Intervention de Christophe Bouillon

Séance en hémicycle du 11 juillet 2016 à 16h00
Stockage en couche géologique des déchets radioactifs — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Bouillon, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons porte sur les modalités, notamment la réversibilité, de la création d’une installation de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue.

Elle s’inscrit pleinement dans la continuité d’une série de textes examinés et votés par le Parlement. C’est en 1991 que celui-ci adopte la loi Bataille, dont je salue l’auteur, relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. Il s’agit du premier jalon de ce processus.

C’est en 1994 que quatre sites possibles pour l’installation d’un laboratoire de recherche en profondeur sont validés. En 1998, le site de Bure, situé à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne, est retenu. En 2000, commencent les travaux d’implantation du laboratoire souterrain.

En 2005, l’ANDRA remet au Gouvernement un dossier dans lequel elle conclut à la faisabilité et à la sûreté du stockage profond sur le site de Bure, tandis que le Commissariat à l’énergie atomique ou CEA remet les conclusions de ses études alternatives au stockage profond, c’est-à-dire à la séparation-transmutation et l’entreposage de longue durée. Au cours de la même année, un débat public est organisé sur la gestion des déchets radioactifs, par la Commission nationale du débat public.

En 2006, après un débat au Parlement, une loi est votée. Elle retient le stockage réversible profond comme la solution la plus sûre sur le très long terme pour gérer les déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

En 2013, un nouveau débat public est organisé, toujours sous l’égide de la Commission nationale du débat public.

En 2015, un avant-projet sommaire prépare les options techniques relatives à la réversibilité, ce qui ouvre la voie au dépôt de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Ce texte a été déposé au Sénat le 30 mars 2016 par Gérard Longuet, Christian Namy et plusieurs de leurs collègues. Il s’inspire fortement d’une proposition de loi semblable, déposée devant l’Assemblée nationale le 10 novembre 2015 par Jean-Yves Le Déaut, Jean-Louis Dumont et Christian Bataille, trois acteurs essentiels, très investis sur ce thème et dont je salue le travail.

Le texte était attendu, étant annoncé dès l’article 12 de la loi du 28 juin 2006 qui prévoyait une « loi fixant les conditions de réversibilité ». Selon ce même article, ce n’est qu’après promulgation de cette loi, que « l’autorisation de création du centre peut être délivrée par décret en Conseil d’État, pris après enquête publique ».

Deux débats publics ont donc été organisés et deux lois adoptées, avant la présente proposition de loi qui est la troisième. Le Parlement a été consulté et associé au processus décisionnel à plusieurs reprises. D’autres rendez-vous sont prévus, notamment par ce texte. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a été elle aussi étroitement associée au processus. En effet, le 3 février dernier, l’ANDRA a été entendue. Le 1er mars, ce fut le tour de l’Autorité de sûreté nucléaire. Un an auparavant, le 4 mars 2015, des membres de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – IRSN – se sont exprimés devant cette même commission.

Le texte qui nous est soumis n’a donc pas pour principal objet le principe même du stockage souterrain mais les modalités de sa réversibilité. En effet, il a d’emblée été décidé que le stockage devait avoir un caractère réversible afin de ne pas obérer les capacités de décision des générations futures. Il s’agit d’un choix éthique et responsable. En prévoyant la réversibilité du stockage des déchets et en la facilitant, nous permettons à nos descendants de les gérer autrement si à l’avenir une autre solution était mise au point ; dans le cas contraire, les générations futures resteront libres de les gérer en fonction des solutions techniques disponibles ou de les laisser stockés en profondeur.

Cette proposition de loi ne vaut pas décision d’exploitation du centre de stockage. La décision ultime incombera au pouvoir exécutif qui prendra, ou pas, le décret autorisant sa création, après enquête publique et sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire. Une fois pris ce décret d’autorisation, vers 2025, une phase industrielle pilote sera mise en oeuvre pendant environ cinq ans. Il s’agira de réaliser des opérations d’essai de stockage, de colis inactifs dans un premier temps, afin de préparer le bon démarrage de Cigéo et la montée en régime de son exploitation. Si cette étape est concluante, les premiers déchets radioactifs ne seront reçus qu’après autorisation de mise en service par l’Autorité de sûreté nucléaire, soit après 2030.

Les phases de l’évolution du centre de stockage souterrain se succéderont sous un étroit contrôle. Celui de l’Autorité de sûreté nucléaire a déjà été mentionné ; par ailleurs, le Parlement sera encore consulté car une loi sera nécessaire pour aller au-delà de la phase pilote. Les collectivités territoriales concernées, qui font également l’objet d’une consultation dans la phase actuelle, seront à nouveau consultées à l’issue de la phase industrielle pilote. Enfin, des revues de mise en oeuvre du principe de réversibilité sont prévues. Elles devaient initialement avoir lieu au moins tous les dix ans, mais un amendement sénatorial a réduit à cinq ans l’intervalle entre deux revues.

La présente proposition de loi opère quatre modifications de la loi de 2006 et du chapitre correspondant du Code de l’environnement relatives à la définition de la notion de réversibilité, au lancement d’une phase industrielle pilote qui marquera le début de l’exploitation industrielle du site, à l’adaptation de la procédure d’autorisation et à l’adaptation du calendrier initial. Tout d’abord, la proposition de loi définit la notion de réversibilité comme suit : « La capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ». Elle prévoit en outre des revues périodiques de la mise en oeuvre du principe de réversibilité tous les cinq ans au moins.

Elle prévoit ensuite que l’exploitation du centre de stockage débutera par une phase industrielle pilote, conformément aux attentes exprimées lors du débat public organisé en 2013, visant notamment à conforter le caractère réversible de l’installation et à faire la démonstration de sa sûreté par un programme d’essais in situ. Les colis de déchets devront donc être aisément récupérables au cours de cette phase. Afin de tenir compte de l’ajout d’une phase pilote, le texte adapte en outre les procédures d’autorisation du centre de stockage en couche géologique profonde. Il prévoit ainsi que la phase pilote fera l’objet d’une autorisation de mise en service restreinte, l’autorisation de création couvrant ensuite l’ensemble du projet. Cette autorisation de mise en service des phases ultérieures ne pourra être accordée qu’après promulgation d’une loi débattue sur la base d’un rapport de l’ANDRA présentant les résultats de la phase industrielle pilote.

Enfin, le dispositif envisagé procède à l’adaptation du calendrier de mise en oeuvre. Il propose un ajustement des échéances initialement prévues par la loi de 2006. Il prévoit notamment un dépôt de demande d’autorisation de création du centre en 2017 au lieu de 2015 comme prévu initialement et reporte l’exigence de maîtrise foncière au moment de sa mise en service afin de permettre des acquisitions progressives de terrains ou de tréfonds cohérentes avec la progressivité du développement des ouvrages.

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté sans modification ce texte équilibré et nécessaire lors de sa réunion du 29 juin dernier. Les maîtres mots de cette proposition de loi sont responsabilité, progressivité, adaptabilité et flexibilité.

Deux écueils doivent être évités. Le premier consiste à définir un projet figé s’étalant sur plus de cent ans sans laisser aux générations suivantes la possibilité et la capacité de le remettre en cause et de revoir la copie en modifiant ses options. Le second écueil, qui menace plus d’un, consisterait à ne rien faire et à refuser d’assumer notre responsabilité. Ces déchets, en effet, existent. Les plus anciens, qui seront stockés notamment à Bure, existaient déjà avant la naissance de la plupart d’entre nous. La génération qui nous a précédés en a produit, notre génération a fait de même et continue à en produire. Ne pas s’en occuper, c’est laisser les générations qui suivent se débrouiller avec. Le choix de la réversibilité, telle qu’elle est définie dans cette proposition de loi, ouvre une voie qui évite ces deux écueils au profit de la responsabilité partagée.

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