Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 29 juin 2016 à 16h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, présidente :

Comme l'a rappelé notre président, la commission doit se prononcer sur la recevabilité de la proposition et non sur son opportunité. Je concentrerai mon propos sur la question de la recevabilité de cette proposition.

En premier lieu, il convient de vérifier si sont bien respectées les dispositions de l'article 137 précité du Règlement, suivant lesquelles les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête doivent « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

S'agissant de la première condition – la détermination précise des faits donnant lieu à enquête, je relèverai que le dispositif de la proposition vise « les relations politiques, économiques et diplomatiques, entre la France et l'Azerbaïdjan » sans davantage de précision. La commission d'enquête aurait donc pour but d'évaluer si les relations de la France avec ce pays sont susceptibles ou non de favoriser le « développement de la paix et de la démocratie au sud-Caucase », autrement dit, de procéder à une évaluation de la pertinence de notre politique étrangère à l'égard de ce pays.

On observera que le dispositif de la proposition relative à la création de la commission d'enquête sur les infirmières bulgares était plus précis puisque son objet était « de connaître les conditions exactes de la libération des otages de Libye, ainsi que le contenu, la portée et les termes de la négociation des protocoles d'accord conclus par la France avec la Libye. ». Lors de l'examen en commission, le rapporteur avait souligné que l'objet de la commission d'enquête était bien circonscrit ; il s'agissait selon lui, « de faire toute la lumière sur les contreparties que la France aurait concédées à la Libye pour obtenir la libération des infirmières et du médecin, en particulier sur le contenu et la portée des protocoles d'accord signés peu de temps après celle-ci. ».

La proposition de résolution ne répond pas à la deuxième condition posée par cet article puisqu'elle ne propose pas d'enquêter sur la gestion d'un service ou d'une entreprise public.

En deuxième lieu, la proposition de résolution satisfait, en revanche, le critère de recevabilité prévu au premier alinéa de l'article 138 du Règlement, suivant lequel : « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 ou qu'une commission d'enquête antérieure, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre ». Aucune des commissions d'enquête constituées dans les douze dernier mois n'a porté sur des faits qui relèveraient, partiellement ou en totalité, du domaine de la proposition.

En troisième lieu, la proposition de résolution satisfait aussi le critère prévu au deuxième alinéa de l'article 139 du Règlement suivant lequel une proposition ne peut être mise en discussion si le Garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à lui, que la mission d'une commission d'enquête déjà créée « prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter ».

Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a fait savoir, dans un courrier du 8 juin 2016, qu'«aucune des procédures dont a été informée l'administration centrale de [son] ministère ne fait ressortir de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ».

On peut s'interroger sur l'intérêt de mettre en place une commission d'enquête sur un sujet aussi large qui serait probablement aussi bien traité par une mission d'information. La vocation d'une commission d'enquête est de permettre de procéder à des investigations. Pour les actions de contrôle plus générales, les missions d'information paraissent bien mieux adaptées.

Certes, rien ne s'oppose dans notre Règlement à ce qu'une commission d'enquête porte sur un sujet de politique étrangère. Il existe d'ailleurs un précédent avec la création de la commission d'enquête « sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens ».

Cependant, les pouvoirs d'investigation accordés à une commission d'enquête sont d'un intérêt limité en matière de politique étrangère. Le secret diplomatique demeure opposable à ces investigations et les prérogatives spécifiques à une commission d'enquête (obligation de déférer à une convocation, serment des personnes auditionnées, obligation de communiquer des documents, pouvoir du rapporteur de procéder à des enquêtes sur pièce et sur place) ne sauraient s'appliquer à des autorités étrangères.

D'une portée pratique limitée, la création d'une commission d'enquête a en revanche une portée symbolique et donc politique qu'on ne peut ignorer, d'autant que l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution paraît déséquilibré. Par exemple, il tient pour acquis que l'Azerbaïdjan porterait l'entière responsabilité des récentes violations du cessez-le-feu et ne prend pas en considération le fait que la question du Karabagh est une question douloureuse, très douloureuse, pour les deux parties en présence, notamment en raison des centaines de milliers d'Azéris chassés de leurs villages à la suite de la guerre de 1994. Ces partis pris sont en contradiction avec le fait que la France, en tant que membre du groupe de Minsk, se doit d'observer une stricte neutralité. C'est une condition nécessaire pour exercer une telle fonction de médiation.

C'est pourquoi, soulignant le caractère très général de la présente proposition de résolution, votre Rapporteure exprime le voeu que cette initiative débouche sur la création d'une mission d'information de la commission des affaires étrangères sur le conflit du Haut Karabagh et la médiation du groupe de Minsk.

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