Intervention de Julien Aubert

Séance en hémicycle du 11 juillet 2016 à 16h00
Stockage en couche géologique des déchets radioactifs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes réunis pour une nouvelle étape dans la mise en place du projet Cigéo, un chemin commencé dès 1991 avec la loi « Bataille ». À l’époque, le législateur avait demandé aux institutions compétentes d’approfondir leurs recherches selon trois axes principaux, dont l’un était le stockage profond des déchets. Cet axe de recherche a été confié à l’ANDRA, chargée d’identifier des sites géologiques favorables à l’implantation d’un centre de stockage profond et d’en étudier la sûreté et la faisabilité.

La loi avait prévu quinze années de recherche afin que chaque axe puisse faire l’objet d’une proposition étayée sur les plans scientifique et technique : un nouveau « rendez-vous » devant le Parlement était donc fixé à l’horizon de l’année 2006.

Pour ce qui concerne l’option d’un entreposage de longue durée, le CEA a conclu en 2006 que les concepts d’installations étudiés présentaient une robustesse particulière aux aléas externes, techniques ou sociétaux, mais nécessitaient une surveillance et un contrôle pendant toute leur durée de vie pour garantir la possibilité de récupérer les colis de déchets entreposés. En effet, quels que soient les concepts, il restait indispensable de reprendre les colis de déchets lorsque les entrepôts ont atteint leur fin de vie, éventuellement de les reconditionner et de construire de nouveaux entrepôts.

Après analyse de ces résultats, l’Autorité de sûreté nucléaire a estimé que l’entreposage de longue durée ne constituait pas une solution définitive, car il supposait de maintenir un contrôle de la part de la société et de prévoir la reprise des déchets par les générations futures, ce qui semble difficile à garantir sur des périodes de plusieurs centaines d’années.

C’est donc la solution du stockage profond qui est apparue comme la voie la plus crédible. La notion de stockage se distingue de celle d’entreposage par son caractère potentiellement définitif et par l’absence d’intention de récupérer les déchets stockés. La loi du 28 juin 2006 définit en effet l’entreposage de matières ou de déchets radioactifs comme « l’opération consistant à placer ces substances à titre temporaire dans une installation spécialement aménagée en surface ou en faible profondeur à cet effet, dans l’attente de les récupérer ».

Dans le souci de mettre en sécurité, à titre définitif, les déchets radioactifs et de limiter les charges qui seront supportées par les générations futures, la loi du 28 juin 2006 a entériné le choix du stockage profond mais a ajouté l’adjectif « réversible », permettant d’atténuer le caractère potentiellement définitif. On parle ici de gestion à long terme des déchets MA-VL et HA : 82 000 m3 de déchets « à terminaison », dont 10 000 m3 pour les déchets de haute activité qui représentent 0,2 % des déchets.

La loi du 28 juin 2006 définit le stockage de déchets radioactifs comme « l’opération consistant à placer ces substances dans une installation spécialement aménagée pour les conserver de façon potentiellement définitive, dans le respect des principes énoncés à l’article L. 542-1 du code de l’environnement ». Elle précise que le stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est « le stockage de ces substances dans une installation souterraine spécialement aménagée à cet effet, dans le respect du principe de réversibilité ».

L’ANDRA a été chargée de poursuivre les études et les recherches afin de concevoir et d’implanter un centre de stockage profond, de telle sorte que la demande d’autorisation puisse être instruite en 2015 et que, sous réserve de cette autorisation, la mise en service puisse être engagée en 2025.

S’appuyant sur l’ensemble de ses recherches, réalisées notamment lors de campagnes de reconnaissance géologique et dans son laboratoire souterrain situé à Bure, l’ANDRA a considéré que la couche d’argile sur le site étudié en Meuse Haute-Marne présentait toutes les caractéristiques favorables pour accueillir ce stockage. Ces résultats ont été évalués par la Commission nationale d’évaluation. À la demande du Gouvernement, les travaux de l’ANDRA ont également fait l’objet d’une revue par un groupe international d’experts. Ces évaluations ont confirmé les conclusions sur la faisabilité et la sûreté d’un stockage profond sur le site étudié.

Le Parlement a demandé en 2006 que ce stockage soit réversible pour une durée d’au moins cent ans, les conditions de cette réversibilité relevant d’une future loi qui devait être votée avant que le stockage ne puisse être autorisé. Cette loi sur la réversibilité, nous l’attendions avec impatience. Le projet Cigéo a pris deux ans de retard, mais désormais, nous y sommes.

La réversibilité est un concept essentiel. De quoi s’agit-il ? On pourrait penser qu’il s’agit de récupérer les déchets nucléaires afin de pouvoir les retraiter. Ces déchets étant en réalité vitrifiés, la réversibilité doit plutôt s’entendre comme la possibilité de récupérer les colis pour les stocker ailleurs.

Elle s’apparente donc à une forme de flexibilité – au moins pendant un siècle car au-delà, pour des raisons de sûreté, ce sera plus difficile. La réversibilité a une dimension politique puisque les déchets nucléaires sont et seront toujours invisibles pour les populations. Il est donc important que celles-ci soient assurées qu’il sera toujours possible, dans certaines limites, d’aller rechercher les colis si c’est nécessaire.

Là encore, la question du coût spécifique de la réversibilité mérite d’être posée, notamment au regard des différentes propositions de l’ANDRA.

Se pose également la question de la filière dans son état actuel. Si nous appliquions à la lettre la loi d’août 2015, relative à la transition énergétique, qui prévoit une réduction importante du nombre de réacteurs pour laisser place à des énergies dites vertes, nous serions confrontés à la question des combustibles usés. En effet, le MOX n’est consommé que dans vingt-deux réacteurs de 900 mégawatts, c’est-à-dire ceux menacés de fermeture du fait de leur âge. L’arrêt des usines de retraitement conduirait à un doublement du volume des déchets à stocker, ce qui risquerait d’étrangler Cigéo ou à tout le moins nous obligerait à revoir rapidement son organisation. D’où l’intérêt de la flexibilité.

En application de ce principe, l’ANDRA s’efforce de concevoir les installations de Cigéo de manière à maintenir les options de gestion du stockage aussi ouvertes que possible – mais cela n’inclut pas les centrales que j’ai évoquées tout à l’heure. Elle s’efforce de les concevoir dans le respect des exigences de sûreté, de sécurité et de protection de l’environnement, et en tenant compte des facteurs techniques et économiques mais aussi du retour d’expérience, dans un but d’optimisation continue de la conception et de l’exploitation du stockage. Elle se base pour cela sur un schéma directeur et sur une évolution flexible de la conception.

Cette proposition de loi, que le groupe Les Républicains soutient, permet d’instituer une phase industrielle pilote avant l’exploitation courante du projet Cigéo. Cette phase correspond à une mise en condition réelle qui permettra, avant toute utilisation courante, de s’assurer que le projet est exploitable, sûr et réversible. L’autorisation pour l’exploitation définitive ne sera accordée qu’après la promulgation de la loi. Pour ces raisons, beaucoup de débats préalables étaient hors sujet.

Je voudrais souligner un paradoxe : ceux qui sont opposés à la notion de réversibilité sont les mêmes qui voudraient fermer un tiers du parc nucléaire dans les dix prochaines années, considérant que ce délai est parfaitement normal, mais qui dans le même temps s’étonnent qu’il faille vingt-cinq ans pour étudier un projet et cent ans pour revenir dessus !

Je terminerai mon propos en insistant sur trois enjeux qui, à mon sens, suffisent à fonder un consensus politique sur la question qui nous est posée aujourd’hui.

Tout d’abord, quelle que soit la position que chacun peut avoir sur la question du nucléaire, il ne s’agit pas ici de statuer sur l’avenir mais de trouver des solutions à une situation qui existe et dont nous avons la responsabilité. Ces déchets existent et ils sont dangereux : il convient donc de faire en sorte que la solution technique retenue à un instant donné puisse garantir, quel que soit l’état des connaissances, la protection des populations. Stockés très profondément, à une profondeur de cinq cents mètres, ces déchets mettront un million d’années pour revenir à la surface, totalement privés de leur radioactivité. Ceux qui s’y opposent n’ont strictement aucune vision alternative pour les gérer.

Ensuite, la réversibilité est le corollaire naturel de l’absence de visibilité sur les évolutions technologiques. C’est une assemblée élue en 2012 qui doit décider aujourd’hui de projets qui engagent non seulement nos enfants mais aussi les nombreuses générations qui suivront. Le législateur a fixé à un siècle cette obligation de réversibilité : cet horizon entre dans le domaine du possible à l’échelle de la mémoire humaine.

Reste que les déchets radioactifs engagent la France pour une période beaucoup plus longue. En 2116, en 2126 et même en 3126, les Français, si le projet Cigéo est acté – ce qui n’est pas le sujet dont nous traitons aujourd’hui – vivront avec l’héritage issu de nos choix techniques. C’est un véritable défi politique, car la politique, souvent court-termiste, répugne à penser au-delà du siècle, et philosophique, notamment en matière de responsabilités.

Nos successeurs ne pourront nous reprocher d’avoir privilégié ce qui était la solution optimale en l’état des connaissances. En revanche, ils pourront nous reprocher de les avoir privés de la possibilité de réorienter le projet en fonction de techniques ou de compétences qui seront apparues après notre première décision.

Le troisième enjeu est industriel : avec Cigéo, la France se dote d’un embryon de filière, étant à la pointe de la recherche dans le stockage profond. D’ailleurs, contrairement à ce qui a été dit, la Suède a elle aussi un projet dans ce domaine.

Nul doute que dans vingt, trente ou quarante ans, d’autres pays se tourneront vers nous pour nous demander de les aider à gérer les déchets nucléaires. C’est ainsi pour la France un champ très intéressant de développement économique et industriel.

Je souhaite donc que nous parvenions au vote conforme de cette proposition de loi de Gérard Longuet, votée au Sénat, et que nous nous engagions de manière irréversible dans une gestion réversible des déchets nucléaires.

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