M. Jean-Charles Taugourdeau attire l'attention de Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les difficultés soulevées par l'application du principe de précaution. La loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, introduisant la charte de l'environnement dans le dispositif constitutionnel, impose aux autorités publiques, au nom du principe de précaution, de prendre toutes les mesures nécessaires afin d'éviter la réalisation d'un dommage de nature à « affecter de manière grave et irréversible » l'environnement. Si l'intention est louable, ce principe pose aujourd'hui de réelles difficultés. La protection de l'environnement ne doit pas se faire aux dépens des progrès économiques. À l'heure où l'on déplore la stagnation des progrès techniques sur notre territoire et le manque d'intérêt des investisseurs étrangers, il est nécessaire de remettre en cause les interprétations extensives du principe de précaution. Les progrès ne constituent pas systématiquement un risque, tout comme les avancées technologiques n'impliquent pas nécessairement des atteintes à l'environnement. Le pragmatisme économique suppose que l'on soit conscient des enjeux de notre pays. La croissance est la condition sine qua none de la viabilité d'un État et celle-ci ne pourra revenir tant que le progrès, la recherche, les innovations seront freinées, sinon empêchées, par le principe de précaution. Lorsque qu'elle était députée de l'opposition, elle avait affirmé, en présence de chercheurs et de prix Nobel, être opposée à la constitutionnalisation du principe. Il lui demande donc si, désormais membre du Gouvernement, elle maintient cette même position sur le sujet.
Le principe de précaution figure dans l'article 5 de la Charte de l'environnement qui est adossée à la Constitution depuis 2005. « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Depuis son adoption, ce principe a été l'objet de nombreuses interprétations, notamment parce qu'il a été étendu à des domaines multiples au-delà du champ environnemental et qu'il interagit avec des pratiques ou des normes de nature différente : les domaines techniques et scientifiques, juridiques, économiques, politiques, sociétaux et éthiques. Le principe de précaution doit être compris comme un principe d'action pour accompagner l'innovation en prenant en considération très en amont les risques potentiels que celle-ci présente pour l'environnement. C'est ainsi que les chercheurs et des entrepreneurs l'intègrent dorénavant dans leurs activités et qu'en conséquence il participe à l'anticipation des risques pour la société tant sur le plan global (réchauffement climatique, biodiversité) que plus sectoriel (nanotechnologies...). Toutefois le recours à ce principe, qui intervient souvent dans des contextes émotionnels aigus, peut indument contribuer à légitimer l'hypothèse d'un risque quand bien même l'évaluation ultérieure du risque en infirme l'existence. Dans ces dernières conditions, il peut constituer un frein au transfert des innovations technologiques et, par voie de conséquence, entrainer un désengagement de la recherche qui les porte. Ce n'est donc pas l'existence du principe de précaution, ni son inscription dans la Charte adossée à la Constitution, qui est à examiner, mais plutôt les conditions de sa mise en oeuvre, par les pouvoirs publics ainsi que les députés Alain Gest et Philippe Tourtelier le soulignaient en 2011 dans leur rapport d'information. Les autorités publiques doivent pouvoir disposer, pour identifier les incertitudes laissant une place potentielle à l'émergence d'un risque, d'une « revue des études scientifiques les plus récentes et de toutes informations susceptibles de la compléter ». Puis, elles doivent être en mesure d'évaluer les risques éventuels ainsi identifiés grâce à des études scientifiques complémentaires « afin de mesurer la pertinence des mesures de précaution mises en oeuvre et, le cas échéant, de les réviser. » Enfin, les autorités publiques doivent pouvoir « évaluer le rapport entre les bénéfices et les risques des mesures de précaution envisageables ». Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche concourt, notamment par ses actions de formation ainsi que de promotion et d'encadrement de l'expertise scientifique, au renforcement des compétences nationales pour chacune des séquences identifiées par les députés Gest et Tourtelier ; condition nécessaire à l'effort de structuration de l'action publique qu'ils préconisent et au rétablissement de la confiance qui peut et doit exister entre la communauté scientifique et la société. Il revient à l'ensemble des acteurs publics de contribuer à mieux faire comprendre à nos concitoyens et aux relais médiatiques la différence entre précaution et prévention, la nécessaire proportionnalité des mesures dédiées à l'application du principe de précaution et l'équilibre à conserver avec d'autres principes d'action tels que le progrès social porté par l'activité économique.
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