Mme Jacqueline Fraysse interroge M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement sur l'avenir de l'agriculture en France. Le modèle d'agriculture intensive et productiviste, favorisé depuis 70 ans par les différents gouvernements, est aujourd'hui à bout de souffle. Il ne permet plus de reconnaître et de rémunérer en conséquence le difficile travail des agriculteurs, comme le montre l'augmentation du nombre de suicides chez ces derniers ou la crise actuelle de la filière porcine. Il dégrade notre environnement, met à mal la biodiversité et empoisonne les producteurs comme les consommateurs par un recours toujours plus importants aux produits phytosanitaires, dont l'utilisation devait être réduite de moitié selon le plan Ecophyto, lancé en 2008 dans le cadre du Grenelle de l'environnement, mais qui a crû de plus de 10 % entre 2009 et 2013, avec un bond de 9,2 % entre 2012 et 2013. Enfin, ce modèle conduit également à des maltraitances choquantes à l'égard des animaux d'élevage et à l'élimination de ceux jugés inutiles, comme le montre une récente vidéo sur les méthodes d'élimination des poussins mâles. Le modèle productiviste profite surtout aux transformateurs et à la grande distribution, cette dernière réalisant des marges toujours plus importantes au détriment des producteurs comme des consommateurs, lesquels se voient proposer des produits certes peu onéreux, mais de qualité gustative autant que nutritionnelle médiocre. Ce ne sont pas de nouvelles aides dont ont besoin les agriculteurs, mais d'une remise en cause d'un modèle qui ne leur permet pas de vivre de leur travail. A l'approche de la 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015 (COP21), la France s'enorgueillirait à rompre avec un modèle onéreux pour les dépenses publiques et les consommateurs (dépollution des eaux, algues vertes, conséquences sur la santé des producteurs et des consommateurs de la surutilisation des pesticides, fongicides et insecticides) et grand consommateur d'énergie fossile (en 1940, une calorie d'énergie permettait de produire 2,3 calories de nourriture ; aujourd'hui, il faut 7,3 calories d'énergie pour produire une calorie de nourriture). Des solutions existent, qui passe par une réduction de la taille des exploitations en plafonnant les aides publiques, le recours à des circuits courts, la réorientation des subventions en fonction de critères sociaux et sociétaux comme la qualité gustative de la nourriture et la protection de la biodiversité, l'indexation du prix des productions animales sur celui des céréales et l'encadrement des marges de la grande distribution par l'application d'un coefficient multiplicateur liant les prix d'achat avec ceux de vente, prévu pour le secteur des fruits et légumes et qui doit devenir effectif et être étendu à toutes les productions. Face à cette situation, la position du Gouvernement est peu lisible. D'un côté, il affirme encourager ces alternatives, mais de l'autre, il favorise le regroupement des exploitations et négocie, au sein de l'Union européenne, un traité transatlantique qui risque d'aboutir à un nivellement par le bas des normes sociales, environnementales et sanitaires. C'est pourquoi elle lui demande s'il entend réellement promouvoir un autre modèle d'agriculture, et dans l'affirmative, quelles mesures concrètes il entend prendre pour permettre aux agriculteurs de vivre décemment de leur travail et aux consommateurs de ne pas craindre le contenu de leur assiette.
La loi no 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a défini les objectifs des politiques publiques agricoles. L’orientation majeure consiste à engager une transition des systèmes de production agricole vers l’agro-écologie, qui permet de combiner performance économique, environnementale et sociale. Le cadre donné par la loi est très clair : il s’agit de privilégier l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité, en maintenant ou en augmentant la rentabilité économique, en améliorant la valeur ajoutée des productions et en réduisant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques. Ces systèmes de production qui mettent en oeuvre les principes de l’agro-écologie sont fondés sur les interactions biologiques et l’utilisation des services écosystémiques et des potentiels offerts par les ressources naturelles, en particulier les ressources en eau, la biodiversité, la photosynthèse, les sols et l’air, en maintenant leur capacité de renouvellement du point de vue qualitatif et quantitatif. Ils contribuent à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt s’inscrit dans le prolongement de la réorientation de la politique agricole commune (PAC) obtenue à l’échelle européenne. La mise en oeuvre du verdissement des aides du premier pilier de la PAC, la majoration des 52 premiers hectares pour le calcul des droits à paiement de base (DPB), la revalorisation de l’indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN), le déploiement des mesures agro-environnementales et climatiques dont un grand nombre relève d’une approche à l’échelle du système d’exploitation, le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations sont autant d’outils mobilisables pour accompagner l’agriculture dans la voie de la transition écologique et énergétique. La mise en oeuvre des groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) créés par la loi d’avenir illustre également la dynamique engagée au sein des territoires par les divers acteurs pour relever les défis qui se posent à l’agriculture. Ces initiatives ascendantes et misant sur la force du collectif permettent d’engager des réflexions, des expérimentations et des actions pour modifier les systèmes d’exploitation et les engager dans la voie de l’agro-écologie tout en maintenant leur haut potentiel de production. Il est vrai que certaines pratiques de l’agriculture intensive ont pu conduire à des excès, à une dégradation des ressources naturelles et à une altération des milieux. Cependant, la solution de la reconquête de la qualité des milieux, des sols et des paysages passe également par l’agriculture. En ce sens, dans le cadre de la COP21, le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt a engagé une ambitieuse initiative sur les sols : le projet « 4/1000 » vise à démontrer que sécurité alimentaire et lutte contre le dérèglement climatique sont complémentaires et à faire en sorte que l’agriculture apporte des solutions. Aussi, la politique agricole et alimentaire conduite par le ministre en charge de l’agriculture prend largement en compte les enjeux liés à la sécurité alimentaire, à la préservation des ressources naturelles ainsi qu’au maintien des actifs agricoles et de la capacité productive de ce secteur capital pour l’économie nationale.
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