Intervention de Christiane Lambert

Réunion du 30 juin 2016 à 10h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Christiane Lambert, première vice-présidente de la FNSEA :

La question de l'insuffisance éventuelle du maillage des abattoirs est récurrente, surtout dans les régions à faible densité d'élevage, soit que l'élevage y ait disparu, soit qu'il y ait toujours été peu important, et que certains agriculteurs souhaitent le réimplanter. On pourrait être généreux et souhaiter des abattoirs partout, mais j'y vois deux difficultés : d'une part, il s'agit d'une activité économique dans laquelle la question de la rentabilité de l'outil se pose quoi qu'il advienne : même lorsque des collectivités se sont parfois très fortement engagées pour soutenir ou réimplanter un abattoir, la question de l'équilibre financier s'est reposée quelques années plus tard. De plus, il faut pouvoir déployer partout des agents vétérinaires capables de vérifier la sécurité, la salubrité et les autres éléments à contrôler en matière de bien-être animal.

Nous savons que le volume des effectifs capables d'effectuer cette mission de service public de surveillance des abattoirs a suscité un débat compliqué. Lors de la présentation de la feuille de route sur le bien-être animal, le 6 avril, M. Le Foll a fait état du nombre de postes qui avaient été supprimés, de ceux qu'il a conservés et de ceux qu'il envisage de créer en 2016 et en 2017. Au regard de la très forte attente de l'opinion et des consommateurs concernant ce qui se passe réellement dans les abattoirs – sujet sur lequel nous faisons par-dessus tout confiance aux services publics et aux directeurs d'abattoirs qu'ils contrôlent –, cette question ne saurait être jugée secondaire. Lors de mes déplacements professionnels, j'ai souvent eu des échanges avec des agriculteurs qui craignaient la disparition d'un abattoir et qui appellaient les collectivités au secours pour l'aider et le renflouer. Le cas se présente souvent, et les élus que vous êtes avez déjà dû en être témoins.

Un compromis peut être trouvé en construisant un outil économiquement équilibré, autrement dit à même de recevoir un nombre suffisant d'animaux et doté de capacités de fonctionnement adéquates. Rappelons que la rentabilité des abattoirs en France est extrêmement faible : elle oscille souvent entre 0 et 2 %, et est parfois même négative. Qui plus est, la modernisation de ces outils pose souvent une véritable difficulté : dans les abattoirs plus modernes, où les équipements de bouverie, du poste d'abattage et de contention ont été régulièrement rénovés, il se pose moins de problèmes liés à des animaux qui échappent au mécanisme ou qui ne sont pas correctement électrocutés. La modernisation des outils et l'équipement en instruments de pointe, avec des capteurs permettant de tenir compte de la différence de taille entre les porcs ou les agneaux, sont autant de facteurs de réassurance. Quoi qu'il en soit, la rentabilité est un élément clé de maintien des outils.

Je sais que le ministre s'est souvent exprimé sur ce sujet, et les opérateurs sont eux aussi confrontés à ce véritable dilemme. Dans ma région, à la limite entre le Maine-et-Loire et l'Indre-et-Loire, un abattoir de proximité a pu être créé parce qu'il a été soutenu par les chambres d'agriculture, qui accompagnaient concomitamment le développement de productions de petits animaux – principalement des volailles, des agneaux et des porcs – apportant les flux nécessaires pour maintenir la rentabilité de l'établissement. Autrement dit, il faut mener une réflexion globale à l'échelle du territoire, en prenant des engagements économiques en termes de volume. En l'occurrence, le projet a pu aboutir parce qu'il a été porté par des agriculteurs extrêmement engagés ; mais personne ne peut garantir que de telles exploitations resteront rentables dans vingt ans. C'est une véritable difficulté qui ne laisse aucune place aux incantations.

J'en viens à votre question sur notre visibilité de l'abattage. En tant qu'agricultrice, je n'assiste pas à l'abattage en abattoir de chacun de mes animaux. Je livre des animaux et j'ai confiance en l'outil auquel ils sont destinés. J'ai la possibilité, comme me le proposent mon groupement et ma coopérative, d'assister in situ à l'abattage d'un lot complet – et non pas seulement d'un animal –, afin d'appréhender l'ensemble des séquences que traverse l'animal depuis la bouverie jusqu'à la mort. Il demeure toutefois indispensable que nous puissions avoir confiance dans la manière dont il est abattu. C'est là que le service public vétérinaire en abattoir joue un rôle déterminant. Il en va de même pour l'alimentation : lorsque j'achète une côte de boeuf ou une boîte de petits pois, je n'effectue pas une vérification contradictoire de la sécurité sanitaire de l'une ou de l'autre. Dans ce domaine, il faut pouvoir travailler en confiance. À titre personnel, je fais confiance à l'outil qui se trouve en aval – non pas seulement parce que nous avons un élevage de 230 truies, ce qui suppose un grand nombre de porcelets à contrôler. Il est donc essentiel de rétablir cette nécessaire confiance.

Il nous arrive de tuer un animal à la ferme. Ce n'est pas un acte anodin, et je suis certaine que nous l'effectuons moins bien que les professionnels du secteur, parce que nous ne possédons pas toujours le même matériel et le même savoir-faire, parce que le couteau n'est peut-être pas parfaitement aiguisé ou parce que l'animal bouge plus. Cela étant, j'ai pu constater lors des abattages auxquels j'ai assisté que si l'électronarcose est correctement effectuée et que la pince est bien appliquée derrière les oreilles des porcs, et si le coup de couteau est donné au bon moment, la saignée génère un flux de sang extrêmement rapide et le relâchement avec perte de connaissance se produit dans les douze secondes. Ces images sont difficiles à voir pour un éleveur, mais il faut entendre le passage de la vie à la mort comme tel. L'abattoir n'est pas un lieu que j'affectionne particulièrement ; j'en préfère d'autres. Mais le fait de savoir la mise à mort est rapide et que l'employé qui intervient est capable d'expliquer son geste me rassure.

Je ne souhaite pas que les associations de protection des animaux remplacent les services publics, contrairement à ce que souhaitent certaines d'entre elles. Ce sont les services publics qui sont les premiers compétents. D'ailleurs, certaines de ces associations n'ont pas toujours une connaissance parfaite des animaux, de leur cycle, de leur sociologie, même si elles peuvent l'acquérir : de ce point de vue, les échanges sont bénéfiques. Nous n'avons donc pas une visibilité sur chaque animal, mais une visibilité générale qui repose sur la confiance.

J'en viens enfin à l'abattage mobile. J'ai pu visiter dans les Bouches-du-Rhône un élevage familial d'environ 600 ovins. Lors de la fête de l'Aïd, les exploitants reçoivent une demande importante d'agneaux, mais l'abattoir est éloigné, et de nombreux musulmans souhaitent choisir leur agneau à la ferme même. Les exploitants ont donc réfléchi avec la chambre d'agriculture et la DDPP à l'installation d'un site d'abattage mobile et provisoire à la ferme, étant entendu qu'ils en gèrent toutes les étapes au mieux, y compris celle de la gestion des déchets, toujours délicate à la ferme et dont il ne faut pas négliger l'importance, tant la sécurité sanitaire est essentielle. Accompagné par les techniciens de la chambre d'agriculture et du service public, cet agriculteur a bâti cette installation qui donne satisfaction tout à la fois aux acheteurs et aux services publics, qui l'ont validée. Cela ne s'est pas fait à la légère : il a fallu trois ans de travail. Si un tel abattage mobile semble envisageable pour des petits animaux, il est plus difficile à concevoir pour de grands animaux comme des bovins, qui pèsent huit cents à mille kilogrammes, ou des chevaux. Il n'existe sans doute pas de recette unique. En outre, il faudra un énorme effort de formation des agriculteurs eux-mêmes pour qu'ils puissent appréhender cette activité. À mon sens, l'élément clé est la gestion de la sécurité sanitaire, tant le moindre pépin peut s'avérer dramatique en termes d'image et de retombées.

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