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Christophe Léonard
Question N° 54840 au Secrétariat d'état aux anciens combattants


Question soumise le 6 mai 2014

M. Christophe Léonard interroge M. le secrétaire d'État, auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire, sur la possibilité de permettre la réhabilitation pleine, publique et collective de tous les « fusillés pour l'exemple » de la guerre de 1914-1918 par la voie d'une réhabilitation judiciaire. En effet, 140 000 militaires français morts durant la première guerre mondiale n'ont pas eu droit à la mention « Mort pour la France ». De nombreux soldats français ont été condamnés lors de jugements expéditifs et arbitraires rendus par des conseils de guerre spéciaux, pour refus d'obéissance, abandon de poste ou mutinerie. Quelque 600 cas d'exécutions par fusillade après condamnation par un tribunal militaire ont été dénombrés, dont de nombreux Champardennais. C'est pourquoi, dès la fin du conflit et jusque 1935, la justice française a procédé à des réhabilitations par des annulations de condamnations en appel ou en cassation. Dans le même souci de justice, les législateurs ont voté cinq lois qui ont permis des amnisties, puis afin de revenir sur des décisions que la Cour de cassation n'avait pas voulu annuler, l'installation d'une cour spéciale de révision a pu lever des condamnations symboliques comme celle des « caporaux de Souain » (Marne), dont l'instituteur Théophile Maupas défendu avec acharnement par sa veuve, Blanche Maupas. Aujourd'hui, il appartient à la République française d'achever cette oeuvre de justice et de rendre leur honneur à ces combattants français comme le demandent leurs descendants et nombre d'associations. Ainsi, la réhabilitation judiciaire, qui implique l'annulation des condamnations, ne peut être que le résultat d'une série de décisions individuelles qu'une commission peut préparer, en transmettant à la Cour de cassation en vue de la levée des condamnations prononcées sans nouveau jugement, comme dans le cas de son arrêt Dreyfus. Cela seul peut assurer une véritable réhabilitation, permettre l'inscription « Mort pour la France » sur les registres d'état-civil, et encourager, si cela n'a pas encore été fait, celle de leur nom sur les monuments aux morts. Seule une loi peut installer, en le motivant par une reconnaissance civique et morale, un processus qui conduirait à des réhabilitations judiciaires... Aussi, il lui demande quelles initiatives il entend prendre pour qu'une commission, pouvant rassembler des historiens, des juristes, des représentants d'associations et du Service historique de la défense, soit installée par une loi et permette que les condamnations arbitraires soient effectivement cassées sans renvoi.

Réponse émise le 16 septembre 2014

Le débat sur la réhabilitation des « fusillés pour l'exemple » au cours de la Première Guerre mondiale s'est ouvert dès la fin de ce conflit. Cependant, les différentes actions judiciaires entreprises après la Grande Guerre, entre 1919 et 1932, ont abouti à la réhabilitation de seulement 40 de ces soldats, les autres militaires fusillés de la guerre de 1914-1918 ne remplissant pas les conditions d'une telle réhabilitation. S'agissant d'une éventuelle réhabilitation judiciaire de tous les « fusillés pour l'exemple » du premier conflit mondial, il convient de rappeler qu'aux termes des articles 133-12 et suivants du code pénal et 782 et 783 du code de procédure pénale, la procédure de réhabilitation judiciaire relève de la chambre de l'instruction de la cour d'appel et n'est accordée que sous certaines conditions relatives à l'expiration d'un délai à compter de la dernière condamnation, soit 3 à 10 ans selon les cas, à l'exécution des peines prononcées et au paiement des dommages-intérêts. Contrairement à l'amnistie, la réhabilitation judiciaire suppose donc l'amendement du condamné et tend à faciliter son reclassement. L'amnistie, quant à elle, résulte de la loi et selon les dispositions de l'article 133-9 du code pénal, supprime rétroactivement le caractère délictueux ou criminel des faits auxquels elle se rapporte. Elle efface donc sans autre formalité les condamnations et les peines concernées. Enfin, conformément aux dispositions des articles 622 et suivants du code de procédure pénale, la procédure de révision conduit à annuler une condamnation définitive et - lorsque les circonstances le permettent encore - à refaire le procès à partir d'éléments nouveaux. Elle n'est ouverte que dans un nombre limité de cas se rapportant à l'apparition d'un fait nouveau de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné. Les demandes en révision sont instruites par une commission actuellement composée de 5 magistrats de la Cour de cassation désignés par l'assemblée générale de cette juridiction. La décision relève en définitive de la cour de révision qui statue après une audience publique. En tout état de cause, une commission composée de juristes, d'historiens, de représentants d'associations et du service historique de la défense, avec le mandat de préparer la levée de condamnations prononcées sans nouveau jugement, comme le propose l'honorable parlementaire, ne trouve pas place dans les 3 voies procédurales exposées plus haut, sauf à envisager une réforme du code pénal et du code de procédure pénale. De surcroît, l'installation d'une telle commission par le pouvoir législatif serait susceptible de porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs. Il convient d'ajouter que le Sénat, en sa séance du 19 juin 2014, a rejeté une proposition de loi relative à la réhabilitation collective des « fusillés pour l'exemple » de la guerre de 1914-1918. Au cours des débats relatifs à l'examen de cette proposition de loi, le secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire a rappelé qu'en 1998, le Premier ministre a souhaité, dans le cadre des cérémonies liées à l'armistice du 11 novembre 1918, soit 80 ans après la fin du premier conflit mondial, que les soldats « fusillés pour l'exemple » réintègrent pleinement notre mémoire collective nationale, et que dix ans plus tard, le 11 novembre 2008, à Douaumont, le Président de la République a rendu hommage aux soldats de la Première Guerre mondiale « qui furent exécutés alors qu'ils ne s'étaient pas déshonorés, n'avaient pas été des lâches mais... simplement... étaient allés jusqu'à l'extrême limite de leurs forces. » Lors de ces débats, il a également évoqué le souvenir du lieutenant Jean Chapelant, fusillé le 11 octobre 1914, à qui il avait attribué la mention « mort pour la France », à l'occasion de la commémoration du 11 novembre 2012, faisant ainsi un premier pas symbolique dans ce douloureux dossier, et a déclaré notamment que la réhabilitation au cas par cas était la solution de la sagesse, qui respectait l'histoire comme les morts. Par ailleurs, le secrétaire d'État entend poursuivre le travail de mémoire sur les fusillés de 1914-1918. A ce titre, l'historien Antoine Prost lui a remis un rapport sur ce sujet. En effet, dans le cadre du cycle mémoriel lié au centenaire de la Première Guerre mondiale, il est important de réintégrer les « fusillés pour l'exemple » dans notre mémoire collective. Comme l'a annoncé le Président de la République le 7 novembre 2013, une place sera accordée à l'histoire des fusillés au sein du musée de l'Armée, dans ce lieu prestigieux installé aux Invalides. Les nouvelles salles seront inaugurées en novembre 2014. De même, les dossiers des conseils de guerre sont en cours de numérisation et seront ainsi accessibles à la recherche et au public. En effet, il ne s'agit plus aujourd'hui de juger ou de rejuger, mais de se souvenir et de comprendre, ainsi que le préconise le rapport d'Antoine Prost, car il n'y a pas de reconnaissance plus forte que celle de la connaissance.

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