Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, chers collègues, je vous invite en cet instant à faire preuve de la plus grande vigilance. L’enjeu dont nous discutons cet après-midi ne s’inscrit pas dans la cartographie classique des polémiques qui occupent le plus souvent notre hémicycle. La question des déchets nucléaires et de leur enfouissement convoque la notion même de responsabilité. En effet, les actes considérés auront des conséquences pendant des millénaires. Cette perspective comporte évidemment quelque chose de vertigineux et je conçois aisément qu’elle puisse déconcerter.
Le temps politique est souvent soumis au chronomètre électoral, considéré comme seul juge de paix de nos arbitrages. Telle décision facilitera-t-elle une réélection ? Sera-t-elle comprise ? L’art de gouverner, à l’heure des réseaux sociaux, est aussi l’art de plaire dans le temps immédiat. Il est aussi celui de dissimuler ce que l’on ne veut pas montrer au grand public. Je ne découvre pas cette réalité, qui est ancienne, et n’ai aucune naïveté au sujet de l’état de nos démocraties et du débat public. La crise démocratique, nous la connaissons et nous la constatons ! Elle est profonde et l’Histoire retiendra peut-être, malheureusement, que ce quinquennat l’a aggravée encore ! Par ces propos, je n’accable personne ; mais je ne me résigne pas à voir l’intérêt général devenir un paramètre parmi d’autres des décisions complexes. La dictature du court terme empoisonne le champ politique.
La protection des biens communs – et notre avenir en est un – doit à tout instant demeurer notre boussole. Je plaide ici pour que le temps long ensemence notre façon de voir et d’agir en politique, au contraire du texte que nous sommes en train d’examiner, car l’écologie n’est pas seulement un évangile de la sauvegarde mais bel et bien une révolution des consciences. Nous ne pouvons agir comme si le monde commençait et finissait avec nous. Nous devons forger et défendre une vision politique mise au service de la survie de l’humanité et de la préservation de la planète. Où allons-nous ? Que faisons-nous ? Quelle vision de nos lendemains communs guide nos décisions ? Une telle vision déplace dans le temps les limites de notre agir politique.
Par nos choix du temps présent, hérités en grande partie du passé follement nucléariste de notre pays, nous conditionnons le futur et donc la vie des générations dont notre avenir sera le présent. Voilà, au fond, ce dont nous débattons cet après-midi !
Permettez-moi, chers collègues, d’évoquer ici un problème de fond. Nous sommes appelés à nous prononcer sur un texte quasi vide, réduit à l’annonce d’un futur décret. Il est dangereusement vide ! Ni les coûts ni les risques ne sont portés à notre connaissance. Il ne faut pas seulement s’en émouvoir mais refuser de trancher des questions si profondes en disposant de si peu d’éléments. Le principe de responsabilité doit nous amener à refuser de nous prononcer à l’aveuglette. On ne gère pas l’avenir des déchets nucléaires à Colin-maillard ! Prenez en considération, chers collègues, le fait que ni l’Autorité de sûreté nucléaire ni l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire n’ont pu émettre un avis sur ce texte !
J’en viens au coût de ce qui nous est proposé, pour m’en étonner et dénoncer avec force le double langage de celles et ceux qui ont régulièrement et longuement évoqué ici la nécessité d’une véritable rigueur budgétaire lorsqu’il s’agissait de s’opposer à des avancées sociales destinées à nos concitoyennes et nos concitoyens mais oublient complètement la nécessité de maîtriser les coûts lorsqu’il s’agit de continuer à enfoncer la France dans l’hiver nucléaire ! Je vous alerte sur le fait qu’on demande aux députés de donner leur aval à un nouveau tonneau des Danaïdes !
J’en veux pour preuve que l’ANDRA évalue le coût de Cigéo à 34,5 milliards d’euros. D’autres estimations s’élèvent même à 41 milliards d’euros ! La phase pilote dont il est question dans le texte coûterait à elle seule 5,7 milliards d’euros, hors crédits de recherche, d’ici à 2034, or EDF n’a provisionné que 5 milliards d’euros ! Les difficultés financières de la filière nucléaire soulèvent clairement la question de sa capacité à financer de telles installations. Le report du démantèlement des centrales à uranium naturel graphite gaz, qui vient d’être annoncé, jette une lumière crue sur la réalité des difficultés financières actuelles d’EDF. Par ailleurs, la quasi-totalité de ces provisions consiste en actions sujettes aux aléas de la Bourse. Dès lors, comment penser que ce projet est économiquement raisonnable ? Écologiquement contestable, il est économiquement néfaste ! Aucune habileté ni aucun maquillage de la réalité ne masqueront les menaces qu’il fait peser sur une gestion rigoureuse des deniers publics !
Tout cela pour quoi ? Dans quel but ? Cigéo représente 80 000 m3 de déchets de moyenne et haute activité à vie longue, qui sont les plus dangereux jamais produits et resteront radioactifs pendant des milliers à des millions d’années. J’insiste sur ce point : pendant des milliers à des millions d’années ! Cigéo implique également la construction d’infrastructures gigantesques destinées au stockage des déchets, à la fois en profondeur – 300 km de galeries souterraines – et en surface. Ces déchets arriveront à un rythme de deux trains par semaine depuis La Hague pendant un siècle ! Je répète, que chacun écoute : deux trains par semaine depuis La Hague pendant un siècle ! À elle seule, la phase pilote évoquée dans la loi nécessitera le creusement de 40 km de galeries.