Cristel est une entreprise issue du groupe Japy, fondé en 1826, qui, après des décennies prospères, a traversé des périodes difficiles aboutissant à ce que la faillite soit prononcée en 1979. Après trois années de fermeture, Cristel a redémarré par la volonté des ouvriers qui ont créé une coopérative ouvrière de production, laquelle a duré trois ans. Les nombreuses difficultés ont néanmoins conduit une nouvelle fois cette entreprise, ou plutôt ce qu'il en restait, à la faillite et, sur proposition du tribunal de commerce, nous avons fait, mon mari et moi, une reprise avec les salariés en 1987. Le concept Cook and serve, à poignée amovible, une innovation dont Paul Dodane est l'auteur, a été mis en avant, ce qui a permis le redressement de cette entreprise.
Aujourd'hui Cristel est le premier fabricant français d'articles culinaires inox haut de gamme, avec un taux d'intégration en fabrication de 89,87 % sur le site de Fesches-le-Châtel en Franche-Comté. Cristel est également leader sur le marché du culinaire inox haut de gamme en France, avec 80 % du marché, et au Japon. Les produits Cristel sont labellisés Origine France garantie (OFG) depuis 2013, label certifié par le Bureau Veritas. Cristel est également reconnue entreprise du patrimoine vivant depuis 2009 et est entrée dans la famille des marques de luxe françaises en 2007.
Cristel réalise entre 10 et 11 millions d'euros de chiffre d'affaires par an, dont 25 à 30 % à l'exportation. Or, pour assurer le développement normal de l'entreprise, il faut inverser ces pourcentages et se développer à l'export. En effet, pour passer d'une petite et moyenne industrie (PMI) à une entreprise de taille intermédiaire (ETI), il faut exporter dans des proportions importantes. Lorsque l'on a le produit, le savoir-faire et les moyens modernes de production, il faut absolument réussir son développement à l'exportation.
Pour Cristel, comme toutes les entreprises de cette taille, la problématique est la même : la mobilisation des moyens humains et financiers nécessaires à la réussite est disproportionnée par rapport à nos capacités propres. C'est courir un risque énorme que de prendre, seuls, la décision de se développer à l'international.
Les enjeux sont pourtant fondamentaux car il s'agit bien de l'avenir de notre industrie et de celui de tous ceux qui en vivent. Il s'agit de redonner un équilibre acceptable à notre balance commerciale, qui s'améliore, mais dont les chiffres, comparés à ceux de nos voisins, restent difficilement acceptables. Or, nos entreprises françaises et nos articles fabriqués en France, sont tout aussi valables que les entreprises et les articles allemands.
Aujourd'hui, c'est l'ouverture et le savoir-faire à l'exportation qui nous manquent à tous. Il me semble donc nécessaire de créer des structures adaptées aux PMI, autres que celles existantes, qui coûtent cher à l'État et aux contribuables. Elles sont peut-être efficaces pour le développement des petites et moyennes entreprises (PME) artisanales ou pour l'accompagnement des grands groupes, mais ne semblent pas adaptées aux PMI.
Il faut un accompagnement pragmatique et efficace. Cela passe par des pépinières de filières pour les PMI s'engageant dans le développement à l'exportation, c'est-à-dire un espace d'accueil dans chaque pays, avec un potentiel d'accueil sur place ou à proximité pour les PMI débutantes. Cela passe aussi par la présence de personnes compétentes, qui accompagnent et orientent efficacement dans les démarches administratives toujours longues et compliquées : dépôt de statuts, enregistrement auprès des tribunaux compétents, ouverture de compte bancaire, obtention de carte bancaire, recherche de partenaires sur le plan comptable, juridique et commercial, etc.Les premiers pas étant assurés, un accompagnement est nécessaire pour une meilleure connaissance du marché avec, par exemple, la remise de fichiers clientèle par secteurs de marché, la remise d'adresses de centres logistiques performants, la rédaction de projets de contrats de partenariat à faire valider ensuite par un cabinet compétent au regard du droit du territoire, le recrutement éventuel d'un ou de plusieurs collaborateurs et la recherche d'une autonomie physique et morale pour cette filiale qui devient mature et peut s'installer dans de nouveaux locaux. Enfin, un soutien financier est nécessaire pour faire connaître et promouvoir la marque et le produit, souvent inconnus sur le marché à conquérir. Cela représente du travail, bien sûr, mais dont les coûts ne sont pas nécessairement très élevés. Les employés en poste dans les ambassades doivent avoir une obligation de réussite dans l'aide au développement à l'export, qui doit devenir une priorité dans leur action. Ils doivent, pour un certain nombre, devenir extrêmement compétents et référents dans ce domaine. Réussir challenge après challenge à ce que la France soit de plus en plus présente sur le marché mondial, vaut bien des buts marqués dans les stades des compétitions sportives internationales. On pourrait d'ailleurs penser à intéresser ces champions du développement des marchés de la France à l'international, en fonction du volume d'accroissement d'activité lié à leur action sur tel ou tel territoire.
Lorsque nous laissons les PMI seules pour tout apprendre à leurs dépens, le coût financier et l'énergie exigés absorbent tout ce qui aurait dû être consacré au développement de leur marché pour le faire fructifier rapidement. C'est parfois, et même très souvent, épuisées de toutes parts qu'elles abandonnent la partie sans recueillir les fruits de leurs investissements.
Les grands groupes d'aujourd'hui ont bénéficié, eux, à une certaine époque, d'aides et d'accompagnements à l'exportation, comme nous, au Japon, où nous avons réalisé depuis 1992, très exactement 29 694 706 euros de chiffre d'affaires. L'accompagnement n'a pourtant pas coûté très cher à l'État mais il a été très efficace.
Ainsi, pour le marché japonais, nous avons bénéficié à Tokyo de trois jours d'accompagnement gratuit par un attaché d'ambassade qui avait pris tous les rendez-vous avant notre arrivée, en particulier avec notre futur distributeur sur ce territoire. Nous avons également bénéficié de l'aide d'un cabinet de protection industrielle et intellectuelle pour le dépôt des brevets, des marques et des modèles, et d'un cabinet juridique pour une relecture du projet de contrat de partenariat. Nous avons enfin pu effectuer une tournée dans les grands magasins pour repérer le marché et rencontrer le directeur de la banque de notre futur partenaire, pour être informés sur sa solvabilité. Toutes ces prestations ont été fournies gratuitement et je suis extrêmement reconnaissante envers cet attaché d'ambassade, grâce à qui nous avons pu nous développer au Japon, ce qui a sauvé l'entreprise.
Malheureusement, les temps ont bien changé : l'an dernier, nous avons posé quatre questions à Business France, avant de nous rendre au Japon où notre distributeur était en difficulté. La réponse fut un devis de 3 600 euros et un développement général sur les marchés, sans lien avec les difficultés que nous traversions alors. Nous avons dû nous adresser à un cabinet de consultants privé qui nous a facturé 2 000 euros en répondant très précisément à toutes nos questions, en y associant un accompagnement d'une journée auprès de notre distributeur par une personne compétente, qui nous a présenté ensuite des axes stratégiques et fourni des conseils qui nous permettent de sortir de la crise.