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Annie Genevard
Question N° 94062 au Ministère de l'intérieur


Question soumise le 15 mars 2016

Mme Annie Genevard attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur au sujet du projet en cours visant à assurer aux laboratoires de la police une compétence propre en matière de recherche de toxiques liée à des contrôles routiers. Une telle mesure ferait courir un risque aux laboratoires de toxicologie médico-légale, qu'ils soient privés ou hospitaliers. Ces laboratoires exercent deux types d'activités : celles dites de « routine » relevant du contentieux routier et celles dites « d'investigation » liées à la recherche de la cause de la mort dans les enquêtes décès. Ces activités sont étroitement liées, les premières contribuant en partie au financement des secondes qui nécessitent le plus souvent du temps, le recours à des équipements d'analyse performants mais couteux et la mise en place de certifications. Il faut souligner que les activités dites « d'investigation » incluent une activité de formation et de recherche en partenariat avec les universitaires : intervention durant les masters, accueil de stagiaires, encadrement et financement de doctorat, publications internationales Cette démarche est essentielle non seulement pour la qualité, la rigueur et la précision d'analyses toxicologiques dont les résultats orienteront les conclusions d'enquêtes et les décisions de justice mais aussi pour que la toxicologie médico-légale bénéficie d'avancées scientifiques significatives : élargissement du spectre des molécules susceptibles d'être identifiées, diversification des matrices biologiques étudiées, nouvelles méthodes pour déceler des produits à très faible concentration. Répondre à de tels enjeux est parfois déficitaire sur le plan financier. L'équilibre est assuré par les analyses dites de « routine » qui sont relativement simples et sans surprise. Les trois laboratoires privés les plus impliqués au niveau national et certains laboratoires hospitaliers exercent l'ensemble de ces activités, ce qui n'est pas le cas des laboratoires de police. Il apparaît que confirmer le monopole des laboratoires de police pour les recherches de routine tout en laissant aux laboratoires privés la seule résolution de cas judiciaires complexes et difficiles compromet à moyen terme l'avenir des laboratoires privés. Cette situation ne leur permettra plus d'assurer le même travail de qualité dans la résolution d'enquêtes et mettra un frein à l'innovation scientifique dans le domaine. Aussi elle lui demande de bien vouloir lui préciser le sentiment du Gouvernement sur cette question.

Réponse émise le 8 novembre 2016

Les laboratoires de police scientifique placés sous l'autorité du ministre de l'intérieur, qu'il s'agisse de celui de l'institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) ou des cinq laboratoires qui composent l'Institut national de police scientifique (INPS), couvrent un champ pluridisciplinaire qui intègre effectivement la toxicologie. Ces deux établissements, outre leur activité analytique, mènent des actions de formation et de prospective et contribuent à la coopération internationale. Ils sont membres du Réseau européen des instituts de police scientifique (ENFSI), référent unique de la Commission européenne sur les questions de police scientifique, et participent aux différentes actions de ce réseau (activité scientifique, pratiques « métier », évolutions normatives, etc.). En toxicologie, ces deux instituts accrédités interviennent, comme les laboratoires privés ou hospitaliers, sur réquisition d'officiers de police judiciaire ou ordonnance de commission d'expert de juges d'instruction, non seulement pour des analyses en relation avec la sécurité routière mais également dans les domaines qualifiés « d'investigation » dans la question écrite, comme la toxicologie médico-légale ou la soumission chimique. L'INPS, établissement public, est titulaire de la qualité d'expert en tant que personne morale. Il est d'ailleurs à ce titre agréé par la Cour de cassation pour la toxicologie médico-légale, des contrôles routiers aux recherches des causes de la mort en passant par la soumission chimique. A titre d'illustration, ses laboratoires ont ainsi traité 16 464 dossiers de toxicologie en 2015, à connotation « sécurité routière » pour 90 % d'entre eux. Les 10 % restants, soit plus de 1 600 expertises, constituent également un volume significatif d'expertises complexes, avec les mêmes exigences d'équipements et de maintien du savoir scientifique que les structures privées ou hospitalières. Avec 90 % des analyses pratiquées, la sécurité routière n'en demeure pas moins, en toxicologie, la mission principale de ces acteurs du service public, au contact étroit des requérants. Initialement voué à la recherche et à la mesure de l'alcool dans le sang, leur rôle s'exerce dorénavant essentiellement sur la confirmation de la présence de produits stupéfiants après test de dépistage positif. Il s'agit de l'accompagnement logique d'une politique publique majeure, la politique de sécurité routière, les produits stupéfiants étant l'une des causes des accidents mortels ou corporels graves de la circulation.Pour lutter encore plus efficacement contre les conduites après usage de stupéfiants (article L. 235-1 du code de la route), une importante modification a été introduite par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : la substitution de la matrice salivaire à la matrice sanguine pour les analyses de confirmation.Actuellement en effet, tout dépistage positif aux produits stupéfiants entraîne la conduite du contrevenant potentiel à l'hôpital pour une prise de sang. Outre son aspect invasif et sa lourdeur, cette pratique mobilise des policiers ou des gendarmes, au détriment de la poursuite de l'opération. Passer à des analyses salivaires évitera cette difficulté, les prélèvements réalisés étant adressés à un laboratoire d'analyse au terme de l'opération, qui pourra ainsi être menée à son terme avec l'ensemble des moyens prévus. Dès que ces dispositions entreront en vigueur, après publication des actes réglementaires et attribution des marchés pour les kits de prélèvement, un fort accroissement des saisines sera donc à attendre, auquel les laboratoires publics doivent se préparer. Leur nature d'acteurs de la sécurité intérieure leur confère en effet la particularité d'agir sans facturation, c'est-à-dire sans générer de frais de justice, dès lors qu'ils sont requis par des officiers de police judiciaire, ce qui est le cas dans la quasi-totalité des analyses de sécurité routière. A contrario, en cas de saisine d'un expert du secteur privé ou hospitalier, la facturation à la Justice s'échelonne de 54 € HT pour rechercher une famille de produits stupéfiants à 216 € HT pour rechercher les quatre (cannabis, cocaïne, héroïne, drogues de synthèse), auxquels peuvent s'ajouter 32,40 € HT pour la recherche et le dosage de l'alcool, ainsi que 243 € HT pour la recherche de médicaments psycho-actifs. Le renforcement de l'action des services de police et de gendarmerie en matière de lutte contre les conduites addictives au volant s'accompagnera donc logiquement, pour des raisons de facilitation technique (absence de prise de sang en milieu hospitalier) et d'économie budgétaire (absence de frais de justice) d'une sollicitation accrue des laboratoires de police scientifique. Cette nouvelle charge analytique devra être prise en compte dans le budget de l'État afin que les laboratoires publics soient en mesure d'y répondre. Pour autant, il ne s'agit nullement de constituer un « monopole » ni de confier aux laboratoires de police technique et scientifique une « compétence exclusive » en matière de recherche de toxiques liée à des contrôles routiers. Le libre choix de l'expert par la Justice, au nom de laquelle les officiers de police judiciaire exercent, est un principe qui n'est nullement remis en cause.

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