Cette mission d'information est partie du constat que la considération accordée par les pouvoirs publics, jusqu'au sommet de l'Etat, sur les questions maritimes n'était pas excessive, pour rester dans l'euphémisme. Les comparaisons sont éclairantes. Ici même, l'un des ministres des affaires étrangères, et non des moindres puisqu'il a été l'un des plus brillants et des plus remarquables, M. Laurent Fabius, avait indiqué qu'il n'avait pas des connaissances très étendues en matière de droit maritime. Je n'imagine pas la même remarque de la part du ministre des affaires étrangères de la République populaire de Chine ou de celle de M. John Kerry, qui connaît fort bien ces questions. Lorsque le Président de la République s'est rendu au Canada, le Premier ministre de l'époque, M. Harper, est tout de suite intervenu avec précision sur la question de Saint-Pierre-et-Miquelon, même s'il savait avoir en partie tort sur le plan juridique. L'intérêt pour la question maritime est beaucoup plus soutenu à l'étranger.
Le paradoxe est que nous avons le premier domaine maritime du monde ou presque. Si l'on compte, l'espace maritime, « la colonne d'eau », nous avons un peu moins que les Etats-Unis (environ 300 000 kilomètres carrés de moins), mais si l'on compte le seul plateau continental, les fonds marins, nous avons ou nous en aurons davantage très rapidement, en raison des demandes d'extension du plateau continental qui n'emportent pas juridiction sur la colonne d'eau.
C'est essentiel pour les ressources du futur, qui sont moins la pêche et les ressources énergétiques, que les ressources minières des fonds marins. Il s'agit des nodules polymétalliques, mais aussi des terres rares qui sont essentiels aux équipements issus de nouvelles technologies comme les téléphones portables. Ces terres rares sont actuellement fournies par la Chine, pour l'essentiel. L'exploitation des fonds marins, notamment au large de Wallis-et-Futuna, pourrait nous y donner un accès direct dans le futur.
Notre pays n'a pas en fait de véritable volonté politique. Didier Quentin a rappelé les occasions manquées. A part essentiellement Colbert et le président Chirac, peu de dirigeants politiques français ont eu une ambition maritime. Ni l'un ni l'autre n'a d'ailleurs abouti. L'un de nos dirigeants les plus entreprenants, Napoléon, qui aurait d'ailleurs pu être marin, s'il n'était pas devenu artilleur, n'a pas eu de succès sur mer. Cela s'est même très mal terminé à Trafalgar. Il y a peut-être des raisons historiques à une telle situation, et nous pourrions en débattre, mais le constat est là.
Ce n'est pas une question de moyens, car nous avons tous les éléments qu'il faut pour mener une grande politique maritime. Nous avons une expertise scientifique parfaitement au niveau pour ce qui concerne les fonds marins, avec l'Ifremer et le Service hydrographique et océanographique de la Marine, le SHOM. Nous avons des juristes de grands talents, et il faut regretter qu'ils n'aient pas toujours été bien utilisés, notamment pour Saint-Pierre-et-Miquelon. L'arbitrage a été accepté dans des conditions insensées et suivi de France avec des moyens insuffisants. Nous avons trouvé après plusieurs années le moyen de relancer le dossier et il faut dire que le Canada est très ennuyé.
Le seul domaine dans lequel nos moyens sont insuffisants est celui des navires patrouilleurs, des navires régaliens notamment dans le Pacifique avec 4,6 millions de kilomètres carrés à couvrir. Cela a des conséquences importantes par exemple avec des visites tous les deux ans environ à Clipperton. Si l'île était par hypothèse possession de la République populaire de Chine, la situation serait tout autre avec d'importantes infrastructures. Ce serait une sorte de porte-avions géant.
Notre coordination administrative est également excellente, avec le secrétaire général de la mer, le SGMer et elle est même, d'une certaine manière, admirée au Royaume-Uni, où la situation est assez compliquée et où le pragmatisme contribue à compenser une moins bonne organisation.
Il nous manque donc la volonté. Nous faisons donc cinq propositions et pour l'essentiel, elles ne concernent pas les moyens. Elles ne sont donc pas coûteuses.
La première vise à porter la culture maritime au plus haut niveau de l'Etat et à assurer la continuité de l'impulsion politique. Il va falloir d'une certaine manière « amariner » nos dirigeants. La matière doit être considérée avec sérieux et les connaissances maritimes doivent être diffusées. L'étendue de notre superficie maritime, notamment, doit être mieux connue. D'un point de vue pratique, la réduction de la dichotomie entre le niveau politique et le niveau administratif passe d'abord par la nomination systématique d'un conseiller mer au cabinet du ministre, ainsi que par l'inscription des questions maritimes parmi les priorités de notre agenda international, notamment en les évoquant lors de la semaine des ambassadeurs, de même que par l'organisation, chaque année, d'un débat d'orientation au parlement sur les questions maritimes, par un renforcement du SGMer et par la réunion au moins une fois par an du Comité interministériel de la mer (CIMer).
La deuxième proposition vise à mener une stratégie d'influence aux niveaux européen et international, notamment au sein de l'Union européenne et de l'OTAN, sur les enjeux maritimes, et à assurer dans les organisations compétentes, comme l'Organisation maritime internationale (OMI), notre présence. Ce n'est pas inutile. L'OMI a pris récemment une décision, qui n'était pas acquise d'avance, sur le dispositif de séparation du trafic dans le canal de Corse, idée notamment défendue par la ministre, Mme Ségolène Royal.
La troisième proposition vise à garantir les moyens minimum nécessaires pour nos capacités de surveillance maritime. Il ne s'agit pas seulement des navires, mais aussi des moyens satellitaires qui renouvellent les modalités de la surveillance. Le programme Extraplac d'extension du plateau continental a été mené à bien, mais il l'a été avec des moyens très limités, comparativement à ceux des autres pays, et il ne peut constituer une référence sur le plan budgétaire.
La quatrième proposition vise à développer la coopération sur le plan régional. C'est la piste ouverte par l'accord de pêche avec le Mexique et celle de l'accord non encore ratifié avec Maurice sur Tromelin. Il faut le faire en évitant tout « détricotage ». Des perspectives existent avec d'autres pays notamment Madagascar. Il faut que la France montre qu'elle peut aider les pays voisins de ses outre-mer et que la présence française est un atout et non une source de difficultés.
Enfin, la dernière orientation concerne la protection environnementale, qui prend de plus en plus d'importance au niveau international. Il s'agit notamment des mesures protection la qualité environnementale et biologique des espaces maritimes, avec les outils que sont les parcs marins ou les aires marines protégées, y compris en pleine mer. L'Agence française pour la biodiversité aura un rôle essentiel à jouer outre-mer. A elles seules, les îles Marquises ont une biodiversité du même ordre que la métropole, Corse comprise. Les pays étrangers font des parcs naturels pour affirmer leur présence et protéger leur souveraineté. C'est le cas du Canada pour l'île de Sable, ou encore du Royaume-Uni pour les Malouines, mais aussi de l'Argentine et du Chili.
Pour un pays aux moyens limités comme le nôtre mais doté d'un espace maritime équivalent à celui des États-Unis, c'est un outil finalement économe pour affirmer notre droit et préserver nos possessions.