M. François Loncle appelle l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire, sur le problème de l'accès aux graines. Les semences ne peuvent être vendues qu'à la condition d'être inscrites sur le « catalogue français des espèces et des variétés » qui remplit un double objectif : d'une part, garantir une « productivité accrue de l'agriculture », d'autre part, empêcher la « mise en terre de semences potentiellement nuisibles ». Ce registre comporte 4 500 variétés agricoles, 2 200 variétés potagères et 600 nouvelles variétés y sont consignées chaque année. Or ces chiffres sont trompeurs. Car seulement 150 à 200 espèces végétales comestibles sont cultivées, alors qu'il en existe au moins 250 000. En outre, les trois quarts de la diversité génétique présente dans l'agriculture ont disparu au cours du XXe siècle. On assiste à une forte réduction de l'offre alimentaire, au point que la FAO déplore que seules 12 espèces assurent désormais 70 % de l'alimentation de la planète. En France, la moitié des ventes de pommes ne concerne que 5 variétés. Cette concentration a un quadruple effet néfaste : elle diminue sensiblement la diversité génétique dans les champs ; elle standardise l'alimentation ; elle favorise l'hybridation ; elle avantage les multinationales de l'agroalimentaire. Les légumes et les fruits tendent à s'uniformiser puisqu'ils sont calibrés en taille, en couleur et en goût. Ayant pourtant besoin de davantage d'eau et d'engrais solubles, les hybrides se répandent, tout au moins pour les végétaux à fécondation croisée. Ainsi, les maïs hybrides, qui représentent 90 % des variétés de maïs mentionnés au catalogue, s'avèrent certes plus vigoureux et plus productifs que le maïs classique, mais seulement la première année ; ensuite, l'agriculteur est dans l'obligation de racheter les graines devenues dégénérescentes, pour le plus grand profit du semencier. Parce qu'elle se conserve trois semaines après la récolte, la tomate hybride daniela monopolise les étals des grandes surfaces, alors qu'elle manque cruellement d'arôme. Enfin, la grande industrie agroalimentaire accapare le marché mondial des semences dont les deux tiers sont contrôlés par seulement 10 entreprises. Celles-ci protègent leurs inventions variétales par le dépôt d'un certificat d'obtention végétale (COV) qui est l'équivalent d'un droit de propriété intellectuelle. Concernant 90 % des légumes commercialisés, le COV garantit au sélectionneur l'exclusivité, pour une durée de 25 ans, de la production et du commerce de cette variété sur la vente de laquelle il perçoit des royalties. Sur un quintal de blé tendre, le semencier encaisse près de 9 euros. Captant le quart du marché mondial des graines, la multinationale américaine Monsanto détient plus du tiers des variétés de tomates protégées et près de la moitié de celles de choux-fleurs. De plus, il est interdit au paysan de replanter une partie de sa récolte, sous peine de subir de lourdes amendes. Cette réglementation, déjà limitative, ne cesse de se renforcer, car les semenciers américains recourent largement au brevet qui est encore plus restrictif, dans la mesure où il suffit qu'un seul gène soit breveté pour que toute la graine soit protégée, ce que n'autorise pas un COV. Cette pratique se répand en Europe où déjà 1 800 brevets s'appliquent à des végétaux. La firme suisse Syngenta a notamment créé un melon à la saveur « amère-rafraîchissante-aigre-douce », ce qui signifie qu'elle détient les droits sur tous les melons ayant les mêmes caractéristiques. Il lui demande de lui indiquer les mesures qu'il envisage de prendre pour permettre une plus grande ouverture d'accès aux semences. Il voudrait savoir comment il apprécie le phénomène de privatisation croissante du vivant qui est pourtant le patrimoine commun de l'humanité et comment il se propose d'y remédier.
Le ministère en charge de l'agriculture élabore, met en oeuvre et évalue la politique d'orientation du progrès génétique des plantes cultivées et le dispositif de contrôle de la production et de la certification des semences et des plants, dans un cadre défini par ailleurs par la réglementation dédiée au niveau de l'Union européenne. Cette réglementation vise à garantir l'accès des agriculteurs et des utilisateurs à des semences saines, loyales et marchandes, répondant à leurs attentes en terme de performances agronomique, économique et environnementale et de façon cohérente avec les orientations des politiques publiques. Ainsi, pour les espèces réglementées à l'échelle de l'Union européenne, au nombre de 250, les semences mises sur le marché doivent appartenir à des variétés inscrites sur le catalogue français ou de l'Union européenne qui comptent respectivement près de 8 000 et 44 000 variétés. Pour les espèces non réglementées, l'obligation d'inscription ne s'applique pas et les semences et les plants correspondants peuvent être commercialisées sans préjudice des normes phytosanitaires qui peuvent s'appliquer. L'offre variétale est ainsi diversifiée à la fois sur le plan quantitatif en nombre de variétés mais aussi sur le plan qualitatif en terme de diversité génétique tel que cela a été mis en évidence par plusieurs études. L'inscription des variétés au catalogue officiel vise à caractériser les génotypes afin de consolider l'adéquation de l'offre variétale à la demande des agriculteurs utilisateurs. Ce dispositif permet par ailleurs d'orienter et de mesurer le progrès génétique des plantes cultivées. C'est par exemple grâce à ce dispositif que nous sommes en mesure de dire que le progrès génétique sur le blé tendre permet de gagner un quintal par hectare et par an. Ce progrès génétique, orienté par les pouvoirs publics à travers la démarche d'inscription, est permis par l'investissement des entreprises semencières dans la recherche et l'innovation. C'est ainsi que les 72 entreprises semencières françaises investissent près de 15 % de leur chiffre d'affaire en la matière, au bénéfice des différents modèles d'agriculture français. Cet investissement important est rendu possible par le régime spécifique de protection de la propriété intellectuelle des obtentions végétales, basé sur le certificat d'obtention végétale (COV). Le COV est un dispositif, créé en 1961 à travers la mise en place de l'union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV), qui peut être désigné comme « un système ouvert » dans la mesure où les obtentions protégées sont utilisables par tous pour la création de nouvelles obtentions différentes, sans paiement de royalties au détenteur des droits de la première variété. Ce dispositif permet également aux agriculteurs de produire leurs propres semences, en vue d'une utilisation sur leur propre exploitation, d'une variété protégée, à la condition que l'exploitation commerciale des produits de sa récolte contribue de façon équitable à l'investissement concédé par l'obtenteur pour la création de cette variété. Cette exemption est totale pour les petits agriculteurs (au sens de la politique agricole commune) afin que la précarité économique potentielle de certaines petites exploitations ne constitue pas un frein à l'accès à l'innovation variétale qui reste un élément clé de la compétitivité économique des exploitations agricoles. La contribution demandée dans le cadre de la pratique des semences de ferme concerne les 21 espèces visées à l'article 14 du règlement communautaire 2100/94/CE, complétée, comme le prévoit la loi, par des espèces pour lesquelles cette pratique est traditionnelle. De plus, le montant de la rémunération de l'obtenteur est faible, avoisinant dans le cas du blé tendre, pour lequel un dispositif de perception des rémunérations sur les semences de ferme existe depuis 2001, 4 € par ha soit 0,07 € par quintal de blé produit. Dès lors, dans un contexte marqué par le changement climatique, l'augmentation de la population mondiale et la diminution nécessaire de l'impact de l'agriculture sur l'environnement, le dispositif réglementaire qui encadre le secteur semences et plants et notamment le COV doivent être fermement défendus et préférés aux autres formes de protection de la propriété intellectuelle, en particulier le brevet.
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