour le référent vétérinaire. Autrement dit, notre avis est plutôt réservé, voire défavorable par rapport aux salariés, et parce qu'il sera très difficile d'exploiter des milliers d'heures d'images. On peut cependant envisager l'utilisation d'images à des fins de formation : les éleveurs savent par exemple qu'il est préférable, pour expliquer le parage d'un pied ou l'écornage d'un bovin, de faire référence à des images filmées en situation réelle afin de montrer les bons et mauvais gestes dans un souci d'amélioration continue. Cela étant, le respect des salariés doit être total – la question demeure délicate.

J'en viens aux contrôles et à la tentative de généralisation des mauvaises images. M. Le Foll a émis l'idée intéressante de faire visiter tous les abattoirs en avril, et l'analyse des résultats a été utile. L'alternative entre small is beautiful et big is bad n'existe pas : les choses sont plus compliquées. La taille n'est pas toujours en cause : c'est plutôt le management et l'état d'esprit de l'abattoir qui importe, ainsi que le dialogue et l'échange. À ce titre, peut-être pourrions-nous envisager des groupes mixtes de travail et de dialogue associant des éleveurs et des salariés d'abattoirs, et pourquoi pas des associations de protection animale, dans un cadre bien précis et de façon volontaire, afin de permettre une plus grande fluidité des échanges plutôt que la pérennisation de conflits.

Un mot, pour conclure, sur l'abattage rituel et sur les types d'abattoirs. Le sujet de l'abattage rituel est très délicat et oppose deux visions : celle des responsables du culte et celle des associations de protection des animaux. Nous, éleveurs, avons un avis en tant que citoyens mais, dans un pays laïque, le débat et le dialogue ont lieu entre les associations de protection animale et les responsables du culte. Étant moi-même pratiquante et très attachée à une religion, je suis très respectueuse des cultes : le dialogue est nécessaire et doit être intensif, pour qu'il débouche sur des solutions. Certains pays comme l'Allemagne et le Danemark ont avancé ces derniers temps s'agissant d'un étourdissement préalable à la saignée. Je sais que ces sujets sont délicats vis-à-vis des cultes en France, et je respecte ce dialogue. La FNSEA en tant que telle n'y participe pas directement, mais elle le suit, est questionnée et a son avis sur le sujet.

Toutefois, nous pensons que la montée en puissance de la préoccupation relative au bien-être animal arrive pratiquement à égalité d'enjeu avec les aspects sanitaires et hygiéniques, et nous devons envisager les questions qui se posent en fonction d'une sociologie complètement renouvelée, où ce sujet est devenu particulièrement important. J'appelle chacun à la responsabilité : ce n'est pas en stigmatisant, comme peuvent le faire certaines associations, que l'on amènera à un dialogue apaisé. Il faut que chaque partie prenante fasse un pas vers les autres. Le fait que l'Allemagne et le Danemark aient réussi à trouver un compromis me rend optimiste quant à la capacité que nous aurons en France à en trouver un à notre tour. Je note quand même que la Pologne, qui avait fait ce choix, a baissé pavillon quelques mois plus tard en raison de la perte de marchés, parce qu'il y a naturellement derrière cette question des enjeux économiques.

Sans doute aborderons-nous plus tard la question des sites d'abattage itinérants et des abattoirs à la ferme, puisque je constate qu'elle a souvent été évoquée lors des autres auditions.

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