Mme Chantal Guittet interroge Mme la ministre du commerce extérieur sur l'application des termes de paiement, induits par la loi de modernisation de l'économie (LME), aux opérations internationales des sociétés françaises. Cette loi définit les délais de paiement maximums entre clients et fournisseurs, limités depuis le 1er janvier 2011 à 45 jours fin de mois ou 60 jours nets. La LME est imprécise et sujette à interprétation pour ce qui concerne les délais de paiement maximum applicables aux contrats internationaux. Or de nombreuses entreprises ont choisi de considérer que leurs exportations vers des pays tiers à l'Union Européenne n'étaient pas soumises à ces dispositions de la LME, même si la livraison a lieu en France ou dans un pays de l'Union européenne. Une insécurité juridique accompagne ces pratiques. Par ailleurs, les délais de paiement étant un élément de compétitivité de l'offre pour les clients étrangers, le comité Bretagne des conseillers du commerce extérieur de la France a appelé à exempter les exportations françaises directes et indirectes de ces dispositions pour en prévenir les effets pervers : une distorsion de concurrence préjudiciable aux produits français, le développement de centrales d'achat à l'étranger, la délocalisation de sociétés françaises en quête de davantage de souplesse financière. Aussi, elle lui demande de préciser, d'une part, dans quelles conditions ces dispositions de la LME doivent s'appliquer aux opérations internationales, d'autre part, si une telle exemption est envisageable.
La difficulté à laquelle se heurtent les entreprises exportatrices françaises lorsqu'elles placent leurs contrats de vente internationaux sous l'empire du droit français, réside dans l'obligation qui leur est faite d'exiger de leurs clients des délais de paiement contraignants, alors que leurs concurrentes étrangères, dont le droit national est plus libéral, peuvent consentir des délais longs à leurs clients. L'examen des termes du contrat de vente liant une société de négoce française et un fournisseur ou un client étranger est un préalable à la détermination de la loi applicable. Le négoce international de marchandises est encadré juridiquement par les contrats de vente internationaux de marchandises (CVIM), élaborés par la commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et adoptés par une conférence diplomatique le 11 avril 1980. Cette convention s'applique aux contrats de vente de marchandises conclus par des parties ayant leur établissement dans des États différents signataires de cette convention. Sauf exclusion par les parties, les dispositions de cette convention s'appliquent par défaut aux contrats internationaux et se substituent aux règles du droit interne national. Or l'article 59 de cette convention, constituant les règles relatives aux délais de paiement, renvoie à l'application des dispositions contractuelles et ne fixe aucun délai maximum de paiement. Les parties peuvent toutefois expressément exclure l'application de cette convention et décider d'appliquer le droit interne national de l'une ou l'autre des parties quelle soit française ou étrangère. Lorsque les parties soumettent leur contrat au droit français, seule la désignation du droit interne, par exemple à la suite d'un renvoi explicite aux dispositions du code civil ou du code de commerce, permet d'exclure l'application de la CVIM. Si les parties ont désigné une loi étrangère comme loi applicable à leur contrat, les dispositions du code de commerce relatives aux délais de paiement, en tant que règle impérative ou de police, peuvent néanmoins s'appliquer dans certains cas, notamment en cas d'abus manifeste ayant été à l'origine d'un préjudice en France et pouvant donner lieu à une action contentieuse à l'initiative du ministre. L'application par défaut des règles de droit de la CVIM ou des droits internes étrangers moins contraignants que le droit français permet donc d'ores et déjà aux négociants français d'octroyer à leurs clients étrangers des délais de paiement similaires à ceux proposés par leurs concurrents internationaux. L'exemption souhaitée par le comité Bretagne des conseillers du commerce extérieur de la France porterait sur tout type de contrat de vente entre deux entreprises françaises, dès lors que la finalité de l'opération serait l'exportation des marchandises par l'acheteur (directe ou indirecte). Le champ de cette dérogation serait donc potentiellement très étendu. Une telle réforme favorable aux entreprises exportatrices se ferait donc au détriment des fournisseurs français dont les délais de paiement clients s'allongeraient. Cette exemption engendrerait donc un décalage de trésorerie au détriment des fournisseurs industriels français (eux-mêmes potentiellement soumis à des délais fournisseurs plafonnés), dont la santé financière est déjà fragilisée par le contexte économique actuel. Or dans son enquête de conjoncture de juillet 2012 dédiée aux petites et moyennes entreprises, OSEO établit un diagnostic positif de la situation économique des entreprises exportatrices. En effet, les entreprises « fortement exportatrices » (au moins 25 % du chiffre d'affaire (CA) réalisé à l'export) prévoient une hausse de leur activité de 3,6 % à fin 2012, contre + 1,3 % pour les entreprises « moyennement exportatrices » (entre 6 % et 25 % de leur CA à l'export) et un repli de 0,1 % pour les entreprises « non-exportatrices ». L'avantage concurrentiel dont bénéficient ainsi certaines entreprises européennes par rapport aux entreprises françaises est atténué depuis le 16 mars dernier. En effet, la directive n° 2011/7/UE du 16 février 2011 relative à la lutte contre les retards de paiement dans les relations commerciales devant être intégralement transposée à cette date, limite en principe les délais de paiement à 60 jours civils en Europe. Or 68,7 % des exportations françaises ont pour destination un pays européen (source INSEE, « exportations et importations de biens de la France dans le monde en 2011 »). En outre, un nouveau dispositif d'exemption sectorielle mettrait en cause les principes de la réforme instaurée par la loi de modernisation de l'économie (LME). La directive n° 2011/7/UE du 16 février 2011 devant être transposée intégralement dans l'ensemble des pays européens au 16 mars 2013, prévoit dans son article 3.5 un plafonnement des délais de paiement à 60 jours civils et autorise le dépassement de ce plafond par contrat dès lors que le délai fixé ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. La réglementation française prévoit, à l'article L. 441-6 I 9e alinéa du code de commerce, un plafonnement des délais de paiement à 45 jours fin de mois ou 60 jours nets date d'émission de la facture. Mais la France n'a pas transposé la disposition de la directive n° 2011/7/UE ouvrant droit au déplafonnement contractuel des délais de paiement pour ne pas remettre en cause le principe même de la réforme instaurée par la LME. La troisième décision du pacte national pour la compétitivité, la croissance et l'emploi est d'établir un plan d'action pour lutter contre l'allongement des délais de paiement. Le Gouvernement a ainsi incité les filières professionnelles à établir des conventions d'objectifs de réduction des délais de paiement sur le quinquennat. L'observatoire des délais de paiement, dans son rapport 2012, préconise d'exclure toute mesure supplémentaire visant à assouplir (prolongation ou multiplication d'accords dérogatoires) ou à restreindre les principes généraux établis par l'article L. 441-6 du code de commerce. Enfin, une dérogation telle que celle proposée par le comité Bretagne engendrerait une complexité contractuelle importante et une possible réorientation de l'activité vers les professionnels non bénéficiaires de dérogations. En effet, les très petites entreprises/petites et moyennes entreprises (TPE/PME) exportatrices ou qui ont une activité de négoce international pourraient stipuler dans leurs contrats avec leurs fournisseurs français un délai de paiement supérieur au plafond légal, dès lors qu'elles ont une activité de négoce international. Afin de prendre en compte les particularités de la situation de ces entreprises, Jean-Hervé Lorenzi, président de l'observatoire des délais de paiement, a été chargé d'une mission en vue d'évaluer l'impact sur les opérations d'exportation et d'importation des entreprises françaises de la mise en oeuvre effective de la contrainte générale sur les délais de paiement que prévoit le projet de loi consommation (présenté à l'Assemblée nationale en juin 2013) à travers un renforcement des contrôles et l'effectivité des sanctions. L'objectif est de proposer des mesures à mettre en oeuvre pour ne pas freiner mais dynamiser le développement international de nos entreprises tout en évitant un affaiblissement de l'objectif général de réduction des délais de paiement.
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