Intervention de Laurent Pinatel

Réunion du 30 juin 2016 à 10h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne :

Il nous semble important, à la Confédération paysanne, que cette commission d'enquête ait lieu, et nous suivons attentivement vos travaux, que nous devinons particulièrement lourds et astreignants pour vous. L'approche consistant à creuser le sujet et à écouter l'ensemble des acteurs qui ont des choses à dire sur la filière me semble intéressante, car elle vous permet de ne pas vous appuyer sur un postulat orienté d'emblée et d'adopter une approche très large avant de vous faire un avis et de prendre des décisions. Nous saluons donc l'organisation de vos travaux.

S'agissant de l'état des lieux, on ne peut pas nier, au vu de certaines vidéos, qu'il existe des problèmes dans certains abattoirs. On ne peut pas non plus nier que ces problèmes sont aussi mis en scène et montés en épingle, et que ces vidéos de L214 visent aussi à généraliser un mouvement abolitionniste et, comme l'a dit Christiane Lambert, à faire disparaître l'élevage. Nous condamnons fermement cette volonté qu'a l'association L214 de s'enfermer dans une idéologie complètement déconnectée de ce que peut être la réalité des éleveurs et des modes de consommation, même si elle signale des points sur lesquels il faut se pencher.

Il nous semble important de rappeler que l'abattoir n'est pas qu'un maillon de la filière viande. Il faut aborder cette filière comme un tout, depuis la naissance de l'animal chez l'éleveur jusqu'à son arrivée sur les étals des bouchers et des grandes surfaces. Il faut considérer l'ensemble de ces filières non pas de manière segmentée, mais comme un ensemble unique, et c'est sur cet ensemble qu'il faut agir pour que le bien-être animal soit respecté et que l'objectif final d'obtenir un produit de qualité soit atteint. En ce sens, l'abattoir n'est pas un outil de profit quelconque, qui serait placé quelque part au milieu d'une filière, entre le producteur et le distributeur.

Certaines politiques visent aujourd'hui à améliorer la rentabilité, à travailler avec moins de personnels dans les abattoirs, à accélérer les cadences dans certains abattoirs – on entend parler de huit à neuf cents porcs abattus à l'heure… Je n'ose imaginer ce qu'est la vie de la personne qui effectue cet acte. On assiste en fait à une dérive de l'industrialisation de l'abattage, dans un contexte global de dérive de l'industrialisation de l'agriculture. De ce fait, une certaine logique prévaut, qui vise à accélérer les quantités produites dans les fermes et traitées dans les abattoirs sans se soucier de la nature même de l'être vivant qu'est l'animal, des éleveurs et des salariés d'abattoirs. Dans certains élevages de très grande taille, le lien entre l'éleveur et l'animal a tendance à disparaître. On peut certes trouver des artifices pour améliorer le bien-être de l'animal, mais rien ne remplacera jamais le lien fort qui existe entre l'animal et l'éleveur.

Dans ce scandale des abattoirs, il y a tout de même des victimes nettement identifiées : ce sont les éleveurs, qui, tout au long de l'acte de production, prennent soin de leurs animaux, respectent leur bien-être, les aiment et les accompagnent, jusqu'au moment où ils montent dans le camion pour partir à l'abattoir ; ce sont aussi les salariés des abattoirs, qui subissent un système d'extrême rentabilité et qui, aujourd'hui, sont montrés du doigt et livrés à la vindicte populaire parce que certaines choses fonctionnent mal.

Nous devons réfléchir à tout cela et nous demander si les pouvoirs publics ne portent pas une part de responsabilité dans cette dérive. Lors d'une de mes précédentes auditions dans le cadre de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, présentée par M. Le Foll, la Confédération paysanne avait souligné la faiblesse du volet économique de ce projet de loi. Nous avons en effet un problème avec les abattoirs : y en a-t-il encore assez dans notre pays pour permettre un abattage correct et limiter les temps de transport des animaux ? Tôt ou tard, la disparition des abattoirs finira par provoquer un scandale en matière de temps de transport des animaux ; ayons cela à l'esprit.

Il nous semble que l'abattoir doit être un outil de service public, au fond. La privatisation des abattoirs entraîne les dérives de l'augmentation des cadences et de la diminution des moyens alloués aux personnes qui effectuent l'acte d'abattage. Les vidéos diffusées hier montrent par exemple des problèmes manifestes de fonctionnement du matériel, qui s'expliquent par un manque de moyens. Ce n'est pas que l'employé ne sait pas se servir de l'outil ; c'est tout simplement l'outil qui ne fonctionne pas. Surtout, ce souci permanent de rentabilité s'inscrit dans un contexte économique très libéral où il faut produire toujours plus. À l'heure où l'État français envisage la négociation au niveau européen de traités de libre-échange, notamment avec le Canada et les États-Unis, pour lesquels le bien-être animal n'est rien, à quoi servira votre commission ? Si nous nous imposons des entraves – je caricature à dessein – en matière de bien-être animal, pourra-t-on faire du commerce avec ces grandes puissances économiques et les concurrencer ? Nous pensons naturellement que nous devons affirmer notre forte identité agricole, réaffirmer que le bien-être animal est important et que, dans ce cadre, on ne saurait continuer d'aller buter sur le mur du libéralisme et de l'échange à tout prix.

Une fois que l'on a établi ce constat et identifié les lieux dans lesquels il faut agir, il faut chercher des solutions. Il nous semble que certaines d'entre elles relèvent de l'organisation même des abattoirs, qu'il s'agisse de la diminution des cadences ou, surtout, de la formation. Le métier n'est pas très intéressant : outre ma formation agricole, j'ai aussi une formation aux métiers de la viande, notamment les métiers d'abattage, et pour avoir visité beaucoup d'abattoirs, je sais que ce n'est vraiment pas un travail épanouissant – et il l'est d'autant moins qu'il est soumis à des cadences infernales. Il faut déployer un effort de sensibilisation auprès des employés des abattoirs pour les responsabiliser en tant qu'acteurs à part entière de la filière, au même titre que les éleveurs et que les bouchers. Inévitablement, il faut aussi réduire les cadences dans certains abattoirs et définir un seuil à partir duquel un homme ne peut plus travailler correctement et produire l'acte dans de bonnes conditions.

S'agissant de l'amélioration du fonctionnement des abattoirs, nous nous interrogeons également sur les fonds alloués à la rénovation des abattoirs, notamment par FranceAgriMer. Le ticket d'entrée est fixé à 1 million d'euros ; aucun investissement inférieur à ce montant n'est subventionné. Cela nous semble préjudiciable aux petits abattoirs ; sans doute faudrait-il réexaminer cette question.

Le nombre d'abattoirs pose également problème, car il est en chute libre. Or la concentration aggrave forcément les difficultés à réaliser un travail correct. Il nous semble qu'il faut recréer des abattoirs de proximité auprès des lieux de production, ce qui permettrait de diminuer les temps de transport des animaux et d'améliorer leur bien-être, même si la filière, comme l'a dit Christiane Lambert, a déjà réalisé un énorme travail sur le bien-être animal au moment du chargement, du transport et du déchargement. Il nous semble toutefois primordial de recréer des abattoirs et des unités économiques de proximité – en somme, de relocaliser l'acte d'abattage, ce qui permettrait en outre de créer localement des emplois dans certaines régions mises à mal par la crise.

De même, nous sommes très attachés à l'amélioration du paquet « hygiène » européen, pour qu'il soit effectivement possible de pratiquer l'abattage à la ferme grâce à l'abattage mobile. La Confédération paysanne travaille sur le sujet depuis de nombreuses années ; un groupe d'éleveurs y a travaillé avec des collègues d'autres pays, en organisant notamment des visites et des échanges d'expérience avec des éleveurs autrichiens qui pratiquent l'abattage mobile à la ferme, qui diminue le stress de l'animal et qui permet à l'éleveur d'accompagner son animal jusqu'au bout et d'améliorer les conditions d'abattage. C'est une piste à expérimenter, même si nous ne prétendons pas qu'il faille la généraliser. Il faut étudier la diversité des modes d'abattage et ne pas s'interdire les expérimentations qui fonctionnent ailleurs pour améliorer les pratiques d'abattage dans notre pays.

Parmi les propositions qui semblent émerger des différentes auditions que vous avez tenues, nous réaffirmons notre opposition à la vidéosurveillance, parce qu'elle génère un stress supplémentaire pour les salariés. Le fait de surveiller des employés pour vérifier comment ils travaillent ne sert en fait qu'à se donner bonne conscience, et crée une pression supplémentaire. Les images d'hier le montrent : la vidéosurveillance n'aurait pas permis que les couteaux soient mieux aiguisés et que les animaux correctement anesthésiés au préalable. Ce n'est pas un problème de vidéosurveillance, mais de matériel. En revanche, nous sommes d'accord avec la FNSEA concernant l'utilisation de vidéos dans les supports pédagogiques pour former les tueurs et les employés de la filière viande.

Pour ce qui est de la présence systématique d'un référent protection animale dans les abattoirs, nous n'y sommes ni hostiles ni vraiment favorables, car ce ne sera pas la solution au problème. Il nous semble qu'il faut employer davantage de personnes dans les abattoirs et qu'elles soient toutes formées, plutôt que d'ajouter un surveillant d'abattoir. Plutôt que d'employer trois personnes à l'acte d'abattage et une à le surveiller, peut-être vaut-il mieux employer quatre personnes bien formées à la tuerie.

Il faudra effectivement davantage de transparences et de concertation dans le fonctionnement des abattoirs, car les éleveurs ont leur mot à dire en la matière. Il est utile, en effet, qu'ils puissent échanger leur expertise avec les abattoirs, notamment sur les parcs de contention et sur l'amenée. Il faut donc constituer des groupes de dialogue civil autour des abattoirs. Comme la FNSEA, la Confédération paysanne travaille avec des associations telles que CIWF : c'est le signe que certains militants du bien-être animal ont réellement la volonté d'être les interlocuteurs de l'ensemble des professionnels agricoles. C'est avec ces gens-là que l'on pourra travailler en toute objectivité pour trouver des pistes d'amélioration entre les éleveurs et les abattoirs.

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