Cette enquête a commencé au début de 2015, les termes en ayant été définis en février 2015 lors d'une rencontre avec vous-même, monsieur le président, ainsi qu'avec Mme Pires Beaune.
Un mot sur la méthode : nous avons travaillé tout à la fois à partir de données nationales et d'un échantillon de trente départements appartenant à dix régions – échantillon que nous avons souhaité représentatif pour examiner les schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) – ainsi qu'un échantillon de 330 syndicats. Le rapport dont vous êtes saisis comporte deux volumes : le premier contient le rapport de synthèse stricto sensu, et le second comporte des annexes contenant trente monographies départementales concernant les trente départements étudiés.
Sur ce sujet qui est loin d'être simple, je diviserai mon intervention en trois parties. Nous avons d'abord dressé un état des lieux du paysage syndical qui, au début de 2016, se caractérise par un nombre encore important de syndicats. Ensuite, nous avons tâché de comprendre pourquoi la politique de simplification du paysage intercommunal menée depuis l'entrée en vigueur de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 a rencontré des difficultés, et lesquelles. Enfin, nous avons voulu constater les premiers effets immédiats et différés de la loi NOTRe, que vous avez adoptée en août 2015 et qui comporte des dispositions précises sur les nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) et sur les syndicats, et ce à quoi l'on peut s'attendre en matière de simplification.
Premier constat : le nombre de syndicats demeure important. Au 1er janvier 2016, c'est-à-dire avant la vague de simplification actuelle, il y avait encore un peu moins de 8 000 SIVU, environ 1 150 SIVOM et 2 000 SMF – étant entendu que nous n'avons pas abordé la question des syndicats mixtes ouverts mais seulement celle des syndicats mixtes fermés, en cohérence avec l'approche intercommunale de l'enquête. Nombreux sont les syndicats de petite ou de très petite taille, qui sont à l'image de l'émiettement communal ; c'est particulièrement le cas des SIVU. La diversité des syndicats correspond davantage à l'histoire des départements qu'à leurs caractéristiques démographiques. Ainsi, il serait tout à fait erroné de prétendre qu'il existe un grand nombre de syndicats dans les zones rurales, tandis qu'ils sont moins nombreux dans les zones urbaines : les choses ne sont pas si simples. Nous avons dressé une carte qui montre les écarts de densité du nombre de syndicats par département. Hormis quelques exceptions en Aquitaine, c'est surtout dans un grand quart nord et est du territoire que se trouvent les plus fortes densités de syndicats.
Le nombre de syndicats a très lentement diminué entre l'entrée en vigueur de la loi dite « Chevènement » sur la coopération intercommunale de 1999 et la fin des années 2000, puis cette baisse s'est accélérée. Il existait encore 18 000 SIVU et SIVOM en 1995, contre 9 000 seulement en 2015. Paradoxalement, l'accélération de la baisse du nombre de syndicats n'a pas été un effet immédiat de la loi de 2010, mais plutôt différé : c'est en 2013 et 2014 que ce mouvement de suppression s'est opéré.
Notons qu'en dépit de la forte baisse du nombre de syndicats, environ 150 nouveaux syndicats ont été créés. Si la création de SMF n'a rien d'étonnant, il s'est tout de même créé 63 SIVU et 8 SIVOM entre janvier 2015 et avril 2016, et ce non pas seulement dans le domaine scolaire. Dans le même temps, le nombre de communautés de communes et d'agglomération s'est réduit : il en restait 2 000 au début de 2016, avant que les nouveaux schémas ne produisent leur effet.
Les compétences de ces syndicats couvrent principalement l'eau, l'assainissement et les activités scolaires – regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), activités périscolaires ou transports scolaires.
J'en viens à l'enjeu financier, qui n'est certes pas négligeable, mais qui reste modéré : en comptabilité nationale, l'ensemble des syndicats représentent un poids financier de l'ordre de 10 milliards d'euros. Cela étant, toutes les dépenses engagées ne se trouvent pas dans les comptes des syndicats, en particulier ceux qui gèrent des services publics industriels et commerciaux, puisque les coûts de fonctionnement et de personnel des services liés à l'eau ou à l'assainissement, par exemple, relèvent de délégations de service public. Autrement dit, le poids financier que j'évoquais est celui qui apparaît dans les comptes publics, à quoi il faut ajouter celui des délégations de service public.
À votre demande, nous avons examiné le coût de fonctionnement des syndicats : les dépenses de rémunération sont de l'ordre de 1,5 milliard d'euros. Quant aux indemnités des élus, elles représentent 80 millions d'euros, soit 0,8 % des recettes de fonctionnement des syndicats.
L'effort d'investissement des syndicats de métropole n'est pas négligeable : il s'élève à 3,5 milliards, contre 17 milliards pour les communes et 5 milliards pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Au total, l'état des lieux dressé avant que la loi NOTRe ait porté ses fruits révèle une organisation départementale encore foisonnante. Les structures syndicales continuent de se surajouter à la densité persistante de la carte communale et de celle, en voie de transformation, des EPCI à fiscalité propre.
Comment expliquer les difficultés qui entravent la politique de simplification voulue par le législateur en 2010 par la loi portant réforme des collectivités territoriales ? Le rapport rappelle dans un premier temps les différents leviers que ladite loi mettait à la disposition des préfets, notamment le schéma de coopération intercommunale, qui a un caractère prescriptif, ainsi que les pouvoirs renforcés accordés aux préfets pour une durée limitée ou encore les dispositions explicites permettant la fusion de syndicats et les moyens alloués pour encourager les dissolutions. Un premier mouvement avait également été engagé pour favoriser les compétences obligatoires et optionnelles des communautés de communes et d'agglomération, que la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) et la loi NOTRe ont prolongé.
Nous avons dressé le bilan des schémas de 2011 et celui des schémas de 2015 et 2016. À l'évidence, pour des raisons que l'on peut comprendre, les préfets et les élus ont donné la priorité à l'achèvement de la carte de l'intercommunalité à fiscalité propre afin de couvrir le territoire. La simplification de la carte syndicale, même si elle a directement découlé de ce mouvement, a naturellement constitué une sorte de variable d'ajustement lors de la négociation des nouveaux schémas. En fin de compte, les préfets n'ont que rarement recouru aux pouvoirs renforcés, notamment le pouvoir de passer outre l'opposition des communes concernées.
La photographie de la situation en 2015 – qui, heureusement, est vouée à évoluer et dont je rappelle qu'elle date d'avant la loi NOTRe – révèle un certain nombre de cas insatisfaisants. Il restait encore de nombreux exemples de doublons et surtout de chevauchements de périmètres et de compétences, d'où l'empilement de structures de nature diverse sur un même territoire. Cela s'explique tout à la fois par la non-coïncidence des cartes et par la non-reprise des compétences par l'EPCI à fiscalité propre, en raison notamment d'un découpage parfois artificiel découlant de la définition de l'intérêt communautaire. Il restait aussi un certain nombre de bizarreries : ainsi, 315 syndicats géraient encore des lycées et des collèges et se survivent à eux-mêmes, alors qu'ils auraient dû disparaître depuis une trentaine d'années. De même, il existait 412 syndicats « dormants » dont le compte est neutre – et je laisse de côté les syndicats dont l'activité est faible. Le secteur d'Auffray illustre parmi mille autres exemples la superposition des différents périmètres institutionnels. Les monographies figurant dans les annexes du rapport présentent d'autres exemples cartographiés.
Pourquoi un tel enchevêtrement persiste-t-il ? Pour des raisons que chacun connaît bien dans le domaine de l'eau et de l'assainissement : elles sont liées aux problématiques de bassins-versants, mais aussi à l'hétérogénéité des équipements et des modes de gestion sur un même territoire, où les tarifs et les délais d'échéance des contrats peuvent varier, ce qui n'interdit certes pas l'unification de la gestion d'un service sur un large territoire, mais qui la complique grandement. Il existe aussi de nombreux syndicats à vocation scolaire, qui ont connu un nouveau développement suite à l'adoption de la loi du 29 février 2012 visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale.
À ces difficultés inhérentes aux compétences des syndicats s'ajoutent trois grandes catégories de difficultés transversales : le poids de l'histoire et du contexte politique, des obstacles juridiques et des obstacles financiers ou comptables.
La Cour des comptes n'est pas la mieux placée pour juger du poids de l'histoire et du contexte politique, mais il est indéniable que les territoires se caractérisent par des réalités vivantes qui expliquent qu'il soit par exemple très difficile de mener à bien la rationalisation et le mouvement de fusion des communautés et des syndicats dans le sud.
Les obstacles juridiques tiennent d'abord au caractère restrictif – auquel la loi NOTRe a largement remédié – de la définition de l'intérêt communautaire de certaines compétences exercées par les communautés, d'où le fait que d'autres fractions de compétences, sur un territoire plus limité, ont pu être confiées à des SIVU ou à des SIVOM. Autre obstacle juridique : la lourdeur des mécanismes de dissolution des syndicats dormants en dehors de la période au cours de laquelle les préfets disposent de pouvoirs exceptionnels.
Quant aux obstacles financiers et comptables, ils sont liés au fait que l'extension des communautés et son corollaire, la disparition de syndicats par dissolution ou par fusion, supposent de posséder une connaissance extrêmement précise des actifs et des passifs des syndicats concernés, ce qui présente souvent de très grandes difficultés. En effet, c'est lors de la dissolution du syndicat que l'on s'aperçoit parfois que tout n'a pas été fait correctement dix ou vingt ans auparavant et que la dévolution des biens n'a pas été effectuée comme elle aurait dû l'être, ou encore que les équipements n'ont pas été amortis en temps utile. Autre difficulté : ces syndicats sont souvent porteurs d'un investissement et donc liés par un emprunt qu'il n'est pas difficile, en théorie, de restituer aux communes membres avant de le renvoyer à la communauté ; cela représente toutefois un travail important et suppose que les élus locaux soient fortement accompagnés par la préfecture, par le comptable et par la DGFiP, laquelle s'y est à nouveau engagée.
La loi NOTRe prolonge le dispositif prévu dans la loi de 2010 avec le schéma départemental de coopération intercommunale, les attentes en matière de simplification du paysage syndical étant accentuées. D'autre part, l'élargissement des communautés de communes à une base minimale de 15 000 habitants – hormis les exceptions prévues par la loi – a pour conséquence logique, si les compétences sont correctement transférées, qu'elles absorbent les syndicats qui se trouvent sur leur territoire. Surtout, vous avez décidé – c'est l'une des dispositions les plus fortes du texte – que les compétences relatives à l'eau et à l'assainissement seraient transférées de droit aux EPCI à fiscalité propre – s'ajoutant ainsi à la compétence de gestion des déchets et de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) – entre 2017 et 2020, ce qui aura des conséquences très importantes, voire décisives, sur la carte syndicale. Enfin, le transfert de la compétence en matière de transport scolaire aux régions pourrait produire un effet différé sur l'organisation des réseaux de transport scolaire au niveau infradépartemental, quoique nous ne puissions encore en juger précisément à ce stade.
Ayant achevé le présent rapport au début du mois de juin, nous avons pu faire le point sur les SDCI pour 2015 et 2016, en comparant les projets de schémas de 2015 et les schémas définitifs tels qu'ils ont été adoptés dans les trente départements étudiés. Or, cette comparaison révèle des différences. Au niveau national, tout d'abord, la direction générale des collectivités locales (DGCL) et l'Association des communautés de France (AdCF) envisagent la suppression ferme de 1 300 à 1 400 syndicats – sur 10 000 – par les arrêtés de périmètre. Pourtant, les projets de schémas des trente départements couverts par notre étude prévoyaient à eux seuls la suppression d'un millier de syndicats – ce qui, par extrapolation à tous les départements, aurait signifié la suppression d'environ 3 000 syndicats à l'échelle nationale. L'examen des schémas définitifs montre que ces ambitions ont été très largement revues à la baisse. En Isère, par exemple, il était prévu 50 fusions ou disparitions de syndicats ; il n'en est resté que 19 ; en Eure-et-Loir, où l'on nous annonçait 93 disparitions, il ne s'en est produit aucune à ce stade. Dans le Rhône, 66 disparitions étaient prévues mais 9 seulement ont eu lieu.
Précisons que les schémas départementaux se composent d'un premier volet contenant des décisions fermes qui se traduiront par des arrêtés de périmètre et, par conséquent, des dissolutions qui se produiront d'ici à la fin de l'année, dans le cadre de la période de pouvoirs exceptionnels accordés aux préfets, mais aussi d'une seconde étape pour les années 2017 à 2020, au cours de laquelle la suppression de syndicats sera de nouveau envisagée de manière plus prospective ou optionnelle. Ce processus n'est pas dénué de pertinence dans la mesure où, pour les raisons que j'indiquais, le mouvement de transfert de compétences en eau, assainissement et gestion des déchets produira un effet différé. Reste néanmoins une incertitude liée au fait que si nous disposons désormais des nouveaux arrêtés de périmètre des EPCI à fiscalité propre, leurs compétences étendues ne sont pas encore précisément définies ; il se produira donc le moment venu un effet de seconde vague sur les syndicats. Nous en déduisons que si la suppression de 1 300 à 1 400 syndicats est d'ores et déjà prévue, il se peut que le nombre de disparitions et de fusions d'ici à 2020 soit beaucoup plus important.
Nous avons également voulu montrer que ce mouvement de recomposition pourrait avoir des effets en termes de mutualisation et d'économies, mais qu'il ne faut pas se leurrer : dans un premier temps, il pourrait au contraire se produire un surcroît de dépenses liées à l'exercice de compétences techniques, étant entendu qu'il se traduirait par une élévation du niveau de qualité. Ce sera notamment le cas lorsque les équipements livrés à l'EPCI à fiscalité propre ont été mal entretenus. Dans ce domaine, qui n'est pas seulement d'ordre comptable, il peut d'ailleurs se produire des effets d'aubaine, car certains EPCI à fiscalité propre hériteront d'équipements parfaitement bien entretenus par les syndicats, tandis que d'autres hériteront d'équipements en mauvais état dans lesquels il faudra investir. On peut y voir une forme d'iniquité pour les populations concernées.
La période de 2017 à 2020 sera importante. La DGCL devra exercer un pilotage ferme et un suivi fin pour accompagner la simplification de la carte syndicale. Il faudra veiller à la disparition effective des 4 213 SIVU potentiellement concernés par le transfert des compétences, dont 2 232 sont chargés de l'eau et 1 000 de l'assainissement. Il faudra également accompagner les opérations de dissolution.
Ensuite, de deux choses l'une : soit toutes les compétences exercées par les syndicats seront transmises à l'EPCI qui les exercera sur l'ensemble du territoire, soit certaines communes du territoire en question se trouveront dans la nécessité – légitime – de se regrouper pour exercer en commun certaines compétences de proximité. De ce point de vue, il existe un arsenal juridique intéressant – que vous avez renforcé par la loi NOTRe – permettant la prestation de services par une commune pour d'autres, ou encore la fourniture de services communs, qu'il s'agisse de fonctions de support ou de fonctions opérationnelles. Ces instruments doivent être exploités davantage qu'ils ne le sont.
J'en viens enfin aux perspectives. Nous pensons qu'il se produira un nombre non négligeable de dissolutions supplémentaires d'ici à 2020. Parviendrons-nous néanmoins à supprimer tous les SIVU et SIVOM ? Qu'en sera-t-il des syndicats mixtes fermés ?
Selon nous, les SMF, à défaut de se multiplier, continueront de grossir pour gérer certains services publics à l'échelle quasi départementale. En revanche, le nombre de SIVU et de SIVOM continuera de diminuer. Cependant, il faudra les cartographier en 2020, car il en restera certainement plusieurs milliers. Combien en restera-t-il précisément lorsque le bruit et la poussière de la réforme seront retombés ? Peut-être trois à quatre mille. Deux scénarios pourront alors être envisagés : soit le Gouvernement et le Parlement décident de supprimer définitivement cette catégorie, soit vous estimez qu'il demeure des besoins ciblés dans certains secteurs comme le secteur scolaire ou dans certains territoires ruraux ou de montagne, par exemple, auquel cas il faudra redéfinir la cartographie des syndicats et sans doute – c'est ce que nous prônons – ouvrir une nouvelle période de pouvoirs exceptionnels des préfets pour accompagner ce dernier mouvement de simplification, en fonction des choix que vous aurez faits. Il n'appartient pas à la Cour de trancher cette alternative.