Le transport public particulier de personnes (T3P) est au coeur des débats suscités par l'économie dite collaborative. Cette expression renferme différentes réalités, de la start-up française qui innove et s'inscrit dans une dynamique collaborative, à la multinationale qui se développe sur la base de schémas d'optimisation fiscale et veut imposer un monopole sectoriel en mettant en concurrence les travailleurs indépendants entre eux. Dans ce dernier exemple, on est loin de l'esprit collaboratif !
On retrouve ce paradoxe dans le transport public particulier de personnes, où les tensions entre les acteurs se manifestent par des conflits réguliers. Au-delà de nos sensibilités, la question qui nous est posée collectivement consiste à savoir comment concilier la révolution numérique et le progrès humain.
Les comportements des usagers se sont profondément modifiés avec le développement de l'économie du partage et de la fonctionnalité – covoiturage, Autolib' et Velib' à Paris –, tout comme celui des collectivités, avec la mise en place de voies réservées aux bus, la piétonisation croissante, la baisse du nombre de places de stationnement, le développement des zones 30, la baisse de 25 % de la circulation à Paris en dix ans. Les mutations technologiques, qui accélèrent ces changements, imposent de repenser régulièrement l'équilibre du secteur, le cadre juridique, la qualité de service pour les usagers et l'avenir de ceux qui travaillent au quotidien dans ce secteur.
Ainsi, la généralisation et la facilitation de l'utilisation des réservations numériques sur les applications de voitures de transport avec chauffeur (VTC), comme sur celles dévolues aux taxis, sont venues bouleverser le fonctionnement des taxis et percuter le monopole de la maraude, qui est la contrepartie de l'autorisation de stationnement (ADS). La maraude numérique a, elle aussi, suscité des débats : comment la contrôler, avec quels outils ?
Certains acteurs ont parfois le sentiment, à juste titre, d'être confrontés à une jungle urbaine, un Far West technologique où chacun cherche à imposer ses règles à l'État de droit par un état de fait, grâce au nombre et à la massification. Or nous sommes sur le domaine public, et il s'agit bien d'une question d'ordre public et de régulation. Les enjeux de la mobilité doivent concilier la création de richesses et d'emplois, la sécurité publique, la protection de l'environnement et l'innovation, et la protection des personnes – consommateurs, salariés et artisans.
Le taxi est parfois présenté par ses détracteurs comme une profession en voie de disparition alors même que, partout dans le monde, il est le premier à nous accueillir – en association avec les VTC dans certaines mégapoles – et qu'il est le seul transporteur à couvrir tout le territoire français, en zone urbaine, périurbaine et rurale. Contrairement à certaines idées reçues, il a un avenir, puisqu'en vingt-cinq ans, le nombre d'ADS est passé de 42 000 à 60 000, ce qui représente une augmentation de 41 %. Il faut y ajouter les conséquences de l'adoption en 2009 de dispositions législatives qui ont largement facilité l'accès à la profession de chauffeur de VTC et le dispositif résultant de la loi d'orientation des transports intérieurs de 1982, dit LOTI léger, initialement collectif et sur réservation, mais qui a été contourné par certaines plateformes depuis quelques années.
Les conflits réguliers sont souvent présentés, à tort, comme des conflits entre les taxis et les VTC alors qu'il s'agit plutôt d'une mobilisation des chauffeurs de taxi, VTC et LOTI face aux logiques de dumping social qui tendent à s'imposer. De ce point de vue, la France ne constitue pas une exception. Il n'est que de voir ce qui se passe à Londres, New York, Los Angeles, Montréal, et bien d'autres villes de par le monde, où les chauffeurs se mobilisent. Quel que soit leur statut, ils sont confrontés à une paupérisation, niée par certains mais que j'ai pourtant eu l'occasion de constater sur le terrain lors de nombreux échanges. Ainsi, il n'est pas rare de rencontrer des chauffeurs de taxi qui réalisent moins de 130 euros de courses par jour alors qu'ils doivent rembourser l'annuité d'emprunt pour leur ADS, le matériel et les charges.
Pour ce qui est des VTC, beaucoup exercent sous le régime de la microentreprise, avec le statut d'autoentrepreneur, pour un revenu moyen de 440 euros par mois, ce que confirme une récente étude de l'INSEE. Un chauffeur VTC travaillant à temps plein – 37 heures sur quarante-cinq semaines –, au plafond du régime d'autoentrepreneur, perçoit l'équivalent du RSA pour une personne seule une fois qu'il a payé la commission de la plateforme, les charges sociales, les frais de chambre, le carburant, la location du véhicule, l'assurance et l'entretien. Il est donc obligé de travailler 14 ou 15 heures par jour pour réussir à vivre de son activité. Quant au chauffeur LOTI, on lui a le plus souvent proposé un contrat à temps partiel optimisé par un régime de microentreprise complémentaire de l'activité salariale. Telle est la réalité de ce secteur.
Le T3P est pourtant un secteur d'avenir si l'on se réfère à l'évolution démographique, à la croissance du tourisme et de la fréquentation des aéroports. Il recèle des gisements d'emplois répondant aux enjeux de la transition écologique, non délocalisables et générateurs de ressources fiscales domestiques. Il est donc nécessaire de saisir les opportunités offertes au consommateur par l'innovation technologique, tout en protégeant les personnes.
C'est le sens de la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux VTC – dont je salue l'auteur, notre collègue Thomas Thévenoud – qui a rééquilibré les contraintes pesant sur les différents acteurs, harmonisé certaines règles qui constituaient des distorsions de concurrence, modernisé le droit et les outils – je pense en particulier à l'open data des taxis, ou à l'obligation de disposer d'un terminal de paiement électronique (TPE). Le taxi a toutefois connu une stagnation à partir de 2014, et même un décrochage en 2015. Bien sûr, il faut distinguer la situation des grandes agglomérations de celle des zones rurales, où l'économie du taxi repose essentiellement sur le transport assis de patients (TAP). Dans les grandes agglomérations, la coexistence de deux modes de T3P est difficile dans la mesure où ces deux modes s'exercent dans des conditions légales, sociales, financières, technologiques et culturelles différentes. Il est donc essentiel, pour pacifier le secteur et donner de la visibilité à ses acteurs, de prendre des mesures de cohésion passant par la responsabilisation, la régulation et la simplification : c'est tout le sens de la proposition de loi que je vous présente aujourd'hui.
Le 26 janvier dernier, le Premier ministre m'a confié la mission de rechercher des solutions pour sortir de la crise touchant le secteur des taxis. Le Premier ministre Manuel Valls, les ministres Alain Vidalies, Bernard Cazeneuve, et moi-même, avons reçu l'ensemble des organisations de taxis à Matignon dès le 28 janvier. À l'issue de cette concertation, j'ai proposé plusieurs solutions immédiates.
La première consistait en un renforcement des contrôles : plus de 15 000 véhicules, taxis, VTC et LOTI, ont ainsi été contrôlés depuis le mois de février, notamment dans le cadre d'opérations relevant des Comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), avec le concours des Boers – la brigade de police spécialisée dans le contrôle des taxis – et d'autres forces de police et de gendarmerie dont je salue l'implication, car tous ces personnels sont actuellement très sollicités. Des formations ont été organisées en direction des services de police et de gendarmerie dans les départements.
La deuxième solution consistait en la mise en place de cellules d'accompagnement des situations individuelles, dans chaque département, pour aider les chauffeurs en difficulté. Plusieurs centaines de dossiers ont été déposées auprès des cellules, qui travaillent en liaison avec les services fiscaux, l'URSSAF et le médiateur du crédit, que les chauffeurs peuvent également saisir directement.
Enfin, des lettres de mise en demeure ont été envoyées aux plateformes numériques pour leur demander des éléments d'information sur les chauffeurs qu'elles mettent en relation avec les clients. L'absence de réponse de leur part a conduit les pouvoirs publics à réagir en légiférant, afin que le régulateur puisse disposer des outils nécessaires à l'exercice de sa mission.
Par ailleurs, un travail de concertation a été effectué avec tous les acteurs. J'ai ainsi rencontré l'ensemble des organisations de taxis, de VTC et de LOTI ainsi que les responsables des plateformes numériques, avant de présenter un plan d'accompagnement, de modernisation et de cohésion du secteur. La mise en place de ce plan passe par une distinction claire entre les différents métiers ; une meilleure identification des acteurs et des qualifications nécessaires au transport de personnes et à la protection du consommateur, par la mise en place d'un tronc commun d'examen pour les taxis et les VTC ; une régulation du numérique afin d'éviter de nouvelles dérives ; une modification de la gouvernance ; la prise en compte des difficultés de la profession et de la situation des locataires – il s'agit ici de la difficulté d'accès aux licences ; une solution au problème des licences avec la création d'un fonds de garantie. La plupart de mes propositions ont été reprises dans la feuille de route pour l'avenir du secteur du T3P présentée par Alain Vidalies à tous les acteurs – taxis, VTC, LOTI, plateformes numériques – le 4 avril dernier, et quatre groupes de travail ont été mis en place.
Dans la continuité de ce travail, j'ai déposé, avec mes collègues du groupe Socialiste, écologiste et républicain, une proposition de loi visant à responsabiliser les plateformes, à doter les pouvoirs publics d'instruments de régulation sans pour autant empêcher l'innovation – un observatoire national afin de disposer de données fiables, la remontée d'informations liées à l'absence de réponse des plateformes aux questions formulées dans les lettres de mise en demeure –, à simplifier les statuts des chauffeurs pour clarifier l'offre pour le consommateur, et à permettre aux chauffeurs de travailler avec différentes plateformes, ce qui consiste, en fait, à remettre en cause les clauses d'exclusivité.
C'est volontairement que nous n'abordons pas la question de la maraude, qui ne pose pas un problème résultant du dispositif légal en vigueur, mais de l'absence de contrôle de son application. La question du fonds de garantie n'est pas non plus évoquée, puisqu'il ne serait pas opportun de la traiter dans le cadre d'une proposition de loi : c'est dans le cadre de la loi de finances qu'elle a vocation à être réglée – Alain Vidalies recevra d'ailleurs toutes les organisations concernées jeudi prochain afin de faire le point sur cette question. Notre proposition ne supprime pas complètement le régime LOTI, qui a une utilité et un objet qui lui sont propres. Enfin, on ne détaille pas le tronc commun d'examen, qui n'est pas de niveau législatif, mais réglementaire.
L'article 1er vise à améliorer le régime déclaratif et l'obligation pour les plateformes, considérées comme des centrales de réservation qui organisent des déplacements, de vérifier que les personnes mises en relation respectent bien les règles d'accès à la profession de VTC. Il s'agit de remédier à une situation que nous avons connue pendant la crise survenue début 2016, au cours de laquelle les pouvoirs publics se sont trouvés dans l'incapacité d'obtenir dans de brefs délais les éléments permettant de réguler face à des comportements nouveaux qui ne sont pas acceptables.
L'article 2 a pour objet d'améliorer la connaissance du secteur par l'ensemble des acteurs, publics et privés, et un observatoire national du secteur sera ensuite créé, qui va permettre de disposer de données fiables. Je vous proposerai une réécriture de l'article visant à garantir que ces données restent confidentielles.
L'article 3 vise à empêcher les clauses d'exclusivité et donc à permettre aux chauffeurs, quels qu'ils soient, de travailler avec plusieurs plateformes. Cela permettra d'éviter les situations de monopole ou de duopole tout renforçant la concurrence entre les acteurs et l'indépendance des entreprises de transport.
L'article 4 a pour objet de simplifier le secteur au moyen du régime LOTI léger. En ce qui concerne les statuts des chauffeurs, comment expliquer à un consommateur que dans le cas où il effectue une réservation de groupe, il peut faire appel à un LOTI léger, mais que cela lui est impossible quand il est seul ? Il est indispensable de simplifier ce qui ressemble à une vraie usine à gaz, pour revenir à deux statuts : les taxis et les VTC. Le LOTI, qui date de 1982, a été utilisé massivement en zone urbaine par les plateformes pour contourner la loi et imposer un état de fait à l'État de droit. Cela a été souligné par le rapport du Gouvernement sur l'application de la loi Thévenoud, publié fin 2015, dans lequel il était souligné que le régime LOTI était utilisé pour faire du VTC, en particulier à Paris, et que cela n'était sanctionné par aucune disposition législative ou réglementaire spécifique. La Préfecture de police avait indiqué qu'elle n'était pas en mesure de sanctionner de façon adéquate. Les acteurs demandaient alors un arrêt de l'usage abusif du régime de LOTI tandis que les VTC exprimaient eux-mêmes le souhait de voir s'opérer un alignement de la réglementation des LOTI sur celle des VTC, ce qui a abouti aux manifestations de mécontentement que nous avons connues fin janvier 2016.
Cela a totalement déséquilibré le marché en région parisienne. Une période de transition est prévue pour que les chauffeurs LOTI puissent demander l'équivalence VTC par reconnaissance de leur période d'activité – il n'est donc pas question de remettre en cause des emplois ; il s'agit simplement de simplifier des statuts juridiques. Dans le secteur rural, le statut ne pose aucun problème et ne nécessite donc pas de modification. Lorsque les plateformes dénoncent le fait que les critères de transition ne sont pas connus, elles omettent de dire que ces équivalences existent déjà, à partir de douze mois d'activité. Il faudra juste permettre aux chauffeurs LOTI de passer plus simplement au statut de VTC. La réalisation de services occasionnels sera donc interdite avec des véhicules de moins de dix places dans les périmètres des autorités organisatrices de mobilité (AOM) couverts par un plan de déplacements urbains (PDU) obligatoire. C'est le sens de l'article 4.
L'article 5 rassemble, dans une section commune, les conditions d'accès à la profession de conducteur de T3P.
L'article 6 vise à confier l'organisation des examens aux chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), afin d'harmoniser les conditions d'examen sur l'ensemble du territoire. Je précise que, contrairement à ce que l'on a pu lire dans la presse, le taux de réussite aux examens est quasiment identique pour les VTC et les taxis, et que les organismes présentant les taux de réussite les plus élevés sont ceux préparant à l'examen au moyen de formations.
L'article 7 corrige une erreur de rédaction dans la loi du 1er octobre 2014 concernant les titulaires d'une seule ADS délivrée avant 2014, qui devaient l'exploiter personnellement au 1er janvier 2017, ce qui posait un problème aux entreprises employant des salariés.
Comme l'a rappelé le Président de la République le 11 février dernier, « la concurrence doit être régulée. On ne peut pas faire que des gens qui ne paient pas d'impôts ni de cotisations sociales puissent s'introduire sur les marchés ». Il faut effectivement rétablir l'équité et le principe d'une concurrence saine et loyale. Le Premier ministre a, quant à lui, déclaré le 8 juin dernier que « trop souvent, les plateformes imposent leur état de fait à l'État de droit. Il faut donc anticiper, accompagner les innovations, mais aussi protéger les personnes, les salariés, les artisans ».
Pour ma part, je pense qu'il est tout à fait possible de répondre aux attentes des consommateurs en favorisant le recours aux innovations, tout en protégeant les acteurs du transport de personnes, afin d'aboutir à la mise en place d'un modèle pacifié, reposant sur des statuts clairs et permettant à chacun de travailler. Tel est le sens de cette proposition de loi.