Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 5 juillet 2016 à 16h15
Commission des affaires économiques

Muriel Pénicaud, directrice générale de Business France :

Je vous remercie pour ce magnifique éventail de questions, qui sont au coeur de notre action au quotidien.

La fusion entre Ubifrance et l'AFII devait permettre de répondre à la problématique de la multiplicité des acteurs en créant un noyau central. Nous ne sommes pas au bout du chemin. J'ai évoqué notre travail avec la Sopexa, avec BPIfrance ou avec les chambres de commerce. Je n'ai pas cité nos autres partenariats, mais nous avons conclu un accord avec les conseillers du commerce extérieur, ainsi qu'avec Atout France, l'Agence française pour le développement, Expertise France ou des partenaires privés comme Chronopost, la Société générale, le Crédit agricole, et Euler Hermes. Nous sommes en discussion avec les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI), pour trouver une convergence entre privé et public afin que tous les opérateurs soient mobilisés dans le même sens, mais aussi avec l'Organisation internationale de la francophonie – 20 % des actions que nous menons à l'export ont pour cadre des pays francophones.

La pluralité des acteurs peut être une richesse ou un handicap. Elle est une richesse si on travaille ensemble, en mettant à profit l'expertise de chacun. Elle est un handicap si on intervient en ordre dispersé. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'ensemble des acteurs, à la demande des tutelles, ont créé un site commun que nous gérons, france-international.fr qui, sans être encore très dynamique, présente l'offre des différents acteurs. Nous avons fait beaucoup de progrès depuis dix mois, mais nous ne sommes pas au bout du chemin.

Les régions sont l'élément structurant des partenariats que nous développons cette année. Afin de tirer les conséquences de la loi NOTRe, du renforcement des compétences des régions en matière internationale et de leur redécoupage, nous avons engagé avec elles des discussions qui sont aujourd'hui très avancées. En matière d'investissement, nous travaillons déjà systématiquement ensemble. Chaque semaine, nous apportons sur une sorte de place de marché virtuelle une trentaine de projets que nous avons collectés dans le monde. Nous les partageons avec l'ensemble des régions et celles-ci disposent de quelques semaines pour proposer une offre. Ce système fonctionne bien.

En matière d'export, les politiques des régions étaient et restent très différentes. Le VIE est un formidable bijou. À la sortie, 97 % des jeunes trouvent un emploi ; 75 % des volontaires dans le domaine commercial décrochent un contrat pour leur entreprise, avant un an. Les jeunes plébiscitent le dispositif – nous enregistrons 85 000 candidatures par an –, y compris ceux qui ont un emploi mais qui ont envie d'aller à l'international. Avant 35 ans, il est difficile d'obtenir un poste à responsabilité à l'international dans une entreprise française.

L'Association pour l'emploi des cadres (APEC) a réalisé une étude très intéressante dont il ressort que 30 % des cadres d'entreprises françaises dans le monde ont été VIE ou volontaires du service national en entreprises (VSNE). Je remercie tous les jours les législateurs qui, à l'occasion de la fin du service militaire, ont eu la bonne idée de créer ce dispositif. Pourquoi leur nombre n'est-il pas plus important compte tenu de la demande ? Parce que de nombreuses PME ignorent encore le dispositif : 2 000 PME seulement l'utilisent. Le rôle de la région ne doit pas se résumer à une aide financière aux entreprises, il consiste aussi à promouvoir ce dispositif auprès des PME. Nous essayons de mobiliser également les chambres de commerce, et les conseillers du commerce extérieur pour que tout l'écosystème en parle. Ce dispositif est un bien commun. Il est simple, clé en main pour les PME et accessible à une TPE.

Des discussions sont en cours avec toutes les régions. Nos équipes y sont restreintes – une à quatre personnes par région. Nous avons choisi d'aider les entreprises à se projeter à l'international mais nous travaillons en amont au quotidien avec tous ceux qui, en capillarité, peuvent être au contact des entreprises. Plus nous travaillerons avec les autres acteurs du soutien aux exportations, plus nous pourrons jouer notre rôle, qui est d'aider les entreprises à conquérir des parts de marché à l'international.

La diplomatie économique a connu un changement d'intensité extrêmement fort depuis trois ans, qui nous est très bénéfique. Nous faisons partie de ce que j'appelle le triangle d'or. Autour des ambassadeurs ont été créés des conseils économiques qui rassemblent tous les acteurs pour faciliter la coordination dans chaque pays. Lorsque l'ambassadeur contacte un dirigeant à haut niveau parce que son rang le lui permet et qu'il emmène le collaborateur de Business France, celui-ci va ensuite travailler le sujet avec les équipes pour transformer ce contact en opportunité d'investissement. C'est un système très efficace. Je signale également le mois de l'investisseur, au cours duquel nous faisons ensemble la promotion de l'image économique de la France.

La force de notre action réside dans notre approche sectorielle. Nos équipes sont entièrement organisées par secteur. Nous avons des experts – vous en avez cité un, j'en suis très fière – dans tous les domaines. 80 % des collaborateurs de Business France viennent du secteur privé. La complémentarité avec les 20 % venant du secteur public est extrêmement grande. Nous travaillons avec les fédérations professionnelles et avec les pôles de compétitivité pour les aider à s'internationaliser. La programmation de nos 500 opérations collectives dans le monde, dont les 150 pavillons France que nous organisons dans les salons internationaux, est effectuée en concertation avec les professions. Dans quelques domaines, la collaboration est perfectible.

L'agriculture et l'agroalimentaire, que vous avez évoqués, représentent 20 % de nos activités. Cette part devrait avoisiner 30 % avec l'accord trouvé avec la Sopexa. Nous allons passer d'environ 2 000 entreprises accompagnées à près de 4 000. La moitié d'entre elles relèvent des vins et spiritueux. Ce domaine est vraiment le fer de lance du secteur. Cela ne veut pas dire que c'est facile, car la compétition s'aiguise chaque jour. Il est un domaine dont on ne parle pas beaucoup mais dans lequel nous excellons aussi, ce sont les équipements et les machines agricoles. C'est vrai dans la viticulture, on exporte beaucoup de machines de vinification, et dans les tracteurs.

Grâce à l'opérateur unique, au lieu de passer notre temps à nous observer, nous pouvons mobiliser toutes les forces pour faire connaître les entreprises – il y a beaucoup de TPE, souvent très innovantes – en travaillant avec les fédérations ; c'est plus facile dans les domaines dans lesquels les entreprises sont déjà structurées – c'est le cas dans le vin, avec les groupements. Dans d'autres domaines, c'est plus difficile. Il existe dix-sept branches dans l'agroalimentaire.

La ville durable – smart cities – est un domaine très porteur, qui associe plusieurs secteurs, et, dans lequel nous avons beaucoup à apporter, qu'il s'agisse de gestion de l'eau, de gestion de l'environnement, de construction, ou de connectivité. Nous possédons toutes les compétences, pas seulement dans des grands groupes. Vous l'avez souligné, en Allemagne, les grands groupes emmènent depuis toujours les PME dans leurs bagages à l'export. En France, c'est assez rare ; le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) le fait très bien ; certaines entreprises le font à titre individuel mais ce n'est pas la norme. Avec les pôles de compétitivité ou dans le cadre de l'industrie du futur, nous développons notre manière à la française d'emmener groupées des grandes entreprises et des petites.

Autre secteur, la French Tech. Ce label a été créé par l'AFII il y a trois ans. Chose extraordinaire, la communauté des startups, très active, s'en est emparée. On dénombre plus de 8 000 startups, dont la moitié en région parisienne. Un exemple concret des vertus de la fusion : à l'occasion du Consumer electronic show (CES) de Las Vegas, notre équipe export a emmené des entreprises chercher des clients tandis que l'équipe investissement cherchait des investisseurs pour les faire rencontrer à ceux qui connaissaient un problème d'accès au capital. L'équipe promotion a orchestré les relations publiques, ce qui, comme vous l'avez vu, a fait un certain bruit. Sur les 8 000 startups, 500 sont dans le domaine de la Fintech, un secteur à valoriser, de la Biotech ou encore de la Cleantech – pardonnez ce jargon.

Vous avez souligné l'action que nous menons avec BPIfrance. C'est notre recherche et développement à nous, c'est le laboratoire le plus avancé. Nous travaillons ensemble dans la Silicon Valley, à New York et en Chine. Dans la Silicon Valley, nous accompagnons des startups pendant dix semaines pour leur faire gagner au moins dix mois. Huit sur dix lèvent des fonds avant la fin des dix semaines et toutes élargissent leur marché mais aussi se mettent à oser rêver plus grand. Les entreprises excellent dans la technologie mais elles n'ont pas toujours l'audace qu'ont les Américains ou d'autres car nous sommes un trop grand pays ou un trop petit pays. Notre culture technologique est plus forte que notre culture commerciale.

L'opération « Acceleratech », qui se décline en deux programmes, l'un pour les startups très avancées, l'autre pour celles qui le sont moins, marche très bien aussi, avec un écosystème très différent. Nous n'en connaissons pas encore le bilan car l'opération est en cours. Mais nous sommes très confiants car beaucoup de contacts de haut niveau ont été pris. Ce sont des opérations très intensives sur lesquelles on met beaucoup de moyens humains.

Ce coaching très intensif correspond au développement de l'accompagnement personnalisé. Sur les 9 700 entreprises que nous avons accompagnées l'année dernière, 6 000 ont bénéficié de sur-mesure, dont les 1 000 ETI et PME avec BPIfrance. Cela ne veut pas dire que l'on va faire moins de salons, moins d'opérations collectives. L'année dernière, nous avons organisé 50 000 rendez-vous d'affaires individuels puisque notre métier, c'est de faire rencontrer la bonne entreprise à l'autre bonne entreprise qui va investir ou devenir client.

S'agissant des investissements étrangers, la France est le premier pays d'accueil des investissements industriels en Europe. Les investisseurs étrangers nous plébiscitent, ce qui peut paraître contre-intuitif ou paradoxal. Pour quelles raisons ? Pour l'accès aux marchés : notre géographie et nos infrastructures, qui sont les meilleures d'Europe, font qu'il est très facile de produire en France pour réexporter sur toute l'Europe, et de plus en plus vers l'Afrique et le Moyen-Orient. La France est une très bonne base logistique. Ce n'est pas un hasard si Fedex a choisi Roissy comme plateforme pour toute l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient ; il y a d'autres exemples de ce type. Parmi nos atouts, il faut aussi citer une très forte productivité, 20 % supérieure à celle du Royaume-Uni, ainsi qu'un coût du travail similaire à l'Allemagne depuis le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Chaque pays a ses avantages et ses inconvénients, vous les connaissez comme moi. Dans toute compétition avec les autres pays, il faut ne pas cacher ses handicaps et jouer avec ses atouts.

Avec les grèves – auxquelles j'ajoute les inondations –, on a cumulé les difficultés dans notre dialogue avec les investisseurs potentiels. Sur les 5 000 entreprises intéressées chaque année, 1 000 décident d'investir en France dont 522 grâce à l'action de Business France. Les investisseurs ont des comportements très différents des touristes, ils ne raisonnent pas à court terme, mais à long terme. Nous devons mettre en valeur les forces structurelles de notre pays et encourager les gouvernements à atténuer petit à petit, par des réformes, nos handicaps. L'instabilité de l'environnement des affaires – fiscal et juridique – est très redoutée par les investisseurs. Je dirais presque que pour eux, peu importe que ce soit cher, pourvu qu'ils trouvent la visibilité qu'ils attendent. La question, par exemple, des rescrits fiscaux est extrêmement sensible.

Plus de la moitié des investissements étrangers non européens sont réalisés dans un trio de tête de pays – Allemagne, France, Royaume-Uni – qui se tiennent au coude à coude. Nous ne sommes pas en compétition avec les pays low cost. Personne n'investit en France dans ce but. Les investisseurs recherchent de la valeur ajoutée. J'en veux pour preuve que 9 % des investissements étrangers concernent la recherche et développement, soit plus que leur poids dans le PIB ; ils représentent 28 % de la R&D française. Le premier centre de R&D créé par Facebook en dehors des États-Unis est implanté à Paris. Nous sommes très forts en big data. Nous possédons une école scientifique et de mathématiques remarquable. Je n'oublie pas le crédit impôt recherche que tout le monde nous envie. C'est un bijou. Mesdames et Messieurs les parlementaires, protégez-le ! Il est fondamental dans l'attractivité de la R&D. Nous avons les talents, une recherche publique qui est très forte, la recherche privée, et le crédit d'impôt. Nous avons un « package » pour l'innovation que nous réussissons très bien à valoriser.

Business France obéit à des priorités stratégiques. Elle ne s'occupe pas du déploiement d'enseignes commerciales. Si une enseigne veut se développer, c'est parce qu'elle considère qu'il y a un marché, l'apport de l'argent public n'est pas nécessaire. Nos priorités, définies dans le COP, sont au nombre de trois : l'industrie – avec quatorze priorités sectorielles –, la R&D car elle apporte une très forte valeur ajoutée et un très fort effet induit sur d'autres décisions, ainsi que les quartiers généraux ; il faut y ajouter, depuis peu, l'accueil de startups étrangères, grâce à la mise en place du French Tech Paris ticket. Plus de la moitié des projets que nous ramenons en France doivent concerner ces sujets.

Quant au Brexit, hormis les commentaires politiques qu'il ne m'appartient pas de faire, et les regrets, la priorité du moment reste de savoir comment tout cela va se passer mais ce n'est pas de mon ressort. Nous avions commencé à réfléchir à la question et nous n'allons évidemment pas rester inactifs. Le plus important est de comprendre quels sont nos atouts. Ils ne sont pas tous connus. Peu de gens savent qu'en Île-de-France, 1,2 million d'emplois sont liés aux services financiers – 800 000 emplois directs et 400 000 emplois indirects. C'est le troisième secteur employeur d'Île-de-France. 40 % des transactions sont faites à partir d'Euronext. Nous sommes une place essentielle dans la zone euro.

Dans le cadre de nos actions de communication consistant à mettre à disposition des chiffres clés, en neuf langues et diffusés dans le monde entier, nous avons sorti vendredi dernier un document sur la place financière et économique de Paris. Mais c'est évidemment un pur hasard de calendrier ! De toute façon, il n'était pas inutile de mettre en valeur nos atouts, nombreux, en tant que place financière. Nous verrons selon l'évolution du contexte. Nous possédons un autre atout : de l'immobilier disponible et à un prix accessible.

C'est tout bête mais, pour accueillir des milliers de personnes, il faut quatre choses : un marché – nous comptons le plus grand nombre de sièges sociaux d'entreprises industrielles d'Europe et on accède en moins de deux heures à toute l'Europe, la proximité avec les clients est très forte – ; les talents, c'est très important dans la compétition pour ce secteur ; l'immobilier ; le sujet de préoccupation aujourd'hui, hormis la compétitivité taxe – il faut d'abord bien protéger la déduction fiscale pour les impatriés, ce sujet sera très regardé –, ce sont les écoles : si nous étions amenés à accueillir des milliers de personnes, il faudrait des cursus bilingues à une autre échelle. Nous pouvons compter sur un certain nombre d'atouts, mais nous ne sommes pas les seuls : il existe quatre places en Europe. Le Brexit est aussi l'occasion de valoriser une filière méconnue mais très vivante et reconnue dans le monde.

Sur le TTIP et le CETA, le secrétaire d'État, M. Matthias Fekl, que vous auditionnez demain, sera plus en mesure de vous répondre. Lorsque la signature de ce genre d'accord approche, nous commençons à travailler sur des plans d'action pour les différents secteurs. Mais c'est encore trop tôt.

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