Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le projet de loi organique dont notre assemblée est aujourd’hui saisie pour la dernière fois vise à adapter le statut de la magistrature aux exigences de notre temps.
Je voudrais en préambule remercier très sincèrement les deux rapporteurs de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément – nous avons tous une pensée pour lui en ce moment –, pour leurs précieux conseils, ainsi qu’Yves Goasdoué et Colette Capdevielle pour leur implication dans l’élaboration de ce texte.
La commission mixte paritaire, qui s’est réunie au Sénat le 22 juin, est parvenue à un accord tout à fait satisfaisant : les avancées du texte les plus importantes ont été préservées et les points les plus délicats ont été retravaillés conjointement. Je salue, à cet égard, l’excellente qualité d’écoute et l’esprit de coopération de mon homologue du Sénat, M. François Pillet, et de M. Dominique Raimbourg, président de notre commission des lois.
En première lecture, sur les quarante-trois articles votés par le Sénat, l’Assemblée nationale en avait adopté dix conformes et il y avait ajouté onze articles. La commission mixte paritaire était donc saisie de quarante-quatre articles : un accord a pu être trouvé sur chacun d’entre eux. Dans de nombreux cas, c’est le texte issu des travaux de notre assemblée en première lecture qui a été retenu par la commission mixte paritaire.
Il en va ainsi, par exemple, de l’élargissement de l’accès aux concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature et de l’enrichissement des perspectives de carrière des magistrats, au travers notamment de la création de nouvelles fonctions hors hiérarchie, destinée à renforcer les postes d’encadrement intermédiaire et supérieur dans les plus grandes juridictions, ainsi que de la revalorisation des fonctions de magistrat placé. Il en est de même de l’extension de la procédure dite de la transparence, de l’article consacrant le droit syndical des magistrats ou encore des dispositions réformant les procédures disciplinaires.
Dans d’autres cas, la commission mixte paritaire a, au contraire, opté pour le texte du Sénat, notamment en matière d’assouplissement de l’obligation de résidence des magistrats et de déclarations de patrimoine des membres du Conseil supérieur de la magistrature – CSM –, lesquelles relèveront de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – HATVP.
Enfin la commission mixte paritaire a, d’un commun accord entre ses membres, modifié certaines dispositions qui restaient en discussion. S’agissant de l’extension du recrutement sur titres des auditeurs de justice, qui concerne au premier chef les docteurs en droit ayant exercé les fonctions de juriste assistant pendant au moins trois années, la CMP s’est entendue pour réduire au moins de moitié la durée de la scolarité des personnes concernées à l’École nationale de la magistrature. Nous espérons que le Gouvernement, généreusement et utilement, ramènera par voie réglementaire la durée de leur scolarité très en-dessous de cette barrière législative. Je n’oublie pas de rappeler que les députés avaient suggéré de limiter cette dernière formation à un an, pour le bien de tous, non seulement en considération de la compétence et de la pratique professionnelle acquise pendant trois ans mais aussi pour soulager les deniers publics et rendre plus rapide l’affectation de ces nouveaux magistrats dont la justice comme les justiciables ont tant besoin.
Pour ce qui concerne le statut du juge des libertés et de la détention, la commission mixte est convenue, comme le souhaitait l’Assemblée nationale, d’en faire une fonction spécialisée, avec les conditions de nomination et de rémunération que celle-ci implique, tout en précisant que le juge des libertés et de la détention doit être un magistrat du premier grade au moins.
À propos des modalités d’évaluation des magistrats, la CMP a également décidé que les chefs de cour d’appel devront tenir compte, lors de l’élaboration de leur bilan d’activité biannuel, des rapports remis par l’inspection générale de la justice depuis leur installation. Elle a par ailleurs supprimé l’obligation de transmission au futur collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire des déclarations d’intérêts du premier président et du procureur général de la Cour de cassation. Elle a préféré retenir un mécanisme de déclaration interne au Conseil supérieur de la magistrature, applicable à chacun de ses membres, y compris au premier président et au procureur général.
Nous avons également supprimé la publicité des avis individuels du collège de déontologie, afin d’éviter toute interférence avec les missions dévolues au Conseil supérieur de la magistrature
La commission mixte paritaire a étendu les compétences des magistrats à titre temporaire au contentieux des contraventions et à la composition pénale, en cohérence avec le projet de loi ordinaire dont Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément sont les rapporteurs. Nous avons enfin complété les dispositions relatives au Conseil constitutionnel, en prévoyant en particulier une entrée en vigueur différée de six mois des nouvelles règles de recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité en matière pénale.
L’ensemble de la sphère publique sera désormais couverte par des exigences déontologiques renforcées. Les lois sur la transparence de la vie publique de 2013 avaient ouvert la voie s’agissant des principaux acteurs politiques et responsables publics. La récente loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a étendu ces exigences aux agents publics, y compris aux membres des juridictions administratives et des juridictions financières, pour lesquels ont été créés un collège de déontologie de la juridiction administrative et un collège de déontologie des juridictions financières.
Le projet de loi ordinaire de modernisation de la justice du XXIe siècle, que nous examinerons à la suite de celui-ci, soumet les juges des tribunaux de commerce à l’obligation de déclarer leurs intérêts auprès du président du tribunal et à déclarer leur patrimoine auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Cette dernière obligation incombera également aux présidents et aux vice-présidents des conseils de prud’hommes.
Quant au projet de loi organique dont nous débattons présentement, il étend à tous les magistrats judiciaires l’obligation de faire une déclaration d’intérêts et de procéder à un entretien déontologique avec leur chef de juridiction, qui pourra, en cas de doute sur une situation de conflit d’intérêts, saisir pour avis le collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire.
En outre, des déclarations de patrimoine devront être adressées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique par les plus hauts magistrats judiciaires : premier président, procureur général, présidents de chambre et premiers avocats généraux de la Cour de cassation ; premiers présidents et procureurs généraux des cours d’appel ; présidents et procureurs de la République des tribunaux de première instance.
Enfin, les membres du Conseil constitutionnel ne pouvaient être laissés à l’écart de ces évolutions – Yves Goasdoué a beaucoup travaillé sur cette question. Compte tenu de l’éminence des missions de cette institution mais aussi de sa juridictionnalisation croissante, nos concitoyens n’auraient pas compris qu’elle ne soit pas soumise aux mêmes exigences d’exemplarité. C’est pourquoi le projet de loi organique met en place un système interne de déclaration d’intérêts, applicable tant aux membres nommés qu’aux membres de droit ayant siégé au moins une fois, suivant le modèle du dispositif en vigueur pour les membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et qui est également retenu – je l’ai rappelé – pour les déclarations d’intérêts des membres du Conseil supérieur de la magistrature. L’obligation de déclarer son patrimoine, quant à elle, concernera les membres nommés du Conseil constitutionnel ; leurs déclarations seront transmises à la Haute Autorité, conformément au droit commun en la matière.
Qu’il s’agisse de la sphère publique ou de la sphère privée, le travail nécessaire pour éradiquer le conflit d’intérêts de toute décision publique est devant nous.
Mercredi 6 juillet, mes chers collègues, le Sénat a adopté ce projet de loi organique dans sa version élaborée par la commission mixte paritaire, moyennant l’adoption d’un seul amendement du Gouvernement – un amendement de coordination avec le projet de loi ordinaire. Je vous invite à faire de même aujourd’hui : cela ouvrira la voie à de nombreuses avancées au profit tant des magistrats que des justiciables.