M. Laurent Baumel interroge M. le ministre de l'économie et des finances sur le champ d'application de la déclaration de soupçon en matière de lutte contre le blanchiment. Le rapport d'évaluation de la France par le groupe d'action financière (GAFI) a en effet relevé que le dispositif de lutte contre le blanchiment français présentait des lacunes en matière de mobilisation des professions autres que celles du secteur bancaire. Il apparaît ainsi que les avocats, les huissiers ou les experts comptables ne parviennent pas à identifier clairement leurs obligations en matière de déclaration, en particulier du fait d'un manque de clarté du cadre juridique applicable. Il lui demande donc s'il peut lui indiquer quel est le contenu précis des obligations pesant sur les professionnels non financiers en matière de lutte contre le blanchiment.
Le blanchiment de capitaux consiste à introduire, dissimuler ou convertir des flux d'origine illicite dans le système économique et financier pour en tirer un profit. Les vecteurs de blanchiment sont évolutifs et variés. Ils font appel à des techniques plus ou moins sophistiquées (utilisation de techniques juridiques, économiques et financières permettant d'accroître l'opacité des opérations et des flux) à l'échelon national ou international, et supposent bien souvent le recours à des professionnels (juridiques ou financiers) qui ne sont pas toujours conscients des agissements illicites de leurs clients. La lutte contre le blanchiment des capitaux est au coeur des débats européens et donc nationaux depuis le début des années 90. Dès 1991, l'Union européenne a souhaité soumettre tous ses Etats membres à l'obligation d'interdire et de sanctionner le blanchiment de capitaux. A l'origine, seuls les professionnels financiers ont été appelés à contribuer à cette lutte par le droit européen et national. Dans ce cadre, ces professionnels devaient remplir des obligations de vigilance à l'égard de leur client et devaient déclarer à la cellule de renseignement financier (TRACFIN) toute opération jugée suspecte. En 2005, une nouvelle directive relative à la prévention du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme a élargi aux professions non financières cette obligation de déclaration. Transposées en droit interne par l'ordonnance du 30 janvier 2009, ces obligations de déclaration de soupçons pèsent désormais non seulement sur les professions financières, mais également sur l'ensemble des professions dites « non financières : les professions juridiques ou comptables (les experts comptables et commissaires au compte, les avocats, les notaires, les huissiers de justice, les administrateurs judiciaires, les mandataires judiciaires et les commissaires-priseurs judiciaires) mais également les agents immobiliers, les opérateurs de jeux et jeux en ligne, paris et casinos, les personnes se livrant au commerce ou à la vente de pierres ou matérieux précieux, ou encore les agents sportifs et les sociétés de domiciliation. Si le champ des personnes assujetties aux obligations de déclaration s'est élargi, il en a été de même du champ de la déclaration de soupçon. La définition du blanchiment de capitaux qui était initialement limitée aux produits du trafic de stupéfiants ou de la criminalité organisée, a été élargie à toute infraction punie d'une peine privative de liberté d'au moins un an. Cet élargissement de l'éventail des infractions dites "sous-jacentes" a ainsi permis de préciser que le dispositif de lutte contre le blanchiment ne visait pas le seul blanchiment mais toute infraction susceptible d'en être à l'origine. Dans ces conditions, le cadre juridique applicable aux professions financières comme non financières est très clair : doivent être déclarées toutes les opérations pour lesquelles le professionnel assujetti sait, soupçonnne ou a de bonnes raisons de soupçonner que les fonds proviennent d'une infraction passible d'au moins un an d'emprisonnement, qu'il s'agisse d'une opération visant à blanchir des fonds illicites (blanchiment) ou que l'origine de ces fonds soit considérée comme douteuse (infraction sous-jacente). Il en va de même lorsque ces fonds sont susceptibles de participer au financement du terrorisme. La fraude fiscale étant également une infraction passible de plus d'un an d'emprisonnement, elle a été inclue dans la liste des infractions sous-jacentes au blanchiment. Cependant, une mesure trop générale risquant d'aboutir à un volume trop important de déclarations parfois injustifiées, les pouvoirs publics ont prévu qu'un décret du 16 juillet 2009 vienne préciser une liste de 16 critères permettant aux professionnels de déterminer les cas dans lesquels une fraude fiscale peut être soupçonnée comme étant à l'origine d'un blanchiment : l'utilisation de sociétés écran, la réalisation d'opérations financières incohérentes au regard des activités habituelles de l'entreprise ou du particulier, la progression forte et inexpliquée, sur une courte période, des sommes créditées sur un compte, en sont quelques exemples. L'existence de ces critères permet de ne pas rendre la déclaration de soupçon systématique dans les cas de fraude fiscale. Elle a, par ailleurs, été reconnue par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 14 octobre 2011, comme ne constituant pas une atteinte au secret professionnel. En conclusion, si le professionnel n'a pas à qualifier en tant que telle l'infraction, il est cependant tenu de déclarer toute opération dont il soupçonne qu'elle pourrait être qualifiée d'infraction passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins un an, y compris la fraude fiscale. Cette obligation de déclaration ne pèse donc pas uniquement sur les seuls soupçons de blanchiment.
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