Intervention de Sébastien Pietrasanta

Réunion du 5 juillet 2016 à 9h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Pietrasanta, rapporteur :

Avant d'entrer dans le détail des propositions et de vous apporter les précisions que vous jugerez utiles, je voudrais saluer la manière dont le président Georges Fenech a conduit ces auditions. Comme cela a été dit et rappelé, nous avons procédé à une soixantaine d'auditions au sein de l'Assemblée nationale et à des entretiens lors de déplacements en France et à l'étranger, ce qui représente quelque 200 heures de travaux. Cette commission a extrêmement bien travaillé à la fois sur la forme et sur le fond, grâce à la manière dont les échanges ont été présidés et dont les auditions se sont déroulées. Je voulais donc rendre hommage au président de cette commission, ainsi qu'à l'équipe qui m'a accompagné en soulignant la qualité de cette maison.

Je voulais aussi vous remercier tous pour votre participation à ces travaux. Cette commission a travaillé au-delà des clivages et des intérêts parfois politiciens. J'espère qu'elle va continuer à le faire jusqu'aux échanges que nous allons avoir avec la presse. Nous avons travaillé dans un bon état d'esprit même si quelques auditions ont pu être difficiles. En toute simplicité, je pense que les trente-neuf propositions ont vocation à être mises en oeuvre à court, moyen et long terme, quelles que soient les évolutions de la vie politique dans les années qui viennent. Il me semble que chacun d'entre vous pourra les faire siennes, même s'il est difficile d'être d'accord sur tout et qu'il peut exister des divergences et des appréciations différentes sur certains aspects de ces mesures ou de leur mise en application. En tant que rapporteur, j'estime que nous pouvons être collectivement fiers du travail accompli. Cela étant dit, je regrette que l'embargo ait été brisé ce matin par des journalistes, une pratique qui est malheureusement assez habituelle.

Ce rapport de 300 pages se décompose en cinq parties que je ne vais évidemment pas vous détailler. Sans vouloir faire des comparaisons quantitatives, c'est à peu près le double du rapport de MM. Patrick Mennucci et Éric Ciotti sur la surveillance des filières et des individus djihadistes. Que ce soit dans l'écriture ou dans les propositions, je n'ai pas cherché à protéger ou à accabler qui que ce soit, soyez-en convaincus. J'ai voulu que ce rapport soit utile et qu'il soit le plus factuel et neutre possible, notamment dans la présentation de la chronologie des faits.

La première partie est consacrée au déroulement des événements. Nous nous sommes appuyés sur les auditions, mais j'ai aussi été destinataire de la chronologie des attentats de janvier et de novembre établie par les services de police et de secours : l'unité Recherche Assistance Intervention Dissuasion (RAID) ; la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) de la préfecture de police de Paris, le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), les différentes directions de la préfecture de police de Paris, le service d'aide médicale urgente (SAMU), la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), etc.

La collecte de ces informations nous a permis d'établir une chronologie extrêmement fine, avec un minutage rigoureux. Il peut toujours y avoir des erreurs ou des interrogations dont je vais vous donner un exemple. D'ailleurs, ce n'est plus vraiment une interrogation pour moi. Dans le rapport, j'écris que les terroristes sont entrés dans le Bataclan peu après vingt et une heures quarante. Or, d'après les bornes, le SMS « on y va » rédigé par l'un des terroristes a été envoyé à vingt et une heures quarante-deux. En fait, il s'agit d'un problème d'horodatage du téléphone portable.

Plusieurs sources montrent en effet que le début de l'attaque a eu lieu à vingt et une heure quarante. À vingt et une heures quarante-trois, Police-secours a reçu un premier appel au numéro 17, ce qui a enclenché l'action des brigades anticriminalité (BAC) et des secours à vingt et une heures quarante-neuf. Arrivés les premiers sur les lieux à vingt et une heures cinquante, les pompiers ont essuyé des tirs et leur véhicule a été touché. À vingt et une heures cinquante et une, la BAC de nuit du Val-de-Marne (BAC 94) a pénétré dans le passage Saint-Pierre Amelot. À vingt et une heures cinquante-quatre, le commissaire divisionnaire - qui s'était détourné du Stade de France – a pénétré dans le Bataclan où il a neutralisé Samy Amimour qui se trouvait sur la scène. À partir de ce moment-là, la tuerie a cessé.

Le commissaire est ressorti du Bataclan avec son chauffeur, et il a attendu les renforts. Il a été rejoint par une partie de son équipe, par la BAC de nuit de Paris (BAC 75) et par une partie de la compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI) de Paris. Ils sont entrés dans la salle et ont fait l'objet de tirs nourris. Les terroristes, qui étaient déjà dans les étages, se sont réfugiés dans le couloir. Les secours se sont alors vraiment organisés. Les policiers et les médecins de la BRI et du RAID ont procédé à l'évacuation des blessés et des survivants qui se trouvaient au rez-de-chaussée. Un « nid de blessés » a été organisé au sein du Bataclan où les pompiers et les équipes du SAMU ne pouvaient entrer directement en raison de la zone d'exclusion.

À vingt-deux heures vingt, la BRI est entrée, a progressé et a participé à l'évacuation des otages. À vingt-trois heures, elle a entamé sa progression dans les escaliers. À vingt-trois heures quinze, elle est tombée sur une porte close. Les discussions se sont engagées avec les terroristes et il y a eu plusieurs échanges par téléphone relativement brefs. L'assaut a été lancé à minuit dix-huit, à un moment où tous les blessés du rez-de-chaussée avaient été évacués. Les médecins de la BRI et du RAID ont joué un rôle exceptionnel dans la myriade des secours qui sont intervenus.

Je tenais à rappeler cette chronologie des événements au Bataclan, source de notre principale interrogation. Ceux qui se sont déplacés dans la salle de concert ont pu se faire une idée de la réalité des choses. Longue d'une cinquantaine de pages, cette première partie donne un minutage extrêmement précis qui sera utile aux victimes et à une meilleure connaissance des faits. La presse a relaté les événements souvent avec justesse, mais parfois avec imprécision ou en commettant des erreurs. Cette chronologie n'est pas établie d'un point de vue judiciaire mais elle est fiable et elle aura une force certaine.

Dans la deuxième partie, intitulée La réponse de l'État après un attentat terroriste, se pose la question des forces d'intervention. J'y propose une première mesure : augmenter les séances d'entraînement au tir pour les personnels des unités élémentaires de la police et de la gendarmerie nationales. L'analyse de l'attentat contre le journal Charlie Hebdo, de la fuite des frères Kouachi et des difficultés de leur neutralisation révèle un besoin de renforcement de la formation au tir. Les syndicats de police réclament d'ailleurs cette mesure : un policier du service général tire quatre-vingt-dix cartouches par an, ce qui est évidemment insuffisant.

S'agissant des forces d'intervention, j'écris que nous ne devons pas avoir de tabou et je préconise de réfléchir à une fusion des corps dont nous avons pu mesurer la rivalité, même si celle-ci n'a pas eu de conséquences directes sur le terrain. En attendant ce grand soir, il est proposé deux étapes : création d'un commandement unifié des trois forces ; montée en puissance de l'unité de coordination des forces d'intervention (UCoFI) dont les effectifs, les moyens et le rôle seraient accrus. Cette montée en puissance se concrétise dans le nouveau schéma national d'intervention des forces de sécurité, présenté en avril dernier par le ministre de l'intérieur, qui répond clairement aux attentes de notre commission et à l'analyse des événements du 13 novembre 2015.

Je ne m'étends pas sur le rôle de la presse, abondamment commenté par les forces d'intervention et le procureur de la République de Paris, mais l'élaboration d'un protocole semble indispensable.

En ce qui concerne l'accompagnement des victimes et des familles, je voudrais insister sur le fait que les secours sont arrivés très vite, contrairement à ce qu'ont pu percevoir – de manière très compréhensible – les victimes. Le soir du 13 novembre, les secours ont mis entre deux et dix minutes à arriver, selon les sites, malgré la situation chaotique qui régnait entre vingt et une heures dix-neuf et vingt-deux heures. Rappelons qu'à un moment donné de la soirée, on pensait que près d'une quarantaine de sites étaient touchés, non pas en raison de fausses alertes mais à cause de la panique. Certaines personnes, blessées sur une terrasse, se sont enfuies et se sont effondrées une ou deux rues plus loin d'où des témoins ont appelé les secours. D'autres sont montées dans un taxi, ont appelé les secours et, sous l'effet du choc et de la confusion, ont donné leur adresse personnelle plutôt que celle où elles avaient été touchées. Tout cela a créé un trouble.

Les secours ont été plutôt admirables mais nous devons évidemment continuer à améliorer les dispositifs. Nous ne pouvons pas prétendre que nous sommes en situation de guerre sans en tenir compte dans la préparation des secouristes. Nous proposons donc de former l'ensemble des équipes de secours et médicales à la médecine de guerre et aux techniques de damage control.

Une autre proposition vise à constituer sur l'ensemble du territoire national des colonnes d'extraction des victimes en zone d'exclusion, composées de secouristes intervenant sous la protection des forces d'intervention. Aux États-Unis, ce genre de dispositif est intégré au SWAT (Special weapons and tactics) et fait l'objet d'une expérimentation que nous avons pu observer. C'est assez novateur. M. Patrick Pelloux et le commandant de la BSPP nous avaient indiqué qu'une réflexion était en cours en France. Nous avons creusé l'idée qui nous semble intéressante : une colonne d'extraction, composée de médecins et protégée par des policiers ou des gendarmes d'élite, permettrait de faire intervenir les secouristes plus rapidement en zone d'exclusion. Cela a été fait par les médecins intégrés aux colonnes d'assaut mais ce n'est pas leur vocation : ils doivent continuer à rester près des policiers et des gendarmes. Je pense que cette proposition est une mesure extrêmement forte du rapport, et j'en ai beaucoup discuté avec le président.

Nous proposons des mesures sur l'identification des victimes, sur l'extension du système d'identification numérique unique standardisé (SINUS). Même si les services de secours ont réagi de la meilleure manière possible, les victimes ont trouvé qu'ils tardaient à leur venir en aide, ce qui est compréhensible : pour une personne gravement touchée, une minute semble forcément une éternité. Néanmoins, comme je vous le disais, les premiers secours sont arrivés dans un délai compris entre deux et dix minutes sur les lieux, avant même que les forces de police soient présentes sur certains sites et les aient sécurisés. Les pompiers et le SAMU sont parfois intervenus sans savoir si les terroristes étaient encore à proximité ou si l'endroit était piégé, c'est-à-dire dans des situations extrêmes qui auraient pu se révéler dangereuses pour les secouristes.

Alors que j'étais extrêmement critique au début de nos travaux, je pense désormais que les secours ont été bien gérés. Après les auditions de M. Martin Hirsch, des responsables de la BSPP, du SAMU et de l'Institut médico-légal (IML), nous avons réalisé que le taux de mortalité hospitalier était très faible – environ 1,5 % des blessés. Selon la BSPP, en cas de blessures causées par des armes de guerre telles que les Kalachnikov, 50 % des blessés meurent dans les cinq premières minutes et 80 % dans la demi-heure. En outre, il n'y a eu aucun transfert inter-hospitalier, ce qui montre que les blessés ont été bien répartis au départ entre des hôpitaux de proximité mais aussi spécialisés. Je me souviens d'avoir contesté ce choix et reproché à M. Martin Hirsch d'avoir privilégié les hôpitaux de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Finalement, je pense que le choix était judicieux.

De même, j'étais plutôt critique lors de la création du secrétariat d'État chargé de l'aide aux victimes, considérant qu'il s'agissait d'un gadget. En définitive, je pense que c'est plutôt une bonne chose et je propose de le pérenniser. En revanche, il a manqué un accompagnement psychologique, au-delà des blessures physiques. La manière dont certaines victimes ou leurs proches ont été traités n'était pas humaine. Nous le notons dans le rapport et nous faisons des propositions en la matière.

La troisième partie, qui est majeure, concerne le renseignement. Que ce soit pour décrire les faits ou pour formuler des propositions – que je trouve ambitieuses – nous avons évité toute langue de bois. Nous commençons par rappeler que la France est exposée à une menace sans précédent, en revenant notamment sur le cas du Bataclan : cette salle de spectacle était-elle particulièrement visée en 2015, compte tenu d'éléments apparus lors de l'attentat commis au Caire en 2009 ? Nous dressons aussi la liste des attentats déjoués par les services français depuis janvier 2015.

Enfin, contrairement à ce que pensaient certains, nous détaillons aussi les dysfonctionnements et les failles qui ont été mises au jour : la surveillance interrompue des frères Kouachi ; la libération sans aucune information ni surveillance d'Amedy Coulibaly ; le départ en Syrie de Samy Amimour et d'Ismaël Omar Mostefaï. Je reviens également sur le cas d'Abdelhamid Abaaoud qui révèle des failles dans la lutte antiterroriste européenne : il aurait pu être arrêté en Grèce si les services belges avaient prévenu leurs homologues grecs du démantèlement de la cellule de Verviers.

Comme vous connaissez chaque cas, je ne détaille pas, mais je peux vous dire que les choses sont exprimées de manière très explicite. Il ne s'agit pas d'accabler les services de renseignement qui sont confrontés à des choix difficiles, mais on ne peut pas décider d'interrompre des interceptions de sécurité au prétexte qu'elles ne donnent rien : ce peut être l'indice d'un passage à la clandestinité, comme dans le cas des frères Kouachi. Dans d'autres cas, la signification sera différente. Je reconnais qu'il est facile de refaire l'histoire quand on connaît la fin.

Concernant le travail de la DGSI, j'ai identifié une deuxième difficulté qui me conduit à faire une autre proposition ambitieuse : créer une agence nationale de lutte antiterroriste, rattachée au Premier ministre, et chargée de l'analyse de la menace, de la planification stratégique et de la coordination opérationnelle. Nous ne pouvons pas raisonner sur le seul plan national. Les maîtres d'oeuvre des attentats en France venaient de Belgique, et Daech a théorisé depuis près d'un an le concept d'attaques obliques, c'est-à-dire organisées depuis un pays voisin. En Syrie, il existe des katibats francophones composées de Français, de Belges, de Tunisiens et de Marocains qui discutent entre eux de la manière dont ils vont frapper dans nos pays. Les francophones doivent être gérés par nos services intérieurs et extérieurs, même si ce sont des étrangers. Cette réflexion personnelle m'a été inspirée par nos auditions.

Il faut créer une direction générale du renseignement territorial (DGRT) qui permette de gérer la question des signaux faibles – de bas et moyen spectre. Elle regrouperait le service central du renseignement territorial (SCRT), la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie, et une partie de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), l'autre étant intégrée à la DGSI. Pourquoi la préfecture de police aurait-elle son propre service de renseignement ? On peut se poser la question. Saïd Kouachi était surveillé par la DRPP, et la DGSI n'a pas pris le relais lorsqu'il est parti à Reims. Il n'y a pas eu de suivi, même si la DRPP avait communiqué l'information à la DGSI.

En rattachant la DGRT au premier cercle de la communauté du renseignement, il faut se garder de reproduire entre elle et la DGSI une dualité de même nature que celle qui existait entre la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et la direction de la surveillance du territoire (DST) avant leur fusion. Fer de lance en matière de lutte contre le terrorisme sur notre territoire national, la DGSI aurait autorité pour évoquer tous les dossiers de terrorisme, en reprenant ceux qui auraient pu être gérés au départ par la DGRT.

Comme cela a été réaffirmé lors du dernier conseil national du renseignement, le ministère de l'intérieur reste le pilote en matière de lutte contre le terrorisme sur notre territoire national, dotée de cette nouvelle direction générale. Je propose la fusion de l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) et de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) dans une structure rattachée directement au ministère de l'intérieur, quel que soit le nom retenu pour la nouvelle entité. L'idée est de disposer d'un organisme qui puisse conseiller les services du ministère de l'intérieur, analyser et structurer leur travail. Cependant, nous avions une conviction qui a été renforcée après notre déplacement à Washington : la lutte contre le terrorisme ne doit pas rester l'apanage du ministère de l'intérieur. La lutte doit être interministérielle et associer les services du ministère de la défense dont la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui doivent communiquer les informations dont elles ont connaissance.

Nous avons l'expérience de la cellule Allat qui regroupe, au sein de la DGSI, les six services du premier cercle de la communauté du renseignement, le SCRT et la DRPP. Une communication permanente est établie avec des correspondants fidèles de chaque service. Nous souhaitons aller plus loin que cette expérience opérationnelle en institutionnalisant une agence nationale de lutte contre le terrorisme. J'ai proposé qu'elle soit rattachée au Premier ministre pour des questions budgétaires, tout en comprenant les arguments de ceux qui voudraient qu'elle dépende du Président de la République. Je n'en fais pas une affaire d'État, c'est le cas de le dire. Qu'elle soit rattachée à l'un ou à l'autre, peu importe pourvu qu'un travail interministériel soit organisé de manière institutionnelle. Un directeur national du renseignement chapeauterait cette agence et éventuellement d'autres structures. Il s'agit d'améliorer la communication et d'avoir une analyse vraiment transversale de la menace.

Nous proposons également que cette agence gère une nouvelle base de données commune dont la création nous est apparue encore plus nécessaire après notre déplacement aux États-Unis. Ceux d'entre nous qui sont allés à l'UCLAT ont été assez séduits, il me semble, par la démonstration qui nous a été faite du fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), un outil qui avait été beaucoup critiqué. Ce fichier est utile pour les services du ministère de l'intérieur, et chacun joue le jeu puisque la DGSI y a intégré les 2 000 noms des personnes qu'elle surveille. Nous souhaitons que le FSPRT soit étendu et devienne une base de données commune à tous les services.

La quatrième partie porte sur la réponse pénale à la menace terroriste. Nous proposons une augmentation claire des effectifs des juridictions spécialisées : ils sont limités actuellement et seront largement insuffisants à l'avenir. Je propose, ce qui fera plaisir à certains d'entre vous, que l'on supprime les remises de peine automatiques pour les terroristes. Quant au contrôle judiciaire, il faut qu'il soit renforcé, même si cela est déjà en partie le cas.

Dans la cinquième partie, sur la protection du territoire, nous préconisons de lancer des plans nationaux d'investissements dans la vidéoprotection et dans le maillage territorial au moyen de portiques équipés de lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation (LAPI). Ce maillage peut être particulièrement utile pour résoudre les enquêtes, comme nous avons pu le constater à Bruxelles.

Les membres de la délégation de notre commission, qui ont été reçus par les responsables de l'aéroport Ben Gourion de Tel Aviv, ont été séduits par les procédures employées dans ce qui est l'un des aéroports les plus sûrs du monde. Or la sécurité aéroportuaire est plus que jamais d'actualité après les attentats commis dans les aéroports d'Istanboul et de Bruxelles. Nous souhaitons engager une réflexion sur les techniques d'identification, screening ou profilage, qui sont l'un des points forts de l'aéroport Ben Gourion.

Nous prônons aussi une diminution progressive des effectifs engagés dans l'opération Sentinelle. Ce qui était une bonne réponse de l'État au moment des attentats de janvier 2015 ne peut pas s'inscrire dans la durée. Le dispositif a montré ses limites, notamment lors de l'attentat du Bataclan, même si le ministre de la défense estime que les militaires peuvent être des « primo-intervenants ». Cette sortie progressive serait compensée par le lancement d'un troisième plan de lutte antiterroriste en vue du recrutement de policiers et de gendarmes. La surveillance reviendrait donc aux forces de sécurité intérieure. À titre personnel, je propose aussi que les entreprises privées de sécurité soient chargées de surveiller certains sites comme ceux qui sont classés Seveso, par exemple. Dans la phase de transition, nous préconisons de mieux former les soldats de Sentinelle et de les doter en armes de poing qui leur permettraient d'intervenir dans des endroits confinés comme le Bataclan où, avec un FAMAS, leur intervention aurait été particulièrement compliquée.

L'aspect militaire, qui n'a pas été au coeur de la commission d'enquête, a été essentiellement abordé dans le cadre des déplacements à l'étranger, notamment en Turquie. À titre personnel, je pense que nous pourrions renforcer notre intervention, y compris au sol, en Irak, en évitant de reproduire les erreurs des Américains et les travers d'une armée d'occupation. En Syrie, la situation géopolitique est plus compliquée.

Quant à l'Europe, elle n'est pas au niveau. Nous en avons acquis la conviction après les auditions, les déplacements à Bruxelles, aux Pays-Bas et en Grèce. La France et certains États ont produit un effort considérable depuis le 13 novembre 2015 mais ce n'est pas suffisant. L'une des propositions porte sur l'alimentation du système d'information Schengen (SIS 2) par les États membres. Actuellement, vingt pays sur vingt-huit fournissent des informations dont la quantité et la qualité laissent d'ailleurs à désirer. Si vous le souhaitez, je pourrais revenir sur le contrôle de Salah Abdeslam à Cambrai, dont la presse a fait état ces derniers jours. À mon avis, le système a été mal alimenté par les Belges.

Autre exemple qui illustre la défaillance de l'Europe : en décembre 2015, c'est-à-dire un mois après les attentats, on a songé à envoyer un agent d'Europol, un Anglais, pour épauler les personnels de Frontex – l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne – en Grèce. On a attendu le passage d'un million de migrants pour se poser la question de l'infiltration terroriste, c'est dire si la menace a longtemps été sous-estimée par Europol.

Le rapport compte trente-neuf propositions. Nous aurions pu en faire davantage et nous ressentons une certaine frustration à l'idée que certains sujets n'ont pas été abordés. Je n'ai pas voulu en rajouter à partir du moment où le rapport était en consultation auprès de certains collègues, mais je m'accorde avec Georges Fenech sur la nécessité d'augmenter la capacité d'accueil du parc pénitentiaire. Cela aurait pu être la quarantième proposition, j'en conviens. Le rapport est perfectible mais il témoigne d'un travail collectif. J'espère qu'il va transcender un peu les clivages politiques, que chacun puisse s'en emparer et qu'il sera utile.

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