Intervention de Bertrand Venteau

Réunion du 30 juin 2016 à 10h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Bertrand Venteau, président de la Coordination rurale de la Haute-Vienne :

Je vous remercie de nous avoir invités pour parler d'un sujet aussi polémique. Je n'emploierai pas le même ton que mes collègues, et je commencerai d'emblée en disant ceci : l'homme est un omnivore à tendance carnivore. À voir la manipulation de la communication que font les végans, on pourrait en douter ; c'est pourtant la réalité.

S'agissant du bien-être animal, clarifions les choses : lorsqu'un animal est tué à l'abattoir ou à la ferme dans de mauvaises conditions, alors la viande n'est pas bonne. On peut remuer les images de L214 et autres, mais toute la filière viande sait bien qu'un animal mal élevé et abattu dans de mauvaises conditions ne produit pas de la bonne viande – au point qu'il faut quasiment la jeter, tellement elle n'est pas facile à travailler. Revenons donc aux fondamentaux.

Que cette commission ait été constituée, soit ; mais même si la loi a évolué concernant le bien-être animal et la sensibilité des êtres, il faut tout de même établir certaines différences. Le modèle social actuel est globalement chamboulé, et j'ai parfois le sentiment que certains de nos anciens qui partent en maison de retraite souffrent beaucoup plus que les animaux qui sont emmenés à l'abattoir. Faisons la différence entre l'humain et l'animal ; ce n'est pas la même chose. Que ces animaux soient sensibles, c'est certain ; mais nous aussi. L'humain est sensible. L'éleveur, au quotidien, est confronté à la vie. Quand on donne la vie, malheureusement, on donne aussi la mort. Il nous arrive d'avoir des pertes sur nos exploitations, et il faut s'y habituer. La mort d'un animal n'est pas taboue. Bien entendu, nous faisons tout notre possible pour les sauver, mais ce n'est pas forcément la priorité du monde agricole aujourd'hui. Les agriculteurs, en particulier les éleveurs, sont à bout à cause d'un système de normes qui ne leur procure ni revenus ni perspectives. Lorsque les mouvements végans, principalement, les traitent de « sanguinaires », toutes les conditions sont en train d'être réunies pour provoquer une nouvelle jacquerie, parce que l'agriculteur n'est pas responsable de tous les maux, que ce soient les pesticides ou l'irrigation. Depuis Sivens, l'agriculteur de base « ramasse » : c'est lui que l'on désigne comme la cause de toutes les pollutions et de tous les maux de la terre. Ce n'est pas le cas ! La Coordination rurale est atterrée de se faire attaquer tous les jours dans nombre de domaines.

De plus, comme l'a dit Christiane Lambert, le bien-être animal est bordé au niveau européen s'agissant des productions aidées. On ne peut donc guère faire d'impasses, au risque de le payer cash. Les retenues sur les primes arrivent très rapidement et, avec la nouvelle PAC, la moindre erreur nous fait facilement perdre 50 % des soutiens. Les agriculteurs ne s'amusent donc pas à faire les fous ; ils ne peuvent se le permettre, ni dans le système aidé ni même dans l'autre.

Si je suis inquiet, c'est aussi parce que nous pouvons en déduire que le rôle des anciennes directions départementales des services vétérinaires (DDSV) serait repris par des associations de bien-être animal. Le rôle de l'État est pourtant prépondérant dans le secteur sanitaire, et ce n'est pas à ces associations d'y mettre le pied. L'État est en effet la seule structure indépendante. Les autres acteurs ont forcément un parti-pris.

Or, l'abattoir est un lieu de mort et il faut vivre avec : c'est ainsi. Concernant les pratiques d'abattage halal et surtout casher, on tuait autrefois des animaux à la ferme selon des pratiques qui n'étaient pas forcément meilleures. De plus, certains agriculteurs ont trouvé dans l'abattage rituel un débouché. Si nous ne l'exploitons pas chez nous, d'autres le feront ailleurs en Europe, et il est regrettable de laisser passer ces marchés. La mort, c'est la mort. La méthode utilisée pour la donner peut choquer, mais peut-être aurait-il fallu que ces gens qui la dénoncent aient vu comment mes grands-parents tuaient les lapins en leur arrachant les yeux pour qu'ils se vident de leur sang… Je ne suis pas sûr que les animaux souffrent beaucoup plus dans les abattoirs d'aujourd'hui, qu'ils soient industriels ou non, qu'ils ne souffraient à l'époque de l'abattage à la ferme ; bien au contraire. Et je ne crois pas que l'on puisse faire un parallèle entre les mauvais traitements en termes de bien-être animal et l'industrialisation des abattoirs.

La filière a certes ses problèmes de marges en interne, mais c'est dans son ensemble qu'elle est attaquée, depuis le producteur jusqu'à l'abatteur, voire l'industriel, à qui l'on veut coller une image déplorable et ce dans le seul but que la consommation de viande cesse. Pourtant, on sait pertinemment que pour être en bonne santé, il faut des protéines d'origine animale, en particulier pour la croissance des enfants.

On ne peut donc pas attaquer frontalement de la sorte. Au fond, nous avons besoin que le mouvement végan se fasse un peu taper sur les doigts par l'État, parce qu'il touche à l'intérêt général du pays, précisément, en particulier des producteurs et des filières. Nous tenions à vous alerter sur ce point : c'est l'un des rôles de l'État. Véhiculer de fausses informations n'est pas tenable. Pour une fois – car c'est très rare –, toutes les filières du monde agricole, dans la production de viande ou de lait, sont affectées. J'ai vu une vidéo de 269 Life – l'entité qui fédère les associations de type L214 dans le monde entier – dans laquelle on proclame que « le lait, c'est du sang » et où l'on voit déverser du sang dans les grandes surfaces. J'ai été terriblement choqué pour les producteurs laitiers. Le vrai débat est là.

Quant à la présence d'un lanceur d'alerte dans les abattoirs, je suis sceptique, parce que cela peut s'avérer dangereux si un salarié n'aime pas son supérieur ou un collègue. Les abattoirs sont régis par des conventions collectives et les salariés sont capables de se gérer entre eux.

S'agissant de la vidéo, je ne partage pas forcément la vision de la FNSEA et de la Confédération paysanne – je m'étonne d'ailleurs du point de vue exprimé par Laurent Pinatel. Mon associé est fils de boucher et son frère travaille dans la filière de la viande bovine : la formation se fait d'homme à homme, rarement au moyen d'une vidéo.

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