Intervention de Jean-Luc Bleunven

Réunion du 12 juillet 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Bleunven, rapporteur :

Madame la Présidente, mes chers collègues, la commission doit se prononcer sur un accord relatif au transfert des équipements et des technologies de défense conclu avec le Japon en mars 2015.

Il s'agit d'un accord plutôt unique en son genre. Je vais vous en exposer brièvement la raison.

Jusqu'à récemment, le Japon avait une doctrine extrêmement stricte pour les exportations d'armement. En pratique, cela avait conduit à exclure toute forme de coopération internationale sur des programmes d'armement, sauf avec son partenaire historique, les Etats-Unis.

Cette doctrine très restrictive découlait du statut militaire singulier du Japon. Après la deuxième guerre mondiale, vaincu et occupé par les troupes américaines, le Japon a inscrit dans sa Constitution l'interdiction de recourir à la force pour régler les différends internationaux et même l'interdiction d'entretenir une force armée. Cet interdit a été assoupli au fil du temps pour permettre au Japon de se protéger, mais ce pacifisme constitutionnel a continué d'imprégner fortement la politique de défense du Japon. Et il a guidé les choix du pays en matière d'exportations d'armement.

Cependant, en 2014, le gouvernement japonais a décidé d'assouplir les règles de ses exportations d'armement. Cette décision est à replacer dans le contexte général d'une révision de la politique de défense du Japon dans le sens d'une plus grande affirmation du pays, face à un environnement stratégique jugé inquiétant. Aussi substantielle que soit cette évolution, elle s'apparente davantage à une normalisation de la position du Japon qu'à une hypothétique résurgence du militarisme japonais pointée du doigt par ses voisins chinois et nord-coréens.

Nous sommes d'ailleurs en pleine actualité puisqu'il y a eu ce dimanche une majorité très large au Sénat japonais pour permettre au Premier ministre de modifier la Constitution.

La meilleure affirmation du Japon passe aussi par le développement de son industrie de défense, qui demeure relativement sous-développée par rapport au niveau technologique du pays. L'assouplissement des règles des exportations d'armement doit permettre au Japon de transférer des équipements et technologies pour conduire des projets de développement ou de production d'armements en coopération internationale.

C'est dans ce contexte qu'intervient l'accord que nous examinons aujourd'hui. L'ouverture de la politique d'exportation d'armements du Japon reste très prudente, et notre partenaire tient à ce que des garanties strictes soient données sur les transferts d'équipements ou de technologies, notamment sur leur utilisation finale et sur l'interdiction de transfert à des personnes ou à des Etats tiers.

Il faut souligner que ces garanties n'ont rien d'inhabituel pour la France, qui les fait toujours figurer dans les arrangements techniques encadrant des projets industriels ou de développement donnés. Mais ces arrangements techniques sont conclus au niveau ministériel. L'originalité consiste ici à inclure ces garanties dans un accord intergouvernemental.

C'est, pour le Japon, un préalable à la conduite de tout programme d'armement en coopération internationale. Notre partenaire a conclu des accords de ce type avec le Royaume-Uni en 2013, l'Australie en 2014, l'Inde et la Malaisie en 2015. D'autres sont en cours de négociation avec les Philippines et l'Indonésie.

Concrètement, quel est le contenu de l'accord signé entre la France et le Japon ? Il prévoit que nos deux pays mettent à la disposition l'un de l'autre les équipements et technologies de défense nécessaires à la conduite de programmes d'armement en coopération ou, plus généralement, d'activités visant à renforcer notre coopération de défense.

Ces programmes d'armement d'intérêt commun ont vocation à être identifiés par un comité bilatéral sur les équipements de défense qui avait été créé dès 2014.

Pour autoriser les transferts d'équipements ou de technologies de défense, l'accord crée un comité conjoint qui rassemble des représentants de tous les ministères compétents en matière d'exportations d'armement des deux Etats. En France, il s'agit des ministères de la défense, des affaires étrangères et de l'économie, ainsi que du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Ce comité doit approuver les transferts pour qu'ils puissent se tenir.

Il faut signaler que l'accord du comité ne se substitue en rien à la procédure nationale de délivrance des licences d'exportation. Celles-ci doivent être obtenues au préalable, auprès de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre.

Outre l'accord du comité conjoint, l'accord prévoit plusieurs garanties pour assurer un usage des équipements et technologies transférées efficace, conforme à la Charte des Nations Unies et à la finalité du programme d'armement commun, ainsi que pour prévenir leur transfert à des tiers. Une clause garantit la protection des informations classifiées communiquées à l'occasion des transferts, conformément aux termes de l'accord de sécurité bilatéral conclu en 2011.

Voilà, en quelques mots, l'essence du contenu de l'accord sur lequel nous devons nous prononcer. Il pose un cadre juridique qui rendra possible le développement de projets industriels ou de recherche communs avec le Japon. Cependant, cet accord n'identifie en rien les projets ni même les domaines dans lesquels cette coopération pourrait trouver à d'épanouir. C'est le rôle du comité sur les équipements de défense qui se réunit deux fois par an depuis 2014.

Or, les progrès de ce comité semblent plutôt modestes. Au bout de quatre réunions, aucun projet concret n'avait encore été identifié. En réalité, le marché de la défense japonais est encore extrêmement fermé pour tout autre partenaire que les Américains, et les industriels japonais ne sont pas habitués à coopérer. Il faudra donc faire preuve de patience avant des projets d'armement de grande ampleur ne voient le jour entre nos deux pays. Le ministre de la défense avait évoqué divers domaines où cette coopération pourrait, à terme, d'épanouir, comme les sonars, les sous-marins inhabités, les robots ou encore la cyberdéfense.

En attendant, il est bon que la France accompagne dès le départ l'évolution de la politique de défense du Japon et sa plus grande ouverture sur les enjeux internationaux. Le Japon est pour nous un allié et un partenaire important, en particulier dans la zone du Pacifique dont il représente la première marine de guerre. En outre, le Japon s'intéresse à l'Afrique – et à l'expertise française en Afrique. Il manifeste son intention de jouer un rôle plus grand dans le maintien de la paix. Enfin, nos deux pays sont réputés pour leurs entreprises de haute technologie. Nous avons donc des terrains communs à exploiter.

Pour toutes ces raisons, je vous encourage à approuver cet accord qui l'a déjà été par le Sénat au mois de juin. D'après le Gouvernement, le Japon n'a pas besoin d'une autorisation parlementaire pour ce texte, mais n'a pas encore transmis son instrument de ratification. L'accord entrera en vigueur dès réception du dernier instrument de ratification et sera tacitement reconduit tous les cinq ans, s'il n'est pas dénoncé par l'une des parties.

Je vous remercie.

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