Intervention de Shirley Billot

Réunion du 5 juillet 2016 à 17h30
Commission des affaires économiques

Shirley Billot, présidente de la société Kadalys :

Merci de me recevoir aujourd'hui. Ma société est basée en Martinique. Mon activité consiste à valoriser les coproduits de la filière banane française en Guadeloupe et en Martinique. L'idée initiale était de valoriser les déchets, dans le cadre d'une économie circulaire, pour en faire des ingrédients à haute valeur ajoutée, que j'emploie dans des soins cosmétiques sous la marque Kadalys. Nous avons deux activités. La première est une activité de recherche et développement : nous travaillons sur les ingrédients, nous déposons des brevets, et nous avons des partenariats avec le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Notre objectif de court terme est de créer un centre industriel en Martinique ou en Guadeloupe afin d'y fabriquer l'ingrédient. La seconde activité est celle de la marque de cosmétique, qui sert de vitrine à nos activités de recherche, et qui me permet d'exporter depuis plus d'un an et demi. Ma marque est actuellement distribuée en Corée, au Japon, à Taïwan, en Australie, en Chine, en Iran – nous sommes en cours de validation des formules dans ce pays – au Canada et en Europe. Mon activité s'inscrit dans le développement de la région, au sein d'un secteur ambassadeur des bonnes pratiques françaises.

J'ai identifié plusieurs problématiques, dont certaines sont propres aux outre-mer. Moins de 2 % des entreprises d'outre-mer exportent, contre une moyenne nationale d'environ 20 %. Plusieurs freins expliquent cela. En effet, du point de vue de l'outre-mer, la vente en France métropolitaine constitue déjà une forme d'export. Pour ma part, j'ai, dès le départ, conçu ma stratégie d'entreprise – et adapté la formule de mes soins – dans le but d'exporter : j'estimais que le marché français était trop petit pour moi et il me semblait plus facile de chercher un développement à l'export. Le produit sur lequel je travaille, la banane, est, en effet, un fruit à haute valeur ajoutée, commun à tous les pays du Sud, et très bien perçu en Australie, en Corée ou au Japon.

Le premier problème que j'ai constaté est l'absence de numéro de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) intracommunautaire pour les entreprises des Antilles, qui sont considérées comme des marchés d'export pour la France. Ceci est gênant, car les entreprises qui n'ont pas de numéro de TVA intracommunautaire doivent payer la TVA. Or, en ce qui me concerne, je sous-traite l'ensemble de ma fabrication : j'achète des packs en Europe, et les conditionne en métropole. 95 % de mon stock est ensuite destiné à l'exportation et à la France métropolitaine. Après plusieurs mois de discussion avec le ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique, il m'a été demandé de délocaliser ma société en métropole – ce qui arrive à beaucoup d'entrepreneurs ultramarins, et fausse les statistiques. J'ai insisté pour que mon entreprise reste en Martinique, et ai finalement créé un établissement secondaire en métropole, auquel a été attribuée une forme de faux numéro de TVA intracommunautaire. À l'époque, j'avais posé la question à des députés guadeloupéens et martiniquais, qui m'avaient expliqué – sans que je sache si cette justification était fondée ou non – que l'absence de numéro de TVA intracommunautaire permettait d'obtenir un meilleur solde du commerce extérieur français, notamment en raison des nombreuses exportations de la France métropolitaine vers l'outre-mer. Ceci pénalise les entreprises des Antilles. Nous devrions pourtant avoir accès aux mêmes dispositifs que les entreprises nationales qui ont recours à la sous-traitance. J'ai obtenu gain de cause car j'ai appelé Bercy, expliqué que j'étais française et que je ne trouvais pas normal de ne pas avoir de numéro de TVA intracommunautaire, mais tous les entrepreneurs n'ont pas ma ténacité. Il faudrait créer un mécanisme qui permettrait de générer un numéro de TVA pour les entreprises d'outre-mer.

Par ailleurs, je pense que l'on sous-estime beaucoup l'importance de la protection des marques et des brevets. Cela représente un enjeu et un coût significatifs, auquel les entreprises – en particulier les petites – qui souhaitent exporter sont peu sensibilisées. Les sites internet de conseil à l'export ne mentionnent que très peu la question des marques et des brevets. En ce qui me concerne, je n'avais pas du tout imaginé que cela représentait un coût si élevé. Je protège ma marque, progressivement. En revanche, je ne peux pas protéger tous mes brevets au niveau international, parce que cela coûte trop cher et que je n'ai pas un budget suffisant. Or nous ne pouvons pas exporter si nos marques et brevets ne sont pas protégés. Certaines marques françaises, même importantes, doivent parfois racheter leurs propres brevets sur des marchés où des sociétés malhonnêtes les ont copiés. D'autres marques françaises se servent de ce problème au détriment de leurs concurrents français, pour s'implanter et se développer sur des marchés à l'export.

J'ai beaucoup regardé les outils mis à disposition par BPIfrance, la COFACE, et Business France et je travaille avec Business France et la chambre de commerce et d'industrie (CCI) martiniquaise. Il existe un accord avec le ministère des outre-mer, qui permet d'obtenir des aides supplémentaires. Ceci est important parce que nous sommes beaucoup plus loin et que tout nous est plus coûteux qu'aux entreprises de métropole : choisir d'exporter implique, pour nous, de prendre d'abord un billet d'avion de la Martinique vers Paris, avant de pouvoir aller à l'étranger. J'ai trouvé que l'« Assurance prospection premiers pas » (A3P) de la COFACE fonctionnait relativement bien. Malheureusement, ce dispositif, comme ceux de BPIfrance, s'appuie sur un critère unique de fonds propres. Il est regrettable de ne retenir que ce critère. Aujourd'hui, en effet, les petites sociétés avec lesquelles je discute ne peuvent pas bénéficier de l'A3P parce qu'elles n'ont pas de fonds propres suffisants, alors même qu'elles se développent très rapidement et pourraient prospérer à l'étranger. J'ai, pour ma part, signé des contrats pour près de 18 millions d'euros en un an et demi, qui se mettront en place sur 5 ans. Ces chiffres sont incomparables avec ceux que je réalise en France. En Corée, par exemple, ma marque est vendue en grand magasin à côté de Dior et de la première marque coréenne. Je n'ai pas cette image en France. L'export est un moyen de nous développer très rapidement, de générer du chiffre d'affaires, et de créer de l'emploi, mais nous devons être aidés dès le départ. Cela contribuerait à ce que plusieurs petites sociétés émergent. Dans le secteur de la cosmétique, la plupart des entreprises sont des petites startups, qui peuvent ouvrir de nouveaux marchés. Il me semble que les outils sont davantage adaptés aux moyennes et aux grandes entreprises qu'aux petites. En particulier, pour les petites sociétés, le critère des fonds propres est très préjudiciable.

Nous avons beaucoup de success story avec Business France. Certains des outils de l'agence, pourtant, ne sont pas tout à fait adaptés. En Chine, par exemple, où l'enregistrement des formules chimiques est payant – environ 2 000 à 3 000 euros par formule – une aide de BPIfrance prend en charge 50 % de ce coût, mais il nous faut travailler avec des entreprises listées par Business France, dont les prix sont deux fois supérieurs à ceux du marché. Les aides sont intéressantes, mais il est parfois tout aussi intéressant de ne pas y avoir recours, car il revient moins cher d'agir « en direct ».

Le volontariat international en entreprise (VIE) est un sujet passionnant. Je pense toutefois qu'il serait nécessaire d'augmenter le portage des VIE par les grands groupes. Pour ma part, je prendrais un VIE avec plaisir, mais je n'ai pas un budget suffisant : il faudrait qu'il soit accueilli dans un bureau d'un groupe présent dans le pays concerné. Il serait intéressant que ces groupes puissent, occasionnellement, porter le VIE d'une ou plusieurs petites sociétés, pendant une durée d'un an. Cela se fait déjà de temps en temps, mais ce n'est pas encore suffisamment connu : nous ne savons pas comment y avoir accès. Il serait utile d'avoir une information ou un point d'accueil pour les entreprises qui accepteraient de porter un VIE et celles qui souhaiteraient se faire porter.

Une autre difficulté est l'obligation, pour les entreprises qui exportent, de légaliser les documents nécessaires à l'export. Cela représente déjà un coût en soi, et il est regrettable que le ministère des affaires étrangères et du développement international demande que les documents lui soient transmis en français pour les valider, alors qu'ils sont, le plus souvent, établis initialement en anglais. Le coût de la traduction en français d'un contrat de trente-cinq pages, établi en anglais, par un traducteur assermenté qui facture à la page est un coût important. Il faudrait faire en sorte que les entreprises puissent ne travailler qu'en anglais. Pour cette raison notamment, dans mon développement en Iran, je ne suis pas passée par le ministère des affaires étrangères, mais j'ai traité directement avec l'ambassade d'Iran et la chambre de commerce et d'industrie de Paris, où l'anglais est accepté.

En ce qui concerne les mesures d'accompagnement pour le développement à l'export, l'implication des banques dans la période correspondant au préfinancement ou au délai de paiement doit être évoquée. En ce qui me concerne, je n'ai pas de problème de délai de paiement, car je suis payée cash. En revanche, il est plus compliqué de faire financer la période de fabrication d'un produit, qui demande plusieurs mois de travail. C'est sur cette période qu'il est difficile de trouver des fonds de roulement, pourtant indispensables à la préfabrication du stock, en particulier pour les petites sociétés.

J'ai vu sur les sites internet des organismes publics d'aide à l'export qu'un accompagnement personnalisé était prévu en matière d'internationalisation. Je ne l'ai pas encore constaté.

Par ailleurs, les douanes nous demandent de faire, tous les mois, une déclaration des ventes que nous réalisons pour l'Union européenne, à des fins statistiques. Cela représente un temps et une contrainte pour les petites sociétés, d'autant plus qu'il faut entrer toutes les informations manuellement. Nous n'y pensons pas toujours. Il faudrait trouver un moyen d'alléger cette contrainte, en rendant la déclaration trimestrielle, ou annuelle.

Enfin, ma dernière remarque concerne le coût de l'accès à l'information. Pour aller à l'export, il nous faut de l'information détaillée sur un marché, en fonction des pays et des secteurs. En matière de cosmétique, nous avons besoin, par exemple, de connaître avec précision le cadre réglementaire. Toutes ces informations, qui sont nécessaires à la préparation de notre stratégie, sont payantes. Je suis adhérente à une fédération de cosmétique, mais je dois payer pour avoir une information, un certificat… Cela représente un coût significatif. Il faudrait garantir l'accès à des informations qualifiées, de façon simple et gratuite – au moins jusqu'à un certain niveau, et à titre consultatif – pour préparer une stratégie et inciter les entreprises à aller à l'export.

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