Intervention de Christian Bataille

Séance en hémicycle du 11 juillet 2016 à 16h00
Stockage en couche géologique des déchets radioactifs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Bataille :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le souci de la gestion des déchets nucléaires est ancien, mais on peut regretter que cette préoccupation n’ait pas été davantage prise en compte lorsque la décision a été prise de construire les premières générations de réacteurs nucléaires. La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui marque une étape décisive dans le long cheminement de ce dossier, initié il y a plus de vingt-cinq ans par la loi du 30 décembre 1991, dont j’avais été le rapporteur à cette même tribune, et qui aboutira, vers 2035, avec l’exploitation courante du stockage des déchets radioactifs en couches géologiques profondes.

Préalablement, en 1989, j’avais été chargé du premier rapport parlementaire traitant de ce sujet : le gouvernement de Michel Rocard, après l’échec des gouvernements précédents, avait recherché une solution neuve en se tournant vers le Parlement. L’institution parlementaire peut être fière de cette démarche, qui illustre un processus conduit à son terme par la volonté de nos assemblées et relayé par le Gouvernement.

La performance n’est pas mince : sur une aussi longue période, il convenait en effet d’éviter le piège des alternances et de limiter le risque que soit remis en cause ce qui avait été décidé.

Cependant, la maîtrise des déchets nucléaires étant de l’intérêt supérieur du pays et de nos concitoyens, les querelles médiocres ont été la plupart du temps évitées, et la continuité de l’État s’est – sur ce dossier – clairement affirmée. Puisse-t-elle donner l’inspiration sur d’autres questions d’intérêt global.

Même si la réversibilité est le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, je souhaite rappeler que la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs est fondée sur la recherche de solutions dans trois voies différentes. Les recherches sur l’entreposage en surface et en subsurface se sont poursuivies et seront utiles pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs.

En ce qui concerne les déchets à haute activité et à vie longue, aujourd’hui encore, les chercheurs du CEA et de nos universités travaillent toujours à en réduire la toxicité et le volume, voire – dans une perspective futuriste, presque utopiste –, à éliminer, à incinérer les déchets issus du retraitement, les matières nobles comme le plutonium étant réservées aux usages industriels.

À cette occasion, je soulignerai le rôle éminent tenu par la Commission nationale d’évaluation – CNE –, constituée d’experts provenant de tous les horizons scientifiques et sociologiques, et qui remet régulièrement des rapports très argumentés sur l’évolution des recherches dans les domaines du stockage souterrain, de l’entreposage en surface et de l’élimination par la transmutation des matières radioactives.

Contrairement à ce qu’avancent les adversaires du projet, les responsables du dossier ne se limitent donc pas à vouloir à tout prix « enfouir », comme ils disent, les résidus de retraitement en sites profonds afin de les y oublier : la réversibilité de ce stockage est présente à l’esprit des initiateurs du projet depuis le commencement.

À ce moment de notre réflexion, on pourrait évoquer la place de l’énergie nucléaire ou encore réaffirmer le rôle du progrès scientifique. Restons-en à la simple nécessité de prendre en charge les déchets nucléaires déjà produits ou qui seront produits à coup sûr sans poser le problème du devenir de la filière nucléaire.

Il eut été facile, il y a un quart de siècle, d’invoquer l’urgence, la sécurité pour justifier une démarche accélérée. Au contraire, on a pris le temps – vingt-cinq ans – et marqué les étapes. À la suite vote de la loi de 1991, sur laquelle je ne reviendrai pas, j’ai été chargé par le Gouvernement Balladur, en tant que parlementaire en mission, d’un rapport que j’ai remis à Gérard Longuet et Michel Barnier, alors ministres, et qui laissait au Gouvernement le soin de choisir entre quatre sites favorables. Enfin, la loi de 2006 est venu préciser celle de 1991 et autoriser le principe d’un centre de stockage.

Telles sont les principales étapes de ce parcours progressif et prudent. Il n’existe que très peu d’exemples de processus dans lesquels on a pris autant de précautions. Les critiques voudraient faire croire à une démarche précipitée ; on a pourtant pris le temps de la réflexion et du débat, et aujourd’hui, l’heure de la décision est venue. De toute façon, cinquante ans de réflexion au lieu de vingt-cinq ne contenteraient pas les critiques : pour certains, il faudrait débattre à perte de vue et ne jamais décider.

Avant d’évoquer la réversibilité, il convient de s’intéresser aux enjeux locaux, nationaux et internationaux.

Au niveau local, la préparation du centre de stockage a fait l’objet d’une étude rigoureuse en laboratoire. Le site du Laboratoire de Bure a été retenu par le Gouvernement après que l’on s’est assuré qu’il répondait à deux conditions : la qualité géologique du sol – une argile compacte, non sismique et sans circulation d’eau – et l’adhésion des populations locales au projet. Ces deux conditions étaient réunies dans la Meuse et dans la Haute-Marne comme elles auraient pu l’être dans les sites concurrents de Marcoule ou de la Vienne. En tout état de cause, dans ces régions où les activités industrielles sont précieuses, la future réalisation devra aller de pair avec un développement économique vigoureux. C’est ce que réclament les élus et les habitants du territoire.

Au niveau national, l’enjeu est bien celui de la responsabilité du pays où les déchets sont produits. La France doit assumer la sienne, et nous avons eu raison, à cet égard, de rejeter les solutions « exotiques » telles que le stockage dans un désert situé à l’étranger ou – comme avaient commencé à le faire les Britanniques – dans les fonds marins. Au nom du principe de responsabilité, c’est bien sur notre sol, ou plutôt dans notre sous-sol, que nous devons trouver les réponses. A contrario, la France n’aura pas à accueillir les déchets étrangers ; la loi l’affirmait dès 1991.

Au plan international, nous avons pratiquement rattrapé notre retard en matière de déchets. Dans quelques années, nous serons au même niveau qu’un pays comme la Suède, qui réalise un stockage dans le granit. Le savoir-faire ainsi acquis sera incontestablement pour notre pays un atout sur la scène internationale. D’ailleurs, des pays importants s’intéressent d’ores et déjà à nos méthodes et à nos compétences.

La réversibilité du stockage est une condition essentielle de sa crédibilité. Au début du processus, les économistes et les scientifiques penchaient pour l’irréversibilité, notion qui donnait – et qui donne encore – le vertige. La loi de 1991 n’avait pas arbitré, laissant ainsi ouverte l’alternative entre réversibilité et irréversibilité. La première, qui avait la préférence des parlementaires, a finalement été clairement affirmée par la loi de 2006. Le débat public organisé en 2013 par la Commission nationale du débat public a conduit à y ajouter une étape de stockage pilote.

Si nos débats d’aujourd’hui sont concluants – on peut l’espérer –, la réversibilité sera la clé du futur stockage. Cette notion ne doit pas être comprise comme synonyme de « récupérabilité ». Elle indique la capacité à offrir aux générations suivantes des options sur le long terme, que l’on choisisse de sceller les ouvrages de stockage ou, au contraire, de récupérer les colis de déchets. Cette réversibilité est assurée pendant le développement du stockage, qui est progressif et flexible.

La réversibilité s’inscrit donc bien dans la philosophie de l’ensemble de la démarche, qui est marquée depuis le départ par l’ouverture et la pluralité des options – entre plusieurs voies de recherche, entre plusieurs sites potentiels. Cette notion implique qu’il n’y a pas de solution définitive choisie arbitrairement.

Aujourd’hui, donc, nous confirmons cette démarche d’ouverture, cette dynamique, et nous refusons l’immobilisme.

Dans vingt, trente ou quarante ans, les progrès de la science pourraient nous permettre de récupérer les déchets nucléaires et de les traiter autrement. Le rapporteur l’a souligné, on ne peut pas stocker ces matières en surface pendant une longue durée dans des silos comme nous le faisons aujourd’hui à Marcoule ou à La Hague, même si ce stockage intermédiaire est tout à fait sécurisé.

A contrario, les États-Unis ne se sont pas engagés dans la voie du retraitement et accumulent leurs combustibles usés dans des zones désertiques. La gestion des déchets nucléaires dans ce grand pays reste pour l’instant sans solution.

La nécessité d’adopter une loi sur la réversibilité a fait l’objet de nombreux débats. Il y a un an, avec Jean-Yves Le Déaut et Jean-Louis Dumont, nous avions fait adopter dans la loi Macron une disposition semblable à celle dont nous discutons aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est du Sénat que nous revient un texte fort proche : ce texte très complet est pleinement satisfaisant. Il n’est plus utile d’y ajouter tel ou tel amendement. Au contraire, il est maintenant prioritaire de conforter par notre vote un texte adopté très largement par la majorité et l’opposition du Sénat rassemblées, avec le soutien du Gouvernement.

C’est la raison pour laquelle, au nom du groupe socialiste, je vous demande de rejeter tous les amendements pour aboutir à un vote final conforme.

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