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Denis Baupin
Question N° 3022 au Ministère de l'écologie


Question soumise le 14 août 2012

M. Denis Baupin attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur les "potentielles fissures" sur la cuve du réacteur numéro 3 de la centrale de Doel en Belgique, exploitée par la filiale belge du groupe français GDF-Suez. C'est un défaut générique qui pourrait affecter 22 réacteurs à travers le monde. Même si elles n'ont pas le même constructeur, les centrales françaises ne sont en effet pas épargnées par le même type de risque. Dans son avis DSR n° 2010-153 du 19 mai 2010, sur la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MWe, l'IRSN écrit : " l'IRSN en conclut qu'à VD3 + 5 ans, [visite décennale des 30 ans + 5 ans, soit 35 ans, ndlr] le risque de rupture brutale n'est pas exclu pour les cuves des réacteurs de Dampierre 4, Cruas 1, Cruas 2, Saint-Laurent B1 et Chinon B2 en cas de situations "incidentelles" et accidentelles [...] Les marges à la rupture sont également insuffisantes à VD3 + 5 ans pour les cuves de Saint-Laurent B1 et de Bugey 5 qui sont affectées de défauts [...] En conclusion, pour les cuves ne respectant pas les critères réglementaires et par conséquent, ne présentant pas de marges suffisantes à l'égard du risque de rupture, l'IRSN recommande qu'EDF prenne les dispositions nécessaires pour restaurer les marges ". Par ailleurs, sur son site internet, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) écrit : " Certaines cuves du parc électronucléaire français présentent des défauts sous leur revêtement qui sont dus au procédé de fabrication : 33 défauts sous revêtement ont été observés sur 9 cuves, dont 20 sur la cuve du réacteur n° 1 de Tricastin. Les défauts présents sur les cuves françaises sont contrôlés régulièrement pour s'assurer de leur absence d'évolution en fonctionnement, ce qui est le cas actuellement ". Malgré ces constats, EDF continue d'estimer officiellement possible de prolonger la durée de vie de ses centrales à cinquante, voire soixante ans. Elle peut se sentir renforcée dans cette option par le rapport de la Cour des comptes sur la filière nucléaire qui a estimé que les pouvoirs publics ont implicitement décidé de prolonger la durée de vie des réacteurs. Cela a d'ailleurs conduit le président de l'IRSN à s'inquiéter des contradictions dans lesquelles pourraient se retrouver à l'avenir les contrôleurs du nucléaire si les impératifs de sûreté se heurtaient aux objectifs de production. En conséquence, il l'interroge sur les enseignements qu'elle entend tirer de la situation belge pour renforcer la sûreté nucléaire française et garantir qu'elle ne puisse être mise en péril au nom de la recherche d'économies et de profit futurs par l'exploitant.

Réponse

Lors de contrôles réalisés pendant les derniers arrêts des réacteurs de Doel 3 (juillet 2012) et de Tihange 2 (septembre 2012), des défauts, dont l'origine a été attribuée à un problème de fabrication ont été détectés sur les cuves de ces réacteurs. Le maintien de ces réacteurs à l'arrêt le temps de l'instruction complète du dossier par l'Agence fédérale de contrôle nucléaire belge (AFCN) a été décidé. L'AFCN a examiné le dossier technique fourni par l'exploitant Electrabel en vue de justifier le redémarrage des réacteurs concernés. L'AFCN s'est appuyée pour mener son analyse sur l'avis de sa filiale (Bel V), d'un organisme indépendant (AIB-Vinçotte) et de deux groupes d'experts, l'un composé d'universitaires belges et l'autre d'experts étrangers. L'AFCN a également sollicité l'appui de plusieurs de ses homologues étrangers, notamment l'ASN et son appui technique, l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Après examen du dossier technique fourni par Electrabel, l'AFCN a publié le 1er février 2013 un rapport d'évaluation provisoire demandant à l'exploitant d'apporter des compléments à son dossier technique. Après la remise d'un plan d'actions détaillé, approuvé en février 2013 par l'AFCN, l'exploitant a remis en date des 15 et 26 avril 2013 un addendum aux dossiers de sûreté reprenant les résultats relatifs aux exigences préalables au redémarrage de l'AFCN. Après un examen approfondi des résultats fournis par l'exploitant, l'AFCN a confirmé le 17 mai 2013 que les 11 exigences de sûreté préalables au redémarrage ont été pleinement satisfaites et a ensuite autorisé le redémarrage des deux réacteurs en juin 2013 à condition qu'Electrabel effectue un programme de tests supplémentaires visant notamment à évaluer le comportement dans la durée des cuves concernées par les défauts dus à l'hydrogène. L'un des tests portant sur la résistance mécanique d'un échantillon analogue à la composition des cuves concernées n'ayant pas donné de résultats satisfaisants Electrabel a décidé d'arrêter les deux réacteurs en quetsion en mars 2014. Les tests se poursuivent et les réacteurs ne pourront redémarrer au mieux qu'au printemps 2015. D'une manière plus générale, l'ASN contrôle spécifiquement la conception, la fabrication et le suivi en service des cuves des réacteurs français. La démonstration de l'aptitude au service des cuves en prenant en compte les effets du vieillissement fait l'objet d'une démonstration qui est revue périodiquement par l'ASN. Cet examen périodique a pour but de prendre en compte les dernières connaissances disponibles. La démonstration, établie par EDF, fait l'objet d'un examen par l'ASN et son appui technique l'IRSN qui vise, notamment, à s'assurer que : - les marges de sécurité imposées par la réglementation sont respectées ; - les calculs sont réalisés à partir de méthodes et hypothèses qui garantissent par leur conservatisme, que les effets du vieillissement ainsi que l'ensemble des phénomènes en jeu sont considérés de façon plus pénalisante dans la démonstration. Un examen de cette démonstration a été mené en 2010 et avait conduit l'IRSN et l'ASN à considérer que les méthodes utilisées étaient insuffisamment pénalisantes. Les éléments présentés initialement par EDF ne permettaient pas de garantir le respect des critères réglementaires et des compléments ont été demandés à EDF, qui a corrigé ces points. La démonstration ainsi révisée a été examinée par l'IRSN et l'ASN qui a pu conclure favorablement, en septembre 2010, quant à la tenue de l'ensemble des cuves des réacteurs de 900 Mwe jusqu'à leur 4e visite décennale. Un point détaillé sur l'état des cuves du parc français et leur contrôle a fait l'objet d'un communiqué de presse de l'ASN en date du 17 août 2012, dont le contenu est reproduit ci-dessous, et qui est disponible à l'adresse suivante : http ://www. asn. fr/index. php/S-informer/Actualites/2012 /Les-controles-de-l-ASN-sur-les-cuves-des-reacteurs-nucleaires-en-France. « En France, l'ASN assure le contrôle de la fabrication et du suivi en fonctionnement des principaux équipements sous pression des réacteurs nucléaires, et notamment la cuve. Un suivi spécifique de la construction de ces équipements est mis en place depuis 1974. Pour l'ensemble des composants des cuves des réacteurs français, des contrôles visant à détecter les défauts dans les pièces forgées ont été réalisés en cours de fabrication. En outre, des contrôles par ultrasons des zones fortement irradiées des cuves des réacteurs français en service sont réalisés tous les dix ans. Lors de contrôles réalisés en juillet 2012 sur la cuve du réacteur nucléaire de Doel 3 en Belgique, de nombreuses indications qui "pourraient s'assimiler à de potentielles fissures" ont été détectées. Les contrôles effectués en France montrent qu'aucune cuve française ne présente de défauts de la nature de ceux en cause à Doel 3. En France, deux types de défauts de nature différente ont été détectés. Ils sont identifiés, surveillés et ont fait I'objet d'information de la part de l'ASN : - les défauts sous le revêtement des cuves ; Les cuves sont revêtues sur leur face interne d'une couche d'acier inoxydable destinée à les protéger de l'eau du circuit primaire. Un contrôle destiné à détecter spécifiquement des défauts sous le revêtement en acier inoxydable de la cuve est réalisé depuis 1991. Ce contrôle concerne toute la zone fortement irradiée de la cuve et s'étend largement au-delà du contrôle des seules soudures. 37 défauts ont été détecté sur les viroles [1] des cuves de réacteurs français, dont 20 sur la cuve du réacteur n° 1 de Tricastin. Il s'agit de défauts de fabrication qui sont contrôlés périodiquement et n'évoluent pas en service. Les défauts sous revêtement des cuves font l'objet d'une justification particulière qui démontre leur absence de nocivité. Cette justification est réexaminée périodiquement par l'ASN pour tenir compte du vieillissement des cuves et de l'évolution des connaissances et des informations disponibles. Le dernier réexamen de cette justification a fait l'objet d'une prise de position de l'ASN en septembre 2010, publiée sur son site internet. Les défauts sous revêtement sont des défauts isolés, bien identifiés, qui ne remettent pas en cause la qualité du métal sur une large zone et les raisons de leur apparition sont connues. À ce titre, ils ne sont pas comparables aux défauts détectés sur la cuve de Doel 3 sur laquelle plusieurs milliers de défauts regroupés ont été observés. - le défaut détecté dans une soudure de pénétration de fond de cuve [2] à Gravelines 1. En septembre 2011, un défaut a été observé sur une pénétration de fond de cuve du réacteur n° 1 de Gravelines, ce qui a conduit l'ASN à demander une extension des contrôles réalisés dans cette zone des cuves. Le défaut détecté était situé dans la soudure de la pénétration, constituée d'un alliage qui peut être sensible à la corrosion sous contrainte dans certaines conditions. EDF a pu démontrer l'absence de nocivité de ce défaut à court terme et a mis hors service la pénétration concernée en mettant en place parallèlement un dispositif de surveillance particulier du fond de la cuve. L'ASN a également demandé à EDF de lui proposer une solution de réparation permettant l'élimination définitive du défaut. Le défaut détecté à Gravelines, de par sa localisation, sa nature, et son caractère isolé, n'est pas comparable aux défauts en cause à Doel 3. L'ASN rappelle que les actions à mener en cas de détection de défauts obéissent, en France, à des règles strictes précisées notamment dans l'arrêté ministériel du 10 novembre 1999 relatif à la surveillance de I'exploitation du circuit primaire principal et des circuits secondaires principaux des réacteurs nucléaires à eau sous pression. Les défauts de type "fissure" doivent en particulier être réparés s'ils ne font pas l'objet d'une justification adaptée. Cette justification démontre l'absence d'évolution du défaut en toute situation, y compris accidentelle, en prenant en compte des marges imposées par la réglementation et en garantissant à chaque étape des calculs la prise en compte d'hypothèses pénalisantes. L'ASN s'assure du respect de ces règles avant le redémarrage des réacteurs concernés. » [1] Les viroles de coeur, au nombre de 2 ou 3 sur les cuves françaises, sont des anneaux forgés d'environ 4 mètres de diamètre et 20 cm d'épaisseur qui sont soudés entre eux et constituent le corps de la cuve, dans sa partie où elle abrite le coeur du réacteur. [2] Une pénétration de fond de cuve est un tube traversant le fond de la cuve du réacteur pour permettre l'introduction de sondes d'instrumentation dans le coeur du réacteur.

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