M. François Asensi interroge M. le ministre des affaires étrangères et du développement international sur la façon dont il compte réagir à la volonté explicite de Recep Tayyip Erdogan d'annihiler les revendications du peuple kurde en employant des méthodes on ne peut plus violentes et irresponsables. L'ouverture de bases aériennes, la multiplication des frappes contre Daesh ainsi que l'arrestation de membres de cette organisation terroriste par la Turquie ne constituent qu'une vitrine et s'inscrivent en réalité dans une démarche fort peu démocratique, celle de réduire au silence le peuple kurde dont la soif de liberté, d'intégrité et de démocratie dérangent. Le changement soudain de stratégie de Recep Tayyip Erdogan vis-à-vis de l'État islamique coïncide trop bien avec la montée en puissance des Kurdes de Syrie ainsi qu'avec la défaite relative du premier ministre Erdogan et le succès du HDP aux élections du mois de juin pour que sa décision ne s'inscrive pas dans une relation de cause à effet. Si l'État turc explique officiellement avoir déployé des moyens militaires afin de lutter contre l'État islamique, en réalité les opérations ciblent expressément le PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) et sa branche armée, les forces de défense du peuple. De la même manière, compte tenu de la défaite relative du premier ministre aux élections du mois de juin et du succès remporté par le HDP (parti démocratique des peuples), l'un des objectifs du déploiement d'armes est essentiellement d'arrêter les forces démocratiques et progressistes de Turquie dont font partie les militants du HDP. Recep Tayyip Erdogan considère le PKK comme une « force terroriste » et entend s'engager dans une offensive contre les forces démocratiques qui mettent en péril la manière dont il conçoit l'ordre politique. Des civils sont tués chaque jour et l'armée n'hésite pas à tirer à balles réelles sur les manifestations pacifistes des forces démocratiques. Pourtant, il est d'autant plus nuisible à l'État turc de s'en prendre au PKK qu'il constitue un véritable rempart contre l'État Islamique. On peut même affirmer que le parti des travailleurs du Kurdistan est la première force de lutte contre Daesh. Les combattants kurdes multiplient les offensives contre l'organisation terroriste surtout dans le nord-est de la Syrie à la frontière de l'Irak et de la Turquie. Le PKK mène un combat de grande ampleur où femmes et hommes se réunissent pour lutter héroïquement par les armes contre l'avancée de l'État islamique vers la Turquie. Il convient de les en féliciter dans la mesure où leur lutte a permis au territoire turc d'être pour le moment relativement préservé d'une recrudescence de l'État islamique. Qu'en sera-t-il si la Turquie continue de se concentrer sur sa lutte contre le PKK ? Qui saura faire reculer le terrorisme sans le savoir-faire et la connaissance du terrain de ses combattants ? Il est exaspérant de voir que la France reste en retrait par rapport à ce conflit qui met en péril la capacité de la communauté internationale de lutter contre l'État islamique. François Hollande est intervenu pour condamner l'attentat-suicide dans la ville de Suruc près de la frontière syrienne et a exprimé toutes ses condoléances au gouvernement turc après ce drame. Or il n'aurait pu avoir lieu sans la passivité du gouvernement turc. Il faut que la Turquie combatte à nos côtés l'État islamique. Mais pour le moment, le premier ministre Erdogan se concentre plus sur l'ennemi que représente pour lui le PKK que sur ce combat. Pour que la lutte internationale contre le terrorisme soit efficace, il faudra d'abord obtenir les conditions d'une reprise de dialogue entre les différents acteurs du conflit kurde et envisager la fin des bombardements contre les rebelles du PKK. La France a tout à fait la possibilité de faire pression pour que la Turquie respecte enfin les droits fondamentaux du peuple kurde et mette en place un dispositif efficace pour lutter contre Daesh. Le lundi 28 juillet 2015, les États-Unis et la Turquie ont conclu un nouveau partenariat pour que la coopération militaire contre l'État islamique soit renforcée en Syrie. François Hollande n'a pas hésité à saluer cette initiative. Il faut pourtant s'assurer que cette coopération ne va pas seulement servir à ce que la Turquie donne un coup de boutoir aux revendications du PKK, ce qui pourrait encore ralentir la lutte menée contre l'État islamique. C'est pourquoi il lui demande de quelle manière la France compte intervenir auprès de Recep Tayyip Erdogan pour arrêter la répression menée contre le peuple kurde. Il souhaite également savoir de quelle manière la France va s'assurer que cette coopération militaire ne soit pas détournée de l'objectif de lutte contre l'État islamique à des fins de répression contre les forces kurdes.
La France prend toute sa part pour lutter contre le fléau du terrorisme, sous toutes ses formes et en tout lieu. En Irak, elle est l'un des principaux contributeurs à la coalition internationale contre Daech et participe au programme américain Advise and Assist en conseillant l'état-major irakien et en menant des formations en matière de lutte contre les engins explosifs improvisés. Elle soutient également les forces kurdes du gouvernement régional du Kurdistan (GRK), par des livraisons d'armes et des actions de formation, dans un cadre national. En Syrie, la France soutient l'opposition modérée, y compris kurde, à la fois contre le régime de Bachar el Assad et contre Daech. Après l'attentat qui s'est produit en Turquie, à Suruç, le 20 juillet dernier, le gouvernement turc a pris de nouvelles mesures contre Daech. Seule une action durable et déterminée de tous les acteurs, corrélée à une stratégie globale, qui prenne également en compte la nécessité de promouvoir une transition politique en Syrie, permettra de lutter efficacement contre Daech et la menace qu'il représente. S'agissant du PKK, la position de la France est constante : il est inscrit sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne. La France condamne la reprise, par l'organisation, de l'action armée sur le sol turc depuis le 22 juillet dernier. Elle continue également de marquer son soutien au processus de dialogue sur la question kurde initié en 2013, qui avait permis une trêve durable et des discussions avancées. Les autorités françaises forment le voeu que ce processus puisse reprendre le plus rapidement possible, afin de couper court à toute escalade de la violence.
1 commentaire :
Le 07/08/2015 à 18:07, chb17 a dit :
Bonne intervention sur un sujet important, mais compliqué.
Bon courage, Monsieur Asensi, pour obtenir la moindre franchise du Quai d'Orsay devant la représentation nationale.
" il est d'autant plus nuisible à l'État turc de s'en prendre au PKK qu'il constitue un véritable rempart contre l'État Islamique. "
Bon, le combat de la Turquie contre l'irrédentisme kurde n'est pas franchement nouveau, et avait parfois reçu l'aide américaine malgré (pendant!) l'utilisation par Washington des kurdes irakiens contre Saddam. Quant aux relations de la Turquie avec les takfiristes, on y voit d'autant plus de duplicité que les aventures libyennes + sahéliennes ont mis en oeuvre des bandits pseudo-religieux qui servaient à la fois de mercenaires, de repoussoir, de chèvre... les mêmes ayant été recopiés voire recyclés avec armes et bagages contre la Syrie. La duplicité des turcs est donc à l'image de celle de la diplomatie française, dont les objectifs affichés ne reflètent ni l'action réelle ni l'intérêt de la France. Dans le cadre d'un redécoupage de la région, il est notoire que les turcs ne virent jamais d'un bon oeil la possibilité offerte aux kurdes de faire avancer leur objectif d'indépendance. En outre, malgré le côté odieux de la répression réactualisée, on n'attendra pas de la part d'un caniche de l'OTAN qu'il plaigne et défende les kurdes en Syrie ou en Turquie.
" Il faut que la Turquie combatte à nos côtés l'État islamique " : voeu doublement pieux, puisque l'action diplomatique de la France a largement contribué à l'émergence (voire à l'armement, et "par erreur" comme de la part de Washington) de la Daèche.
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