Intervention de François-Michel Lambert

Séance en hémicycle du 11 juillet 2016 à 16h00
Stockage en couche géologique des déchets radioactifs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois-Michel Lambert :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la France s’est lancée, il y a plus de quarante ans, dans une entreprise de développement de l’énergie nucléaire qui ne trouve aucun équivalent dans le monde. On nous a vendu le mensonge d’une « énergie d’avenir, propre et peu coûteuse » : force est de constater, aujourd’hui, qu’elle constitue un gouffre financier et que le problème du traitement des déchets qu’elle produit n’a jamais été résolu. Or, il faudra bien trouver une solution pour les déchets nucléaires, puisque la génération qui a été à l’origine de ce programme a été suffisamment irresponsable pour le lancer sans avoir réglé ce problème majeur. Il me paraissait important d’y insister.

Après plus de quarante ans sans solution, que nous propose-t-on aujourd’hui ? De stocker les déchets en sous-sol, de dissimuler la poussière sous le tapis. De fait, cette proposition de loi est loin d’être satisfaisante et pose de sérieux problèmes, tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, le stockage en profondeur est-il une bonne solution ? Nous ne le pensons pas. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il soit simplement faisable. Nous avons toujours fait part de notre préférence pour le stockage en subsurface, meilleur garant de la mémoire du lieu, qui offre des conditions d’exploitation plus sûres ; en tout état de cause, il nous faut bien disposer d’un plan B si le projet Cigéo n’est pas réalisable. Nous, écologistes, prenons nos responsabilités !

Je passe rapidement sur les nombreuses questions techniques laissées sans réponse, notamment les risques d’explosion liée à l’hydrogène, les risques d’incendie et les enjeux d’une gestion des flux sur 150 années. Plusieurs rapports de l’IRSN montrent de manière très explicite que l’ANDRA n’a pas trouvé, à ce jour, de solution satisfaisante à nombre de ces problèmes. Je ne m’étendrai pas non plus sur les multiples incertitudes relatives au financement et au dérapage prévisible – certain, devrais-je plutôt dire – du coût de l’opération, à l’heure où chacun peut constater l’état financier des entreprises du nucléaire.

Notre assemblée, dans les recommandations de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, adoptées en juin 2014, a résumé toutes ces préoccupations. Le 31 mai dernier, après l’examen de ce texte au Sénat, l’Autorité de sûreté nucléaire a émis un avis ; or ne pas faire évoluer la proposition de loi reviendrait à l’ignorer ! L’ASN appelle l’attention sur les évolutions possibles de notre politique énergétique et les effets important qu’elles pourraient avoir sur le projet. Elle souligne aussi que l’inventaire des déchets est variable dans le temps. Or, rien de cela n’a été pris en compte.

L’ASN demande que la loi fixe une durée pendant laquelle les déchets devront être récupérables dans des conditions de sûreté et de radioprotection maîtrisée, y compris en cas de dégradation des ouvrages et des colis. Ses recommandations sont extrêmement explicites. Pourtant, rien n’est prévu non plus s’agissant de la durée de la phase pilote. Cette phase doit être longue pour permettre d’évaluer in situ toutes les situations, d’observer les déformations éventuelles des galeries de stockage, de procéder à des exercices de récupération des colis – pour ne citer que ces exemples.

Sur la forme, la décision prise en 2006 nous enjoint de débattre de la définition de la réversibilité. De nombreuses tentatives ont eu lieu pour contourner la volonté du législateur : des amendements déposés à de nombreuses reprises, par exemple à la loi sur la transition énergétique ou à la loi dite « Macron ». Dans ce dernier cas, l’amendement a été déposé à la dernière minute, alors que le Gouvernement engageait sa responsabilité. Le Conseil constitutionnel, que nous avions saisi, a confirmé que cet ajout constituait un cavalier. Ni l’esprit, ni la lettre de la loi de 2006 ne sont respectés ; son article 12 dispose en effet que « […] le Gouvernement présente ensuite un projet de loi fixant les conditions de réversibilité. […] » En spécifiant dans la loi que c’est au Gouvernement de présenter un projet de loi, le législateur avait tenu à ce que la discussion soit assortie de garanties juridiques et techniques – je pense notamment à l’avis préalable du Conseil d’État et à l’étude d’impact – que ne permet pas une proposition de loi.

Qu’à cela ne tienne ! Pour légitimer cette démarche, on modifie l’article 12 au risque d’affaiblir la légitimité juridique du texte, alors même que le sujet dont nous traitons aura des répercussions durant des millénaires ! De telles lacunes, en particulier celle de l’étude d’impact, empêchent pourtant les parlementairse d’avoir un débat éclairé : il est de fait impossible de chiffrer le coût des différentes options de réversibilité, de récupérabilité, le coût des risques induits, par exemple, en fonction des politiques énergétiques et industrielles des 150 prochaines années – ce qui représente près de quarante championnats d’Europe de football ! On se retrouve donc aujourd’hui, un 11 juillet, en session extraordinaire, dans un hémicycle déserté, au lendemain d’une finale de championnat d’Europe, à débattre d’une proposition de loi sénatoriale déposée par les Républicains et destinée à solder l’avenir d’un territoire pour une durée de quelques milliers d’années – une bagatelle ! Est-ce sérieux ? Nous connaissons les effets collatéraux de l’examen furtif d’un texte comme celui-ci : une « zone à défendre » s’est déjà installée sur le site. Si l’on ne veut pas que la situation s’envenime et s’installe dans la durée, il faut poursuivre le dialogue.

Ce texte nous paraît insuffisant, précipité, sur la forme comme sur le fond. C’est pourquoi mes collègues écologistes et moi-même ne pourrons pas le voter. Je tiens toutefois à remercier le groupe socialiste, écologiste et républicain, qui laisse les différences s’exprimer, contrairement à une droite qui muselle ses députés.

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