M. Laurent Grandguillaume attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le recours à des tests osseux afin d'établir l'âge de mineurs isolés étrangers. Cette pratique peut en effet conduire à l'exclusion du dispositif de l'aide sociale à l'enfance de mineurs isolés pour cause de prétendue majorité, ce qui peut s'avérer particulièrement dramatique pour ces mineurs qui se retrouvent seuls, sans soutien ni assistance et risquent d'être expulsés de notre territoire. Or la fiabilité de tels tests est sujette à caution. L'Académie nationale de médecine a, en effet, considéré que les expertises osseuses ne permettent pas « de distinction nette entre 16 et 18 ans », la marge d'erreur pouvant atteindre dix-huit mois. Ainsi, l'administration fait pratiquer des examens médicaux, fondés en partie sur l'expertise osseuse, dont tous les spécialistes s'accordent à dire qu'elle est dépassée. Le Comité national consultatif d'éthique a pour sa part rendu un avis très négatif, le 23 juin 2005, sur cette méthode de détermination de l'âge. En effet, la méthode d'évaluation de l'âge la plus couramment utilisée se fonde sur la radiographie de la main et du poignet gauche par comparaison avec des clichés de référence, répertoriés dans l'atlas de Greulich et Pyle. Or ces clichés de référence datent des années 1930 et sont issus d'une population américaine « d'origine caucasienne ». La finalité initiale de ces clichés n'a jamais été juridique mais purement médicale. De telles références recèlent, en outre, un risque d'erreur majeur : le développement osseux d'enfants non caucasiens peut être hétérogène par rapport à ces références anglo-saxonnes remontant à plus d'un demi-siècle. De ce fait, les résultats obtenus d'après cette expertise osseuse ne sont pas fiables et présentent une marge d'erreur d'environ 18 mois, amplifiée dans le cas d'enfants ayant connu la malnutrition ou la famine. Le Comité national consultatif d'éthique en conclut donc qu'« il est particulièrement inquiétant de voir pratiquer, à des fins judiciaires des examens dont la signification et la validité, par rapport à l'objet même de la demande d'expertise, n'ont pas été évalués depuis plus de cinquante ans ». Le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe a émis un avis très critique sur l'utilisation des tests osseux pratiqués pour déterminer l'âge des jeunes migrants lorsqu'ils affirment être majeurs. Deux critiques majeures : la fiabilité de ces tests, de plus en plus contestés par les scientifiques et le fait que la méthode (radiographie) expose inutilement ces jeunes à des radiations. Dernier point : cette méthode est en contradiction avec la convention relative aux droits de l'enfant. Pourtant, l'expertise osseuse continue non seulement d'être effectuée et elle est surtout privilégiée par rapport aux documents d'identité que pourraient posséder les mineurs, ce qui est contraire à l'article 47 du code civil. L'évaluation de l'âge devrait être réalisée par un groupe pluridisciplinaire d'experts indépendants, à partir de l'appréciation combinée de sa maturité physique, sociale et psychologique. Ces experts devraient tenir compte du fait que certaines évaluations physiques risquent d'être traumatisantes ou éprouvantes. Il convient enfin que l'intéressé puisse faire appel de la décision rendue par le groupe d'experts ou demander la révision de l'évaluation effectuée. C'est pourquoi il lui demande quelle mesure il compte mettre en œuvre afin que les techniques d'évaluation de l'âge respectent la culture, la dignité et l'intégrité physique de l'enfant.
Le Gouvernement n'ignore pas ce sujet difficile et douloureux des mineurs étrangers isolés. Dans ce cadre, la détermination de l'âge est effectivement importante, la minorité étant une protection absolue contre l'éloignement du territoire et permettant une protection et un accompagnement adapté. C'est pourquoi une démarche interministérielle a été entamée, sous la conduite du ministère de la justice, dès la rentrée 2012, pour améliorer la prise en charge des mineurs étrangers isolés. Un travail important a été mené notamment avec l'association des départements de France (ADF) et va aboutir à la signature d'un protocole entre les ministres concernés et l'ADF et d'une circulaire dont les éléments principaux en matière de détermination de la minorité sont les suivants : Les garanties juridiques liées à l'état de minorité nécessitent qu'en cas de doute sur les déclarations de l'intéressé, il soit procédé à une vérification de celles-ci. L'évaluation de la minorité s'appuie sur la combinaison d'un faisceau d'indices : - entretiens conduits avec le jeune par un personnel qualifié dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire : une trame d'entretien type établie sur la base d'un accord entre l'État et les départements représentés par l'ADF, devra être respectée ; - vérification de l'authenticité des documents d'état civil qu'il détient sur le fondement de l'article 47 du code civil, étant précisé que, s'il appartient au parquet de saisir le bureau de la fraude documentaire de la direction centrale de la police aux frontières, rien ne s'oppose à ce que les conseils généraux sollicitent eux-mêmes le réseau de personnes référentes « fraude documentaire » au sein des préfectures et de certaines mairies. Il n'y a pas lieu de remettre en cause l'appartenance au mineur des documents administratifs qu'il présente et dont l'authenticité n'est pas contestée. - si le doute persiste au terme de cette étape et seulement dans ce cas, il peut être procédé à une expertise médicale de l'âge sur réquisitions du parquet. Dès lors que le conseil général accueillant le mineur ne s'est pas encore vu confier la tutelle de ce dernier, il ne peut légalement solliciter la réalisation de cet examen. Les conclusions de cette expertise sont adressées en parallèle au président du conseil général et au parquet. Le parquet peut apporter son concours au président du conseil général pour l'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs étrangers isolés. Le test osseux n'est donc plus considéré qu'en derniers recours et dans un processus garant des droits.
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