Intervention de Frédérique Bredin

Réunion du 29 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l'image animée, CNC :

Mesdames, messieurs les députés, laissez-moi vous dire comme je suis heureuse de venir vous présenter ce bilan, dont nous avons essayé d'améliorer la présentation par rapport aux années précédentes afin de le rendre plus clair et plus lisible et de mieux mettre en valeur les différentes actions de cette politique publique instaurée après la Seconde Guerre mondiale pour le cinéma, puis élargie à l'audiovisuel.

C'est d'autant plus un honneur d'être devant vous qu'il y a eu une mobilisation formidable des parlementaires à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif à liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, adopté par votre assemblée le 21 juin et voté aujourd'hui au Sénat, ainsi que de la discussion du projet de loi de finances pour 2016, marquée par la revalorisation massive des crédits d'impôts en faveur du cinéma et de l'audiovisuel, étape importante pour notre industrie cinématographique et audiovisuelle. Dans les deux cas, les textes du Gouvernement ont été grandement améliorés par les apports des parlementaires. Dans les deux cas, les deux chambres sont parvenues à se mettre d'accord.

Pour bien cerner les enjeux des actions à venir du CNC, il faut remonter dans le temps et mesurer le chemin parcouru.

En 2013, la filière souffrait de multiples fragilités et essuyait de nombreuses critiques. Celles-ci portaient sur le manque notable de transparence et sur la dérive des coûts, entraînée notamment par certains cachets excessifs, dérive dénoncée dans plusieurs rapports du Parlement et de la Cour des comptes et qui a donné lieu à une polémique dans la presse. En outre, une incertitude régnait en matière de TVA applicable aux salles de cinéma, lesquelles n'étaient pas considérées comme relevant du même statut que les autres établissements culturels. Notre pays était aussi en train de perdre sa compétitivité à l'international, du fait notamment d'un système fiscal qui devenait moins favorable que les mécanismes incitatifs mis en place par nos voisins européens ou par les pays d'Amérique du Nord. Enfin, le paysage était assombri par le projet de traité de libre-échange atlantique qui menaçait l'exception culturelle puisqu'il proposait d'inclure les services audiovisuels dans la négociation, ce qui était une manière de revenir en arrière sur les mesures européennes adoptées dans le domaine culturel.

La situation appelait une réaction.

Le CNC s'est fixé trois objectifs pour réformer nos politiques publiques : premièrement, restaurer la confiance dans la filière du cinéma ; deuxièmement, soutenir davantage les projets de qualité et de diversité culturelle ; troisièmement, être à nouveau gagnant dans la bataille de la compétitivité.

S'agissant de la restauration de la confiance, nous avons pris plusieurs mesures avec les professionnels. Elles concernaient d'abord la maîtrise des coûts dans la fabrication et la réalisation des films. Nous avons décidé d'une mesure symbolique, forte et sans précédent, qui consistait à interdire l'accès aux aides publiques du CNC à des films pour lesquels les artistes avaient reçu des cachets disproportionnés. Nous suggérions ainsi aux producteurs et aux artistes concernés de mettre en place des rémunérations, non plus versées en amont, mais calculées en aval par rapport aux recettes des films en salle.

Une deuxième mesure a été décidée après un long travail de concertation effectué lors des Assises du cinéma : il s'agit du renforcement de la transparence des comptes de production et d'exploitation des films. Elle ne pouvait être effective sans traduction législative, laquelle s'est concrétisée à travers la loi relative à la liberté de la création, ce dont nous vous remercions. Les comptes de production et d'exploitation doivent désormais être communiqués aux ayants droit et à tous ceux qui participent à l'économie du film, ce qui est une clef pour sécuriser le financement. La loi prévoit que le CNC procède à des audits systématiques de ces comptes chaque année. Ils ne porteront pas sur la totalité des films mais sur environ 10 % d'entre eux.

Améliorer la transparence était absolument nécessaire : d'une part, pour des raisons évidentes de bonne utilisation des fonds publics ; d'autre part, pour renforcer les financements, en attirant notamment des investissements extérieurs.

Notre deuxième objectif consiste en un soutien renforcé à la qualité et à la diversité. Le cinéma est à la fois une industrie et un art. Cette orientation a été dégagée dans le cadre des Assises : nous avons décidé, là où cela s'avérait nécessaire, d'accentuer nos actions de soutien à la production et à la distribution indépendante.

Notre troisième objectif était de regagner le terrain perdu en matière de compétitivité internationale. Plusieurs rapports de cabinets d'audit ayant établi des comparaisons à l'échelle mondiale nous ont alertés sur la situation : tous tiraient la sonnette d'alarme. Les crédits d'impôt mis en place une dizaine d'années auparavant n'étaient plus à la hauteur pour concurrencer les dispositifs de nos voisins : les délocalisations étaient de plus en plus fréquentes et importantes. Au cours de l'année 2015, 40 % des films dont le budget est compris entre 7 millions et 10 millions – ces films dits « du milieu » – ont été tournés à l'étranger alors même que la France est le premier pays producteur de films en Europe, avec plus de 200 films par an. La proportion a atteint 60 % pour les films à effets spéciaux et 70 % pour les gros films, au budget supérieur à 10 millions d'euros. La situation était donc devenue très préoccupante pour nos emplois et pour les industries techniques.

Le Parlement, par les décisions qu'il a prises en 2015-2016, a permis à la filière de se développer et d'aborder un nouveau cap face à la concurrence internationale. Le taux du crédit d'impôt est désormais fixé à 30 % pour les films français, avec un plafond 30 millions d'euros, et à 20 % pour les films tournés en langue étrangère pour des raisons scénaristiques. Par ailleurs, députés et sénateurs, allant au-delà du projet gouvernemental, ont voulu étendre le crédit d'impôt à l'audiovisuel : celui-ci est fixé à 25 % avec des plafonds considérablement relevés, qu'il s'agisse de fiction ou d'animation. À cela s'ajoute le crédit d'impôt international, de 30 %, destiné à favoriser les tournages de films étrangers en France.

Les effets de ces mesures ont dépassé nos espérances dans un délai extrêmement rapide. En cinq mois, la valeur des activités relocalisées en France a atteint plus de 300 millions d'euros : 180 millions pour le cinéma, 130 millions pour l'audiovisuel. Sur l'ensemble, 217 millions sont imputables au crédit d'impôt national : ce sont autant de films qui ont été tournés en France alors qu'ils auraient sinon été tournés à l'étranger, ce qui se traduit concrètement par l'accroissement du nombre de journées de tournage en France. Par ailleurs, 90 millions d'euros sont imputables au crédit d'impôt international : davantage de films étrangers – chinois et indiens notamment – ont été tournés en France du fait de conditions plus attractives. En un trimestre, il y a eu autant d'investissements en France que sur toute l'année 2015. En cinq mois, nous sommes allés au-delà des objectifs que nous visions pour l'année entière, soit 200 millions d'euros d'activités supplémentaires et 10 000 emplois.

La France peut s'enorgueillir d'un bon bilan cinématographique. Les chiffres sont réjouissants. Notre pays compte le plus grand parc de salles de cinéma d'Europe : plus de 2 000 établissements, 5 700 écrans. L'ensemble des parlementaires a beaucoup oeuvré en ce sens, notamment en permettant la numérisation de la totalité des salles de cinéma, niveau qui est loin d'être atteint dans les autres pays européens. Nos salles reçoivent le public le plus cinéphile d'Europe : la fréquentation, bien plus forte qu'au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Espagne, s'est stabilisée au-dessus de 200 millions d'entrées. Compte tenu du bouleversement des usages et de la multiplication des écrans, cela montre que les salles sont encore un lieu de vie sociale, notamment pour les plus jeunes. J'insiste sur cet aspect. La fréquentation des salles obscures par les moins de vingt-cinq ans est de plus en plus élevée. Elle a atteint un niveau sans précédent, notamment pour les moins de quatorze ans.

Cela m'amène à rendre à nouveau hommage au Parlement. De vifs débats ont porté sur le taux de la TVA applicable aux salles de cinéma et tant le Sénat que l'Assemblée nationale ont décidé que celles-ci relèveraient du taux réduit. La profession – décision à souligner – s'est alors engagée à répercuter cette baisse sur le prix des tickets. Les exploitants de salles ont lancé une grande opération à destination des jeunes avec des billets à quatre euros pour les moins de quatorze ans, initiative extrêmement appréciée par les familles qui pouvaient auparavant être rebutées par le coût élevé d'une sortie au cinéma. Cette opération a même été considérée comme l'une des dix meilleures nouvelles de l'année 2014 dans un sondage publié en fin d'année par Paris Match.

En ce qui concerne la part de marché du film national, elle est supérieure en France aux autres pays européens : elle a été de 36 % en 2015 contre 10 % au Royaume-Uni, 27 % en Allemagne, 20 % en Italie, 19 % en Espagne.

Enfin, le cinéma français s'exporte bien – même si je considère que ce n'est pas encore dans des proportions suffisantes. Depuis trois ans, les films français totalisent plus d'entrées à l'international qu'en France, soit 100 millions d'entrées.

Si les chiffres du bilan sont rassurants, il n'en reste pas moins que nous devons nous montrer extrêmement vigilants dans un univers en pleine évolution. Nous nous mobilisons pour être encore plus réactifs et nous mettre à l'affût de ce qui est important pour les relais de croissance et la diversité du cinéma.

À la suite du rapport remis par M. Alain Sussfeld, directeur général du groupe UGC, une réforme de l'agrément va être lancée : elle vise à rendre plus strictes les conditions liées à la localisation des dépenses en France pour bénéficier des aides du CNC. Couplée aux crédits d'impôt, cette réforme aura un impact extrêmement positif sur l'augmentation du nombre de films tournés en France.

Au deuxième semestre, nous mettrons en place un plan de soutien à l'export : il est nécessaire de trouver des relais de croissance à l'étranger, d'autant que notre production cinématographique est importante. Nous allons étendre le dispositif du compte de soutien automatique à l'exportation, qui sera ainsi reconnue comme une filière à part entière du cinéma. C'est une incitation importante au développement d'une ambition internationale pour les films français.

Nous allons également renforcer le soutien à la distribution, notamment la grosse distribution indépendante. Celle-ci reste le maillon faible de notre économie alors que la production et l'exploitation se portent bien. Il faut mettre fin à certaines situations de fragilisation. Nous allons agir en ce sens dans les six mois qui viennent.

Enfin, je terminerai en évoquant les relations contractuelles que nous avons nouées avec les régions et l'Europe.

Vous connaissez tous les conventions par lesquelles nous soutenons les fonds régionaux d'aide à la production de long-métrage : lorsque les régions investissent deux euros, nous investissons automatiquement un euro. Nous nous sommes rapprochés de tous les nouveaux exécutifs régionaux pour leur redire toute l'importance de la filière cinématographique et audiovisuelle en termes d'emplois et avons été très heureux de constater l'écho très favorable que nos propos ont rencontré.

Le CNC veut, à travers l'initiative « Cinéma et Citoyenneté », relancer la tradition des ciné-clubs, avec le soutien des régions – dont dépendent les lycées – et en concertation avec l'Agence du service civique. Nous avons pour ambition de bénéficier de l'aide de mille jeunes volontaires à la rentrée prochaine. D'ores et déjà, trois cents d'entre eux, répartis sur l'ensemble de la France, ont contribué en ce début d'année 2016 à recréer des ciné-clubs – ces ciné-clubs qui ont permis à tant de générations d'apprendre à connaître le cinéma et de découvrir des oeuvres merveilleuses... Du premier bilan qu'ils ont tiré de leur expérience ressort une énergie formidable.

Enfin, j'aimerais souligner que les évolutions récentes au niveau européen ont été très positives pour le cinéma et l'audiovisuel français.

La Commission européenne a communiqué en mai dernier le projet de modification de la directive dite « SMA » – services de médias audiovisuels –, retenant bon nombre de positions françaises, et ce grâce à votre travail de conviction et aux efforts que nous avons déployés pour nous rapprocher d'elle afin de lui expliquer les valeurs que nous voulions défendre et le prix que nous attachions à l'exception culturelle. Nous avons encore un an pour la convaincre de nouvelles modifications, car l'on peut toujours considérer que le texte ne va pas assez loin.

Force est toutefois de reconnaître que, sur deux points essentiels, nous avons été entendus. Il s'agit, d'une part, de l'instauration d'une proportion minimum obligatoire de 20 % d'oeuvres européennes dans le catalogue des plateformes vidéo, et, d'autre part, de la substitution du principe du pays de destination au principe du pays d'origine pour ce qui concerne les obligations d'investissement et les obligations de contributions financières. Cela vient couronner un combat que nous menons depuis de nombreuses années.

Ce tournant a de multiples implications, qui concernent d'abord la taxe sur les opérateurs de vidéo à la demande (VAD) qui repose sur le principe du pays de destination. Après son adoption par le Parlement en décembre 2013, nous l'avions notifiée aux autorités européennes qui ne nous avaient pas fourni de réponse. Désormais, il est probable que nous obtiendrons une autorisation tout comme l'Allemagne, qui a formulé une demande dans le même sens. Notre souci est d'aller plus loin et de créer une taxe sur les opérateurs de plateformes tirant leurs ressources de la publicité. Elles doivent, comme les acteurs historiques que sont TF1 ou M6, contribuer au financement de la création.

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