Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 5 juillet 2016 à 16h15
Commission des affaires économiques

Muriel Pénicaud, directrice générale de Business France :

C'est un honneur pour moi de vous présenter le bilan de notre action depuis deux ans et nos perspectives.

La création de Business France par la fusion d'Ubifrance et de l'AFII a été dictée par la raison d'être commune des deux structures : développer l'internationalisation de l'économie française au service de la création de valeur, de la création d'activité et de l'emploi. Ce sont ces objectifs qui font lever le matin les personnes qui travaillent chez Business France. C'est notre manière singulière de servir notre pays que d'être au service du développement des exportateurs et des investisseurs étrangers.

Business France exerce, de par la loi, trois métiers : le soutien à l'export des entreprises françaises, la prospection et l'accueil des investissements étrangers, ainsi que la promotion de l'image économique de la France.

Quel est le contexte ? Vous connaissez les chiffres : la France est un des grands pays exportateurs du monde : si notre pays se classe au troisième rang pour les services, il n'est que huitième pour les biens. Le montant de nos exportations de biens et services s'élève à 455 milliards d'euros en 2015. La part de celles-ci dans le PIB a doublé en cinquante ans pour représenter aujourd'hui 29 % du PIB. C'est un élément structurant de l'activité économique. On estime entre 6 et 7 millions le nombre d'emplois dans des entreprises qui ont une dimension internationale soit parce qu'elles possèdent des filiales à l'étranger, soit parce qu'elles exportent, soit parce que ce sont des filiales de groupes étrangers. Ce sujet n'est donc pas anecdotique mais au coeur de notre économie.

Concernant les investissements, 20 000 entreprises étrangères sont installées en France, elles emploient directement 2 millions de salariés. Nous sommes le troisième pays le plus attractif d'Europe pour les investissements, derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni. Mais nous sommes de loin le premier en matière d'investissement industriel et de recherche et développement (R&D).

En 2015, 962 nouveaux projets d'investissement ont été décidés – soit 19 par semaine –, représentant 33 600 emplois créés.

En dépit de notre excellence dans ces deux domaines, nous souffrons d'un certain nombre de handicaps.

En premier lieu, le déficit commercial : s'il a diminué en 2015 pour s'établir à 45,7 milliards d'euros – soit 22 % de mieux qu'en 2014 –, grâce notamment, mais pas uniquement, à la forte baisse du prix du pétrole, il reste, hors énergie, de 23 milliards d'euros, essentiellement en raison des biens puisque la balance commerciale des services est excédentaire de 9 milliards d'euros.

Notre difficulté tient à ce que le nombre et la taille des entreprises sont structurellement insuffisants. Nous recensons 125 000 entreprises exportatrices en France en 2015, soit 3 % de plus que l'année précédente. Cette tendance est encourageante mais il faut comparer ces chiffres aux 200 000 entreprises italiennes ou aux 400 000 en Allemagne. Une raison principale l'explique : la France compte moins d'ETI et moins d'ETI exportatrices ; l'essentiel des exportations est concentré sur un faible nombre d'entreprises : 1 000 entreprises réalisent 70 % de l'export français ; 10 000 entreprises font 90 % du commerce extérieur. Business France en accompagne 9 700. En outre, 30 % des entreprises qui exportent une année n'exportent plus l'année suivante.

Nous avons donc deux motifs de préoccupation – le nombre d'entreprises exportatrices mais aussi la pérennisation de la démarche d'exportation dans la stratégie de ces dernières – liés au tissu d'entreprises, principalement constitué de TPE et de PME. C'est pourquoi il est important de développer des actions collectives, nationales et locales, dans leur direction pour leur permettre d'exporter.

Enfin, la France souffre d'un déficit d'image depuis une dizaine d'années qui est mesuré par de nombreux indicateurs. La perception de l'attractivité de la France est en deçà de la réalité.

La mobilisation de nombreux parlementaires ainsi que le rapport de MM. Alain Bentéjac et Jacques Despont en juin 2013 ont conduit le Gouvernement à décider la fusion d'Ubifrance et de l'AFII, annoncée par le Président de la République le 17 février 2014. Le chantier de la fusion a été lancé le 23 juin 2014. Je tiens à saluer le travail avec les services de l'État puisque nous avons été en mesure de fusionner au 1er janvier 2015, soit sept mois plus tard, alors que ni le texte de l'ordonnance, ni les décrets n'avaient été publiés.

Nous avons la chance d'avoir un député pour président du conseil d'administration. Je salue M. Jean-Paul Bacquet qui a été le président de l'époque de la fusion, auquel a succédé Mme Estelle Grelier pour une brève période avant de devenir ministre, puis aujourd'hui Mme Seybah Dagoma depuis le 12 mai. La gouvernance comprend des représentants du personnel, les présidents de deux régions, ainsi que des représentants de l'État et des entreprises.

La fusion a été opérée en dix-huit mois. La fusion juridique, financière et comptable a été réalisée immédiatement mais il fallait dix-huit mois pour l'achever complètement. C'est chose faite depuis le 30 juin. Les directions métier sont en place ; les réseaux internationaux d'export et de l'investissement ont été fusionnés au sein d'une seule direction dans chaque pays au 1er septembre 2015. Sur le plan social, onze accords collectifs ont été conclus depuis deux ans, à l'unanimité des organisations syndicales. Nous avons réalisé récemment un audit auprès des 1 500 collaborateurs dans le monde : 85 % d'entre eux disent comprendre le sens de la fusion et affirment que les clients et les partenaires en perçoivent le sens. Enfin, nous avons mis en place une comptabilité analytique, la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP), un intranet et, dans quelques semaines, un internet commun.

Cette fusion a été pensée pour apporter de la simplification et de la lisibilité aux PME et aux ETI – vous connaissez l'écosystème de l'export, il est complexe, reconnaissons-le. Elle répond à l'objectif de clarté en plaçant un opérateur national au coeur du dispositif, à condition qu'il travaille avec tous les autres évidemment.

Parallèlement à la fusion, sous la houlette de nos ministères de tutelle et du ministère de l'agriculture, nous nous sommes aussi rapprochés de la Sopexa. Ce projet attendait dans les tiroirs depuis de nombreuses années. Les entreprises avaient du mal à comprendre pourquoi, si elles travaillaient dans le domaine du vin de Bordeaux, Ubifrance les accompagnait et si elles étaient dans le Beaujolais, Sopexa. Nous avons convenu d'un accord aux termes duquel toutes les actions dites collectives – les salons internationaux – sont transférées à partir du 1er janvier prochain de Sopexa à Business France. La répartition est la suivante : Sopexa travaille sur le marketing, la promotion et la communication des entreprises à destination des consommateurs, Business récupère toute l'action collective sur financement public, les relations d'affaires entre les entreprises et les distributeurs et les importateurs. En prévision de ce rapprochement qui sera effectif le 1er janvier, puisque les salons se programment à l'avance, nous avons le 1er juillet accueilli treize collaborateurs de Sopexa.

Nous avons mené un projet d'entreprise qui a été partagé avec l'ensemble des personnels. Je tiens à le souligner, vous pouvez compter sur le principal actif de Business France, à savoir la qualité des équipes. Business France emploie 1 500 collaborateurs dans 72 pays, représentant cinquante nationalités, chose assez rare pour une agence nationale. La moitié des collaborateurs sont français, les autres viennent des pays dans lesquels nous sommes implantés. C'est très important car nous devons parler le langage des affaires et comprendre les cultures – comment faire du commerce en Chine, en Corée, dans la Silicon Valley ? Les deux tiers de ces effectifs travaillent hors de France, à chaque fois, dans des équipes mixtes.

Dans la recherche de simplification et de lisibilité pour les entreprises, nous avons développé une stratégie partenariale audacieuse pour rendre plus efficient l'ensemble du système de soutien à l'export.

Avec BPIfrance, vous l'avez évoqué, Madame la présidente, nous avons signé un accord de partenariat stratégique qui a été initié à la demande du Gouvernement dans le cadre du pacte de compétitivité et d'emploi. Ensemble, nous travaillons pour aider à grandir très vite à l'export 1 000 ETI et PME de croissance. Nous sommes en train de dépasser cet objectif avec six mois d'avance et nous allons poursuivre car les entreprises plébiscitent cette collaboration : elles peuvent, dans la même journée et dans le même lieu, rencontrer le conseiller marché de Business France, le banquier et, demain, l'assureur, puisque l'activité garantie publique de la Coface a vocation à rejoindre BPIfrance. Voilà un bel exemple de partenariat qui marche très bien et qui nous rend collectivement plus efficace au service des entreprises.

Nous avons aussi conclu, le 11 mars 2015, un partenariat avec les réseaux consulaires en France et à l'étranger. Nous avons décliné cet accord dans toutes les régions de France, au travers de plans d'action. L'objectif est d'accompagner ensemble 3 000 entreprises à l'export d'ici 2017. À l'étranger, sur la cinquantaine de pays où les deux structures sont présentes, nous avons signé 43 accords de partenariat et de coopération.

Avec les régions, nous avons une longue tradition de travail commun. Jusqu'à présent, les politiques de soutien à l'export variaient d'une région à l'autre mais toutes les régions apportent leur aide, les unes en soutenant le volontariat international en entreprise (VIE), les autres avec des aides à l'export pour les PME. Le 25 juin 2015, nous avons signé un accord avec l'Assemblée des régions de France ; à la suite de la réforme territoriale, nous sommes en discussion très avancée avec cette dernière pour renégocier cet accord, ainsi qu'avec chacune des treize régions pour pouvoir signer d'ici la fin de l'année des conventions qui nous permettent de travailler ensemble sur la prospection, les aides à l'export et la promotion des territoires. En tant qu'agence nationale, nous sommes le bras armé de tous les acteurs sur le territoire pour aller chercher à l'étranger les marchés et les investisseurs.

La fusion nous a aussi permis d'améliorer notre couverture géographique : grâce au cumul des deux réseaux, nous avons pu ouvrir ces derniers mois des bureaux dans un certain nombre de pays dans lesquels nous n'étions pas présents : le Nigéria, le Kenya, l'Éthiopie ou l'Iran.

Notre plus grande fierté tient à ce que, dans l'année de la fusion qui, vous l'imaginez, absorbe une partie de l'énergie, nos résultats sont supérieurs au cumul de ceux des deux agences précédentes. Ce n'était pas un pari gagné d'avance, mais nous avons fait le choix, avec les équipes, d'apporter de la valeur tout de suite. Une fusion pour une fusion, cela ne motive personne mais si elle apporte de la valeur aux entreprises et donc à l'action collective, elle fait sens.

Nous avons négocié le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2015-2017 avec l'État – nous avons mis à votre disposition un dépliant qui présente les principaux objectifs. Que ce soit pour les VIE, le soutien à l'export, les investissements étrangers, ou la promotion de l'image économique de la France, tous les objectifs ont été atteints ou dépassés pour la première année, ce qui est un motif de fierté pour les équipes mais aussi une source de motivation.

Vous allez me dire, tout va très bien, tout est parfait. Je me dois de partager avec vous un souci. Je sais que dans la période actuelle, nous ne sommes pas les seuls à y être confrontés ; je mesure l'effort de réduction des dépenses que nous devons faire et que nous avons fait – la baisse de la subvention de l'État en cinq ans s'élève à 17 %, dont 8 % pour la seule année 2015. Mais je souhaite attirer l'attention sur notre modèle économique qui diffère de celui des autres agences comparables en Europe. Pour ces agences, les États ont fait le choix d'un financement presque entièrement public, y compris dans un pays comme le Royaume-Uni, qui est peu suspect d'étatisme et de centralisme – la subvention publique britannique s'élève à 473 millions d'euros, dont 90 % venant de l'État ; en Italie, la subvention est de 188 millions d'euros. En France, pour des raisons tenant notamment à la réduction des déficits, dont nous sommes solidaires, vous le verrez sur le graphique qui vous a été distribué, la subvention de l'État est passée en quelques années de 127 millions d'euros théoriques à 100,7 millions réels.

Le COP repose sur un engagement triennal de l'État qui prévoit une subvention annuelle de 113 millions d'euros ; en loi de finances pour 2016, celle-ci était de 110 millions ; à la date d'aujourd'hui, sans espoir d'amélioration, elle s'établit à 100,7 millions, ce qui ne couvre même plus les dépenses de personnel. Nous devons donc compter sur nos ressources propres. Or, nous subissons sur cette question une double peine. En effet, les règles relatives aux établissements publics industriels et commerciaux sont ainsi faites que le plafond d'emplois ne concerne pas seulement la subvention publique mais aussi les ressources propres. Aujourd'hui, des fédérations professionnelles, des bailleurs de fonds comme la Banque mondiale, l'OCDE, l'Union européenne, ou les régions veulent nous confier des missions que nous sommes obligés de refuser car nous ne pouvons pas affecter des personnes pour les assumer. C'est la double peine : non seulement il faut compenser par des ressources propres la baisse des subventions de l'État mais il nous est aussi interdit de recruter pour remplir ces missions.

Aujourd'hui, la pérennité de notre modèle économique nous préoccupe.

L'une des entreprises que vous recevrez lors de la table ronde faisant suite à mon audition ne fait appel ni à Business France, ni aux chambres de commerce et d'industrie (CCI), ni à BPIfrance parce qu'elle considère que ces services coûtent trop chers et qu'ils devraient être gratuits.

Mais, pour être honnête, le fait que nos services ne soient pas gratuits nous a fait beaucoup progresser. Depuis une dizaine d'années, nous nous imposons une exigence de qualité et nous mesurons en courant d'affaires notre résultat. C'est le grand changement qui s'est opéré avec la création de Business France : on mesure tout en résultats, en nombre d'emplois créés pour l'investissement et en nombre de courant d'affaires pour l'export ; celui-ci est passé de 38 % à 47 % l'année dernière. L'absence de gratuité nous fait progresser, mais jusqu'à un certain point. La fragilité du tissu de PME, j'y reviens, nous oblige à limiter le coût des prestations, sinon un certain nombre d'entreprises ne pourront pas et n'oseront pas tenter leur chance à l'export, qui est pourtant la condition de leur croissance et de leur pérennité.

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