Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du 11 juillet 2016 à 16h00
Stockage en couche géologique des déchets radioactifs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la gestion des déchets nucléaires en France raconte une histoire : celle de notre capacité à exercer nos responsabilités et à trouver collectivement des solutions à un problème complexe.

Nous pensons, face à ce problème complexe, avoir trouvé des solutions, en tout cas une grande partie d’entre elles, mais nous n’en sommes pas certains. C’est la raison pour laquelle nous entourons nos processus de décision d’un certain nombre de précautions. Cette proposition de loi en est une illustration.

Je voudrais rappeler ici l’étendue de la question que nous nous posons : 90 % des volumes de déchets nucléaires – les déchets à vie courte ou à faible activité – ont trouvé dans notre pays des solutions de stockage dans des équipements spéciaux situés dans la Manche et dans l’Aube. Restent 10 % des déchets nucléaires, dont 7 % sont des déchets à faible activité mais à vie longue, dits déchets FAVL, qui devraient être stockés dans l’Aube. Les 3 % de déchets restants sont les plus radioactifs et, surtout, leur activité se poursuit pendant une période longue ou très longue.

Ce sont 80 000 m3 de déchets jusqu’en 2045, soit un cube de trente mètres sur trente. Ici même, dans cet hémicycle, nous pourrions stocker cinq années de déchets radioactifs. Sur cent ans, cela représente une capacité de stockage égale à une vingtaine d’hémicycles de ce type, qui très vraisemblablement seront enfouis sous la terre.

Les déchets à forte activité comprennent 70 000 m3 de déchets à moyenne activité, dont 60 % sont déjà produits – il faut donc faire quelque chose – et 10 000 m3 de déchets à haute activité, dont 30 % sont déjà produits – il s’agit naturellement des déchets qui posent le plus de problèmes.

Comment gérer ces déchets en France ? C’est l’histoire de la loi dite « Bataille » et celle des élus du département de la Meuse, notamment Jean-Louis Dumont et moi-même. C’est aussi l’histoire de mon engagement car suite aux controverses à propos du stockage des déchets nucléaires, j’ai, avec le philosophe et sociologue Dominique Bourg, créé l’Institut du débat public local, devenu par la suite, ainsi que nous l’avons décidé ensemble, un important think tank sur la concertation et les conditions d’un débat public apaisé avant de prendre des décisions susceptibles de susciter des controverses.

Le premier acte est la loi de 1991 qui propose trois voies de recherche : des solutions permettant la séparation et la transmutation, des possibilités de stockage dans des formations géologiques profondes, et l’étude des solutions techniques de conditionnement en surface – c’est là que sont nées les controverses.

Étaient tout d’abord prévus trois sites d’expérimentation. Mais – courage, fuyons – il n’y en eut qu’un seul, celui situé dans les départements de la Meuse et de la Haute-Marne, ce qui a fait naître chez nos concitoyens le sentiment d’avoir été quelque peu trompés. Vous dites vouloir expérimenter, mais à un seul endroit et vous décidez que c’est là qu’aura lieu le stockage des déchets nucléaires. Je ne dis pas qu’il ne faut pas stocker à cet endroit-là, mais c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles nous nous sommes heurtés à autant de controverses.

Il existe un deuxième argument pour contester le nucléaire, que j’ai eu du mal à comprendre dans un premier temps : nous étudions le stockage en argile dur, dur comme du marbre, dans lequel l’eau ne passe quasiment pas. Cela ne fuit pas, contrairement à ce que d’aucuns pensent. La pression est telle que l’eau ne passe pas. Et si elle passait, le temps qu’elle corrode l’enveloppe de protection des déchets et que ceux-ci soient entraînés dans la nappe phréatique qui devient alors un danger pour la population, il se sera passé dix mille ans, voire cent, deux cents ou trois cents mille ans !

Tout cela dépasse l’entendement. Je me suis rendu plusieurs dizaines de fois sur place pour discuter avec les hydrogéologues et les techniciens : le risque est nul à l’échelle des générations humaines.

J’ai également débattu de cette question avec beaucoup de militants écologistes. Certains d’entre eux, faisant fi des contradictions, m’ont confié que le stockage des déchets nucléaires étant le talon d’Achille du nucléaire civil, ils devaient forcément s’y opposer.

Il me semble que la question des déchets doit être totalement séparée de la question du nucléaire. Si nous arrêtons le nucléaire civil, ce que nous ferons sans doute un jour, le développement des autres énergies réglera le problème plus rapidement que l’on ne pense, même s’il y aura toujours des déchets à stocker.

C’est la raison pour laquelle, en 1991, Jean-Louis Dumont s’en souvient sans doute, tous les élus locaux, de gauche comme de droite, du département de la Meuse – j’étais alors le benjamin de l’assemblée départementale – ont voté à l’unanimité en faveur de ce projet de recherche. Nous étions alors uniquement animés, dans un souci de solidarité nationale, par la volonté de régler le problème sur le plan national. Et c’est pour cette raison que nous nous sommes engagés dans cette direction avec nos collègues du département de la Haute-Marne.

Le deuxième acte est la loi de programme de 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. De 1991 à 2006, beaucoup de recherches et d’études ont été réalisées – aujourd’hui le montant des études atteint un milliard d’euros, ce qui est colossal – et de grands débats publics ont été menés. Je me souviens d’un débat qui a duré huit heures à l’EPL Agro, dans mon département – je ne sais plus si j’étais alors maire ou président de département – et ce débat, qui s’est déroulé sans hostilité, sauf de la part de ceux qui sont génétiquement hostiles au stockage pour les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure, a conclu à la nécessité d’introduire la notion de réversibilité. Nous avons donc introduit cette réversibilité pour une période de cent ans.

La loi du 28 juin 2006 de François Loos retient le principe du stockage en couches géologiques profondes, mais elle dispose que toute demande d’autorisation de stockage fera l’objet d’un débat public.

Le troisième acte est la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. Un nouveau débat public est organisé, qui bénéficie des périodes d’expérimentation et de recherche ainsi que du débat public organisé en 2013. Celui-ci préconise non seulement la réversibilité mais la définit comme la capacité pour les générations futures de revenir sur les décisions prises, comme le prévoit cette proposition de loi, et précise qu’il ne peut y avoir de décision définitive avant une phase industrielle pilote. Nul doute que dans une quinzaine d’années, au sein de cet hémicycle, nous reposerons la question de savoir s’il est prudent d’agir ou non. Ensuite, tous les dix ans, nous pourrons revenir régulièrement sur la réversibilité.

Évacuons les grandes peurs. Aujourd’hui, ce n’est pas le rendez-vous des peurs mais celui de la rationalité, de la prudence, du débat public et par conséquent, la réconciliation avec une certaine forme d’intelligence collective.

Cette proposition de loi ne donne pas le feu vert à un stockage définitif, comme je l’ai entendu dire, stupidement, un peu partout – quand il s’agit de faire peur, plus c’est gros, plus cela passe – ni à l’autorisation du stockage expérimental puisque c’est le Gouvernement qui, en 2018, donnera son accord pour une phase pilote. Il s’agit, je le répète, d’une phase réversible, décidée après consultation de tous les grands organismes d’expertise, notamment l’ASN, qui n’est pas tendre avec le nucléaire dans notre pays. C’est une garantie supplémentaire.

J’espère pour ma part que nous allons rapidement voter cette proposition de loi, non pas parce que nous sommes pressés de le faire, comme je l’ai entendu tout à l’heure, mais parce que cela fait vingt-cinq ans que nous en discutons et que nous y réfléchissons.

Je discutais avec un hydrogéologue, un universitaire qui travaille sur ce sujet et qui est aujourd’hui en charge des échanges internationaux. Celui-ci me soutenait que nous sommes généreux dans notre pays, car 1 milliard d’euros de recherche et d’expérimentation ont d’ores et déjà été engloutis dans ce domaine ; il serait donc temps que l’on conclue en engageant cette phase pilote. Il y va de l’intérêt de notre pays et de celui des générations futures. Je me réjouis sincèrement que, à l’exception de quelques-uns de nos collègues, dont je comprends les positions, nous nous unissions, gauche et droite confondues, pour franchir une nouvelle étape au travers de cette belle et bonne proposition de loi.

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