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Jacqueline Fraysse
Question N° 59660 au Ministère de l'intérieur


Question soumise le 8 juillet 2014

Mme Jacqueline Fraysse attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la nécessaire protection des fonctionnaires de police ayant porté plainte contre leur hiérarchie pour harcèlement. Les fonctionnaires dans cette situation rencontrent trop souvent encore des obstacles qui laissent transparaître l'idée d'un esprit de corps incompatible avec un État de droit. Il conviendrait ainsi, tout d'abord, de fixer une limite de durée lorsqu'une enquête administrative pré-disciplinaire vise un fonctionnaire ayant déposé plainte pour harcèlement moral ou sexuel, afin d'éviter notamment que l'enquête administrative ne soit utilisée comme moyen de pression à son encontre. Par ailleurs, la réponse de l'administration à une demande de protection fonctionnelle en raison d'un dépôt de plainte pour harcèlement moral ou sexuel devrait être écrite, quelle que soit la teneur de cette réponse, le silence de l'administration valant acceptation. Il conviendrait enfin que les fonctionnaires visés par une fiche de non-proposition à l'avancement en soient avisés. Elle lui demande donc s'il est prêt à mettre en œuvre ces mesures de protection.

Réponse

Comme tout employeur, la police nationale est soumise aux dispositions du droit du travail et du droit pénal en matière de lutte contre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel. Le droit applicable en la matière est largement porté à la connaissance de la hiérarchie et de l'ensemble des agents. L'administration veille à ce que l'obligation d'affichage dans les lieux de travail des articles 222-33 et 222-33-2 du code pénal relatifs aux délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral soit respectée. L'administration rappelle également à ses personnels l'obligation de signalement prévue au second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale qui pèse sur tout fonctionnaire. Par ailleurs, les dispositions de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel ont fait l'objet d'une instruction spécifique (DGPN/Cab n° 12-5772-D) du 27 septembre 2012 du directeur général de la police nationale à ses services. En tant qu'administration publique, la police nationale est également soumise aux articles 6 ter et 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, visant à protéger le fonctionnaire contre le harcèlement sexuel et le harcèlement moral. A ce titre, la circulaire (n° SE1 2014-1) du 4 mars 2014 du ministre chargé de la fonction publique relative à la lutte contre le harcèlement sexuel et moral dans la fonction publique réaffirme que « les agissements de harcèlement portent gravement atteinte à la dignité humaine. Le respect des droits et libertés fondamentaux de la personne impose aux employeurs des trois fonctions publiques un devoir absolu de sanctionner et de prévenir de tels agissements ». Au-delà de son rôle de prévention, et s'appuyant sur la loi du 13 juillet 1983 précitée, le devoir de protection de l'administration contre le harcèlement sexuel ou moral revêt différents aspects. Il revient à l'administration, dès qu'elle a connaissance de faits de harcèlement, de mettre en oeuvre sans délai tous les moyens de nature à les faire cesser. Il lui appartient notamment d'éloigner l'auteur du harcèlement de l'agent victime et de rétablir l'agent dans ses droits au sein des services de la collectivité concernée s'il en a été privé par l'effet des actes de harcèlement. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs récemment précisé que « le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue pour un agent une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative » (CE, 19 juin 2014, Req n° 381061), conduisant à ce qu'il puisse être ordonné toutes mesures, justifiées par l'urgence, nécessaires à la sauvegarde de cette liberté fondamentale. L'administration peut également engager des poursuites disciplinaires (article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 précitée) à l'encontre de l'auteur des faits, précédée, le cas échéant, d'une enquête devant permettre à l'administration de réunir le maximum d'éléments en vue de prendre une décision la plus objective possible. En tout état de cause, l'administration doit apporter la preuve qu'elle a mis en oeuvre tous moyens pour faire cesser les agissements de harcèlement, c'est-à-dire répondre aux sollicitations légitimes de l'intéressé et tenter de rétablir une situation de travail normale (CAA Nancy, 15 novembre 2007, n° 06NC00990), la carence de l'administration constituant une faute de service. En effet, l'administration peut être condamnée pour sa négligence et son inertie (CAA Paris, 18 octobre 2012, n° 11PA03595). Au-delà de ce cadre juridique général, la police nationale dispose de moyens spécifiques pour lutter contre le harcèlement. Ainsi, le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale intégré au code de la sécurité intérieure (articles R. 434-1 et suivants) rappelle expressément en son article R. 434-6 les obligations incombant au supérieur hiérarchique, qui « veille en permanence à la préservation de l'intégrité physique de ses subordonnés. Il veille aussi à leur santé physique et mentale. Il s'assure de la bonne condition de ses subordonnés ». Au-delà du rôle préventif de ces dispositions, le manquement à ce devoir de protection peut donner lieu à des sanctions disciplinaires. De même et sans préjuger d'une sanction pénale, l'agent ayant commis des actes de harcèlement sexuel ou moral pourra également être sanctionné disciplinairement au regard du caractère indigne de son comportement, de nature à nuire à la considération portée à la police nationale ou à porter atteinte à son crédit ou à sa réputation (article R. 434-12 du code de la sécurité intérieure). A cet égard, la police nationale dispose avec l'inspection générale de la police nationale (IGPN) d'un service facilement accessible et compétent pour traiter efficacement les procédures judiciaires et les enquêtes administrative pré-disciplinaires relatives à des faits de harcèlement commis par des policiers sur leurs subordonnés. L'agent public victime de harcèlement a la possibilité de solliciter le bénéfice de la protection fonctionnelle dans les conditions posées par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précitée. Les fonctionnaires sont ainsi protégés contre les attaques dont ils sont victimes à l'occasion de leurs fonctions. La spécificité des missions exercées par les fonctionnaires de police a justifié une adaptation à leur profit de ce dispositif applicable à l'ensemble des agents publics. Dès lors, le régime juridique auquel ils sont soumis résulte d'une lecture combinée des dispositions précitées issues du statut général et des articles L. 113-1 et R. 434-7 du code de la sécurité intérieure, ainsi que de l'article 33 du décret du 9 mai 1995 modifié fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale. Le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale en particulier rappelle (article R. 434-7 du code de la sécurité intérieure précité) que « l'Etat défend le policier ou le gendarme, ainsi que, dans les conditions et limites fixées par la loi, ses proches, contre les attaques, menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations et outrages dont il peut être victime dans l'exercice ou du fait de ses fonctions ». Le bénéfice du dispositif est étendu aux proches du policier et couvre les actes commis à leur encontre « dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions ». La mise en oeuvre de cette protection juridique due par l'administration nécessite que l'agent victime formalise sa demande par courrier au service compétent sous couvert de sa hiérarchie, cette demande motivée devant apporter toutes précisions utiles sur les faits pour éclairer l'administration dans sa prise de décision (circulaire (B8 n° 2158) du 5 mai 2008 du ministre chargé de la fonction publique relative à la protection fonctionnelle des agents publics de l'Etat). Aucun délai précis pour exercer ce droit n'est posé, même s'il est préférable pour l'agent concerné de la solliciter avant l'engagement des poursuites pour éviter l'avance des frais. S'agissant du formalisme emprunté pour répondre à une telle demande et comme le préconise la circulaire du 5 mai 2008 précitée, l'administration s'efforce, dans la mesure du possible, d'apporter une réponse écrite qui indique, en cas d'acceptation, suivant quelles modalités elle envisage d'accorder la protection et, en cas de refus, ses motivations ainsi que les voies et délais de recours. Le silence gardé par l'administration vaut rejet de la demande. Toutefois, à compter du 12 novembre 2014, ce principe s'inversera, sous certaines conditions, en faveur d'un accord tacite au terme de ce délai de deux mois (article 21 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, tel que modifié par la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens). Dans le cadre d'une demande de protection fonctionnelle émise pour des faits de harcèlement, le fonctionnaire sera ainsi assuré dès novembre prochain de voir porter à sa connaissance les raisons d'un éventuel rejet de sa demande. En telle hypothèse, l'intéressé pourra dès lors former un recours devant le juge administratif tendant à faire reconnaître l'illégalité de la décision de refus de protection et à faire condamner, le cas échéant, la collectivité dont il dépend à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi. Il pourra également demander au juge d'enjoindre l'administration de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle à son bénéfice. La pertinence des mesures prises par la direction générale de la police nationale en matière de harcèlement a eu pour effet de limiter, en 2013, les saisines de son inspection générale. Au premier semestre 2014, les sensibilisations renouvelées sur le sujet auprès des fonctionnaires auraient tendance à susciter un léger accroissement des plaintes ou signalements. L'IGPN a ainsi diligenté 11 enquêtes judiciaires (6 classées sans suite et 1 ayant entraîné un audit de service) et 7 enquêtes administratives (3 concluant à l'absence de manquement) en 2013, et 15 enquêtes judiciaires et 8 enquêtes administratives (5 en lien avec une enquête judiciaire) au premier semestre 2014.

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