Intervention de Michèle Bonneton

Séance en hémicycle du 11 juillet 2016 à 16h00
Stockage en couche géologique des déchets radioactifs — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Bonneton :

Je vous laisse apprécier. Je n’en conclus rien, je me contente de soumettre ce fait à votre méditation.

Cette proposition de loi a trait aux déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue, tels qu’en produisent principalement nos centrales nucléaires, le CEA et notre défense. Comment traiter ces déchets ? C’est un problème extrêmement difficile que les écologistes ont soulevé sans cesse depuis que la France a décidé de produire une forte proportion de son électricité à partir de l’énergie nucléaire.

La loi dite Bataille du 30 décembre 1991 fixe les règles concernant les déchets nucléaires ultimes. Elle a été complétée par la loi du 28 juin 2006, laquelle préconise comme solution la création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde, destinée aux déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Le site géologique de la couche d’argile de Bure a été choisi.

Cependant la demande d’autorisation de création que cette loi prévoyait en 2015 doit être reportée en 2018, pour tenir compte des conséquences du débat public de 2013.

La réversibilité doit être définie, l’introduction d’une phase pilote est devenue nécessaire après le débat public. Ce sont ces points que le projet de loi d’aujourd’hui aborde.

Il s’agit d’enfouir des déchets radioactifs qui restent extrêmement dangereux pendant des centaines de milliers d’années, voire des millions d’années. L’inventaire des déchets enfouissables n’est d’ailleurs pas encore arrêté à ce jour. Actuellement, ces déchets sont stockés dans des contenants adaptés à La Hague ou près des lieux de leur production.

Cette proposition de loi est censée définir la notion de réversibilité, très différente du principe de précaution, monsieur Aubert, lequel ne définit d’ailleurs pas du tout la réversibilité. Il s’agit essentiellement d’intégrer les progrès technologiques – en l’espèce la transmutation, encore impossible aujourd’hui mais que l’on espère réalisable à l’avenir, proche ou lointain – ou une évolution de la politique énergétique, pendant une durée supérieure à 100 ans. Mais qu’est-ce que 100 ans au regard de la durée de vie de ces déchets, de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’années ?

Ce texte tend à inclure « la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérente avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage ». Or, la durée n’est pas précisée, mais il est bien mentionné qu’il y aura fermeture du stockage – on ne pourra donc plus récupérer quoi que ce soit.

En réalité, ce texte tente d’introduire une confusion entre réversibilité et récupérabilité. La réversibilité est définie de façon floue, comme devant permettre de poursuivre le stockage, ou de « de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ». Chacun pourra y trouver ce qu’il souhaite, avec une telle imprécision.

Ainsi, cette réversibilité n’implique pas que l’on puisse récupérer les colis au-delà de la phase industrielle pilote. Par ailleurs, cette phase pilote est annoncée devoir durer cinq ans. Au-delà, il y a aura peut-être réversibilité mais pas récupérabilité possible des déchets déposés ! Autrement dit, on s’interdit tout vrai retour en arrière possible !

M. le rapporteur du texte au Sénat a reconnu, de toute façon, qu’en couches profondes, compte tenu des mouvements des couches d’argile, la récupération serait quasiment impossible au-delà de cinquante ans.

Cette proposition de loi pose le principe de la phase industrielle pilote qui marquera le début de l’exploitation industrielle du site. Le Gouvernement pourrait autoriser l’exploitation industrielle par simple décret en Conseil d’État, comme l’a à nouveau précisé M. le secrétaire d’État. Ce décret pourra autoriser la création du centre de stockage à Bure, en Haute-Marne. Ainsi, le Parlement ne pourra pas débattre de cette création et l’inscrire, ou non, dans une loi ! On reconnaît bien là la tactique de l’engrenage : on enclenche un nouveau cran qui rend le retour en arrière extrêmement difficile, si ce n’est impossible.

Selon la loi de 2006, le Gouvernement devait présenter un projet de loi sur la réversibilité, ce qui offrait l’avantage de l’étude d’impact, non prévue dans le cadre de la proposition de loi. L’autorisation de créer le centre pouvait ensuite être donnée par décret si certaines conditions étaient remplies.

En l’espèce, la procédure proposée est toute différente puisque ce n’est qu’après le décret d’autorisation du centre que le Gouvernement pourrait présenter un projet de loi pour adapter les conditions d’exercice de la réversibilité. La nuance est importante car il ne s’agirait plus de réversibilité dans son ensemble mais de ses conditions d’exercice. Autrement dit, si ce texte était adopté, c’est lui qui servirait de référence pour définir la notion de réversibilité. C’est pourquoi j’ai insisté sur ce point tout à l’heure.

Si l’Assemblée nationale adoptait la proposition de loi Longuet transmise par le Sénat, le projet Cigéo serait gravé dans le marbre de la loi sans que ce soit tenu un débat parlementaire approfondi, sans tenir compte des questions et des nombreux arguments de la société civile et des citoyens depuis trente ans, que le projet d’enfouir en profondeur les déchets nucléaires ne cesse d’inquiéter.

Peut-être n’avez-vous pas abordé ce sujet autour de vous, mes chers collègues, mais pour ma part, à chaque fois que je l’ai soulevé, j’ai recueilli inquiétude et réprobation. Je tenais à le souligner car nous ne pouvons pas négliger l’avis de nos concitoyens.

Je ne citerai que quelques-uns des risques potentiels, chacun pouvant conduire à une catastrophe du fait de la dangerosité de ces déchets radioactifs qui dégagent, en plus de leur radioactivité, de l’énergie, de la chaleur, de l’hydrogène et j’en passe. Les risques d’incendie et d’explosion à 500 mètres de profondeur – l’hydrogène, extrêmement explosif, et la chaleur ne font pas bon ménage –, les pannes de ventilation, les actes de terrorisme, les malveillances, les accidents divers : autant de points d’interrogation auxquels l’ANDRA ne répond pas, ou de manière parcellaire.

Les essais au laboratoire souterrain de Bure, censés valider les méthodes de creusement du tunnelier, se sont révélés problématiques : un éboulement typique d’une paroi d’argile en front de taille a fait un mort le 26 janvier 2016. Ce drame fait suite à un autre accident mortel, survenu le 15 mai 2002, au moment du creusement des puits du laboratoire. Ces événements terribles témoignent des difficultés à sécuriser ces travaux.

Et je ne parle pas de la dégradation des contenants sur le très long terme, qui conduirait à une dissémination de la radioactivité dans la géosphère, ni des risques géologiques, car chacun sait que les plaques tectoniques sont en mouvement, que la géomorphologie de la terre n’est pas fixée à jamais. Bien malin qui pourrait prédire ce qui se passera au cours des quelques centaines de milliers d’années à venir – séisme, venue d’eau plus importante que prévue, changement climatique provoquant dessèchement des couches d’argile et fissuration de celles-ci etc.

Sortons un peu de l’Hexagone. Au niveau européen, la directive du 19 juillet 2011 établissant un cadre communautaire pour la gestion responsable et sûre du combustible usé et des déchets radioactifs, appelle chaque État membre à mettre en place une politique de gestion de ses déchets nucléaires. Cette directive reste ambiguë quant à la question du stockage en grande profondeur. Ainsi, tout en rappelant que « nous sommes loin d’une position très affirmative », « il est communément admis que sur le plan technique, le stockage en couche géologique profonde constitue actuellement la solution la plus sûre et la plus durable en tant qu’étape finale de la gestion des déchets de haute activité et du combustible usé considéré comme déchet ».

L’expression « Il est communément admis » est très loin de constituer une preuve scientifique !

Avant Giordano Bruno et Galilée, il était « communément admis » que le soleil tournait autour de la terre.

Avant Pascal et ses expériences sur la pression atmosphérique, il était « communément » admis que la nature a horreur du vide.

Il y a un siècle et demi, avant Fraunhoffer, Kirchhoff et la spectroscopie, il était « communément admis » que le soleil était une boule de feu.

D’ailleurs, les réalisations réelles récentes démentent clairement l’assertion de la directive.

Aux États-Unis, après vingt ans d’étude, le Waste Isolation Pilot Plant a accueilli des déchets radioactifs à partir de 1999, mais il a été fermé en février 2014, suite à l’incendie d’un camion qui transportait des sels radioactifs à moins de 650 mètres sous terre. Une semaine plus tard, une contamination radioactive à l’américium et au plutonium était détectée en surface. Vous savez, le plutonium, ce petit élément radioactif dont l’inhalation d’un seul milligramme suffit à provoquer inéluctablement un cancer du poumon. Malgré une filtration haute efficacité de la ventilation, des éléments radioactifs très dangereux ont été rejetés à l’extérieur du site, contaminant des employés. Partiellement rouvert en 2016, le site a été à nouveau fermé.

En Allemagne, la mine d’Asse, qui devait être totalement étanche, a été utilisée au cours des années 1970 pour stocker des déchets moyennement radioactifs avant d’être transformée en laboratoire de recherche souterrain, ce qui a été jugé dangereux en raison de la nature des déchets et des infiltrations. En 1978, ce stockage a été interdit et depuis 1995 le site est en cours de démantèlement, avec beaucoup de difficultés techniques et des coûts élevés – à ma connaissance, de l’ordre de 2 milliards d’euros.

En France, le site de Stocamine, dans le Haut-Rhin, ouvert en 1999 à 550 mètres de profondeur dans une ancienne mine de potasse stockait, des déchets chimiques très toxiques – mercure, arsenic, amiante, cyanure, plomb…. Il a dû cesser son activité de stockage trois ans plus tard suite à un incendie. Actuellement, une phase de déstockage rencontre d’énormes difficultés, à tel point qu’il est préconisé de tout laisser en l’état. Des risques de long terme pour la nappe phréatique ne sont pas à exclure. Le sénateur de la Moselle, Jean-Louis Masson, a même parlé de « désastre de l’enfouissement des déchets chimiques à Stocamine ». Et c’est un professionnel qui connaît son sujet.

Parmi tous les pays qui produisent de l’électricité à partir d’énergie nucléaire, la France est le seul à miser sur le stockage de déchets en couche géologique profonde, alors que l’état actuel de nos connaissances et des techniques ne permet pas de répondre aux questions posées par cette technologie.

Les retours d’expérience montrent que la moins mauvaise des méthodes reste aujourd’hui celle du stockage en subsurface – c’est d’ailleurs l’un des trois axes de recherche identifié par la loi Bataille de 1991. Cette technologie, utilisée en Allemagne et aux États-Unis, garantit une solution de stockage pendant des centaines d’années et répond aux exigences de réversibilité, tout en permettant de récupérer les colis radioactifs. Elle coûte, de surcroît, bien moins cher que celle préconisée avec Cigéo.

La seule phase industrielle pilote est évaluée à 6 milliards d’euros. L’investissement total s’élèverait à 35 milliards d’euros sur un siècle, selon l’ANDRA, mais le Gouvernement l’a fixé à 25 milliards d’euros. À vouloir réduire les coûts, la sécurité sera-t-elle aussi bien assurée ? On parle déjà de suivre l’avis d’EDF et de ne creuser qu’un tunnel de descente, alors que l’ANDRA en préconise deux. Rappelons le contexte d’une filière nucléaire en quasi-faillite, avec une opération de sauvetage d’Areva très coûteuse, un surendettement connu d’EDF de l’ordre de 50 milliards d’euros, sans compter le grand carénage des centrales existantes, évalué à 100 milliards d’euros par la Cour des comptes, et la probable nécessité de supporter les 23 milliards des EPR d’Hinkley Point en Angleterre.

Il n’est pas besoin d’être un ancien directeur financier d’EDF pour comprendre que ces engagements financiers sont impossibles à tenir ! On est en droit de s’interroger : y aurait-il une volonté d’en finir avec le service public à la française de l’électricité en organisant la faillite d’EDF ? Il serait urgent de changer de logique pour sauver EDF…

Beaucoup de questions pourraient encore être posées, comme l’a d’ailleurs fait remarquer un collègue lors des explications de vote sur la motion de rejet préalable.

Pourquoi se presser ? Selon l’avis de la conférence de citoyens rendu le 3 février 2014, « Il n’y a pas réellement d’urgence à décider du projet » car les déchets actuels entreposés sur les sites des centrales et à la Hague ne peuvent pas, de toute façon, être stockés en l’état puisqu’ils ont besoin d’au moins soixante ans pour refroidir. Au moins un point d’accord avec le groupe socialiste, écologiste et républicain...

Les citoyens estiment donc qu’il est préférable de mettre à profit cette période pour mieux explorer les voies alternatives que sont l’entreposage en subsurface et la transmutation.

Quel sera l’état des contenants de ces galeries dans quelques siècles, dans des millénaires, dans des centaines de milliers d’années ? L’argile est très sensible aux changements de température et d’hygrométrie, la croûte terrestre n’est pas statique, et l’on ignore quelle est l’imperméabilité à long terme des couches géologiques.

Par ailleurs, des investissements aussi considérables se feront aux dépens de la transition énergétique et les énergies renouvelables, alors que, dans ces domaines, de nombreux pays consentent de grands efforts et font des progrès considérables. Allons-nous prendre beaucoup de retard dans ces nouvelles technologies ?

D’immenses incertitudes demeurent, tant économiques que scientifiques et techniques. Ce n’est pas parce que l’on glissera les déchets sous le tapis qu’ils cesseront d’être radioactifs ! Ce serait un déni de réalité que de poursuivre dans cette voie du stockage profond des déchets de l’industrie nucléaire. Du point de vue de l’intérêt général, ce serait même un pari dangereux pour la santé humaine, pour des centaines de milliers d’années.

Les députés écologistes ont le sens des responsabilités ; ils s’opposeront à ce texte, proposé sans étude d’impact, et qui pourrait exposer chacun, dans un avenir proche ou lointain, à un Tchernobyl souterrain.

Pour un examen plus approfondi et l’élaboration d’un nouveau texte, nous demandons le renvoi en commission de cette proposition de loi.

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