M. Élie Aboud alerte Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'utilisation des médicaments au sein des centres de détention judiciaires. En effet, on constate qu'il n'est pas rare que certains détenus demeurent sous l'emprise de prescription médicamenteuse importante. Cela n'est pas sans lien avec leur situation psychologique. Or il convient de rappeler les mauvais chiffres de la France en matière de suicide dans les prisons. Il y a eu quatre-vingt-quinze suicides dans nos établissements pénitentiaires en 2010, soit un taux de 15,5 suicides pour 10 000 détenus. Ces suicides ne sont probablement pas sans lien avec la prise de médicaments antidépresseurs, hypnotiques, ou anxiolytiques. Il convient donc d'examiner avec beaucoup d'attention, chaque cas, pour essayer de comprendre le parcours tragique de certains détenus. Il lui demande donc de bien vouloir lui l'état de sa réflexion à cet égard.
Depuis la loi n° 94-43 relative à la santé publique et à la protection sociale du 18 janvier 1994, l'organisation et la mise en oeuvre de la prise en charge purement sanitaire des personnes détenues ont été transférées au service public hospitalier, tant au sein des établissements que dans les établissements publics de santé lors des consultations d'urgence, consultations spécialisées et hospitalisations. Le ministère des affaires sociales et de la santé est donc exclusivement compétent s'agissant de la prise en charge sanitaire et la prescription, la délivrance et la distribution des médicaments relèvent du personnel sanitaire. Néanmoins, le ministère de la justice s'implique fortement dans la politique de prévention du suicide, et l'administration pénitentiaire met en oeuvre de nombreuses actions, conjointement avec le ministère des affaires sociales et de la santé le cas échéant, dans la poursuite de cet objectif. Bien que la majorité des suicides (95%) aient lieu par pendaison en détention, le personnel pénitentiaire est particulièrement vigilant lorsqu'un stockage de médicaments vient à être constaté à l'occasion d'une fouille de cellule notamment. Dans ce cas, les médicaments sont remis par le personnel pénitentiaire à l'unité sanitaire aux fins de contrôle et de suivi. En outre, face aux conduites à risque impliquant surconsommation de médicaments, automédication, mélange de médicaments hors prescription avec d'autres produits, une réflexion conjointe avec le ministère de la santé a conduit à proposer au public incarcéré des informations sur les dangers liés à ces comportements sous forme de spot vidéo et affiches. La mobilisation des professionnels tant soignants que pénitentiaires dans la prévention du risque suicidaire et du risque d'absorption massive de médicaments demeure extrêmement soutenue. De façon plus générale, une politique particulièrement volontariste de prévention est mise en oeuvre depuis les années 2000, particulièrement en 2009 avec l'adoption d'un grand plan national d'actions de prévention et de lutte contre le suicide en milieu carcéral toujours en vigueur, pour lutter contre le suicide en détention. Ce plan comporte vingt mesures qui s'articulent autour de cinq axes : le renforcement de la formation des personnels pénitentiaires à l'évaluation du potentiel suicidaire, l'application de mesures particulières de protection pour les personnes détenues en crise suicidaire (tenues déchirables...), le développement de la pluridisciplinarité, la lutte contre le sentiment d'isolement au quartier disciplinaire et enfin la mobilisation de l'ensemble de la communauté carcérale (intervenants, associations, familles, codétenus, autorités judiciaires et partenaires du ministère de la justice). Une mission de prévention et de lutte contre le suicide en milieu carcéral a été créée en janvier 2010 au sein de la direction de l'administration pénitentiaire afin de renforcer le caractère prioritaire de l'action conduite et de l'inscrire dans le long terme. De même, l'utilisation d'une grille d'évaluation du potentiel suicidaire lors de l'entretien d'accueil par le personnel pénitentiaire, actualisée au cours du parcours de détention, est opérationnelle dans tous les établissements pénitentiaires et permet de mieux repérer et prendre en charge les personnes à risque. De plus, depuis 2011 des protocoles locaux d'échanges d'information entre les services relevant du ministère de la justice ont été signés afin de favoriser la continuité et la traçabilité de l'information entre services, permettant d'améliorer la détection du risque suicidaire avant même l'incarcération et de prendre en compte plus efficacement l'état réel de la personne à son arrivée en détention. Plusieurs établissements expérimentent en outre une des mesures les plus innovantes du plan d'action que sont « les codétenus de soutien » qui peuvent également aider les personnes détenues arrivantes à s'adapter au milieu carcéral. Enfin, en raison de passages à l'acte plus élevés dans les premiers jours de l'incarcération, le ministère de la justice a amélioré la prise en charge des entrants par le processus de labellisation par un organisme indépendant des « quartiers arrivants » conformément aux règles pénitentiaires européennes de nature à garantir la prise en compte des besoins urgents de la personne détenue à son arrivée en détention (accès à un local de douche, accès gratuit au téléphone, remise de documents, etc.). Si l'ensemble de ces mesures permet de constater une légère diminution du nombre de suicides à ce jour, la garde des Sceaux a demandé aux services de poursuivre ces travaux, tant sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques, dans le cadre des groupes de travail santé justice mis en place avec la ministre des affaires sociales et de la santé, que des personnes souffrant de conduites addictives, dans le prolongement du plan de lutte contre les exclusions, qui a prévu la généralisation des permanences en addictologie dans les établissements pénitentiaires et la désignation de référents justice dans les structures médicales et médico-sociales aux fins d'éviter les ruptures de suivi.
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