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Thierry Robert
Question N° 94316 au Ministère des outre-mer


Question soumise le 22 mars 2016

M. Thierry Robert interroge M. le ministre de l'intérieur sur la légalité des procédés expérimentaux de réduction du risque requin. En raison des nombreuses attaques de requin survenues à la Réunion depuis 2011, la justice a considéré en 2013, à sa demande, qu'en l'absence de mesures propres à réduire ce risque naturel il convient d'interdire les activités qui y sont exposées (voir la décision du Conseil d'État du 13 août 2013). Le préfet a donc légalement pris une interdiction générale de l'activité « surf » lorsqu'elle est exposée à un risque d'attaque. Cet arrêté s'applique à toutes les communes de la Réunion. Le principe actuel est donc l'interdiction qui reste le seul moyen d'éviter de nouveaux accidents mortels. Cette interdiction est loin d'être respectée et les collectivités n'ont pas les moyens suffisants pour en assurer le respect. De nouvelles attaques de requin sur des surfeurs sont hautement probables. Les pouvoirs publics ont engagé des démarches très coûteuses pour trouver des moyens et mesures propres à réduire le risque requin. Après une étape de recherche scientifique sur le risque requin, portant sur les requins, l'environnement marin et le comportement des usagers, des moyens techniques ont été retenus et leur fonctionnement a pu faire l'objet d'un protocole écrit organisant leur mise en œuvre pour sécuriser et secourir. Un opérateur privé manifestement qualifié a été retenu pour expérimenter ces nouvelles mesures de réduction des risques, avec le soutien financier des pouvoirs publics. Cet opérateur est la Ligue réunionnaise de surf. Pendant une année déjà, la Ligue de surf a expérimenté avec succès ces méthodes de surveillance et de secours. Aucun incident notoire n'a été a déclaré dans la mise en œuvre de la méthode proposée. Cette méthode expérimentale pourrait donc être utilisée là où la pose de filets n'est pas possible en raison d'une forte exposition à la houle et en raison du coût financier de ce type d'infrastructure. L'effort entrepris par les pouvoirs publics a donc permis la survenance d'une première solution technique portant le risque à un niveau supportable pour les usagers de la Ligue de surf qui sont en outre couverts par une assurance de responsabilité civile. Ce modèle expérimental est aujourd'hui regardé par l'autorité préfectorale comme désormais opérationnel. Ce modèle de détection des risques et ses variantes (vidéo aérienne) pourrait donc être répliqué dans toutes les communes de l'île de la Réunion où l'activité de surf est exposée au risque requin. La spécificité du dispositif est d'être non invasive pour l'environnement en l'absence d'implantation d'infrastructures artificielles permanentes et notamment en bordure des zones sanctuaires de la réserve marine, comme le spot de Saint-Leu. Cette solution a vocation à être utilisée là où il n'est pas possible d'installer des infrastructures. La commune de Saint-Leu vient d'approuver l'adaptation d'un cadre juridique a priori clair et précis qui en permettrait l'utilisation. Toutefois, des aspects juridiques ne peuvent être dépassés sans une intervention de la loi pour dire comment réglementer utilement pour assurer la sécurité des usagers face au risque requin. À ce jour les maires n'ont pas les compétences techniques nécessaires pour apprécier la pertinence d'un dispositif de protection contre les attaques de requins. Toutes les communes de France ayant des activités nautiques exposées à ces risques sont concernées. Il conviendrait donc d'avoir une règle commune et une cadre légal précis. À ce jour, la sortie de crise s'effectue dans un cadre juridique incertain pour les communes et les maires peuvent être amenés sous la pression des usagers à accepter des dispositifs dont l'efficacité n'est pas prouvée et dont les coûts sont très élevés ! La sortie de crise s'effectue sur la base d'un arrêté du préfet de 2015 dont la légalité semble discutable au regard de son imprécision sur les moyens de lutte adaptés contre les attaques de requin ! En 2015, le préfet a considéré que des dispositifs expérimentaux de réduction des risques sont, sous certaines conditions, de nature à permettre au maire de déroger à l'interdiction générale. Les conditions prévues par le préfet et laissées à l'appréciation du maire sont : des conditions environnementales adaptées ; des mesures d'information explicites des usagers ; des mesures de surveillance et d'alerte ; l'utilisation d'équipements spéciaux de réduction du risque requin ; l'existence d'un protocole écrit sur les moyens et procédures utilisées. Toutefois, cet arrêté du préfet ne donne pas de définition des mesures les plus adaptées face au danger public. Ainsi l'activité est régulée de façon discrétionnaire par l'administration et M. le député s'en inquiète pour les usagers. Les conditions (les règles) prévues ne sont pas définies par des critères objectifs et légaux et notamment en ce qui concerne les conditions environnementales adaptées, les mesures de surveillance et d'alerte et l'utilisation d'équipements spéciaux de réduction du risque requin, outre l'adéquation des moyens de secours à ce type de risque spécifique. Ces dispositions de police administrative, qui ont pour objet de réguler une activité susceptible de mettre en cause l'ordre public et la sécurité des personnes, imposent aux personnes concernées des restrictions et des interdictions. Les personnes concernées sont tenues dans ce cas à une obligation de sécurité qu'elles doivent respecter pour ne pas engager leur responsabilité pénale en cas de survenance d'un accident. Mais l'utilité de ces restrictions face à des attaques reste très incertaine. En outre, il s'agit d'un régime d'autorisation préalable institué par voie administrative en dehors de toute habilitation législative (sur l'exigence constitutionnelle d'une loi voir : Cons. const., 17 janv. 1989, déc. n° 88-248 DC, Liberté d'expression audiovisuelle. - Cons. const., 26 juill. 1984, déc. n° 84-172 DC, Droit de propriété). L'arrêté du préfet fait donc peser sur les maires une charge non prévue par la loi et imprécise sur le terrain de la nécessité et de la proportionnalité dans le choix des mesures de sécurité propres à diminuer le risque d'attaque de requin. Habituellement, c'est la loi qui investit l'administration de la capacité de régulation. C'est notamment le cas pour les rassemblements festifs à caractère musical (CSI, art. L. 211-7) ; pour la délivrance d'agrément en vue d'exercer des activités privées de sécurité (CSI, art. L. 612-6). La loi ne devrait-elle pas définir, par des normes, les mesures qui sont regardées comme appropriées face au risque requin pour que le maire en autorise raisonnablement l'usage ? En effet, face au risque d'attaque de requin le risque d'inadaptation de la réglementation communale de l'activité est très important et le cas échéant fautif. Ainsi, en l'absence de loi, pas de régulation possible pour surfer en présence de requins dangereux, alors que selon la justice, le principe est l'interdiction pour des mesures de sécurité face au danger. Par exception au principe posé par le Conseil d'État en août 2013, à la Réunion, il est demandé au maire, sans y être autorisé par la loi, de réguler par des mesures « appropriées » mais très incertaines dès lors qu'elle sont expérimentales une activité exposée à un danger mortel. De surcroît il doit en assurer la surveillance et le contrôle sous sa seule responsabilité et prendre toutes les mesures nécessaires à l'intervention rapide des secours en cas d'accident. À ce titre les opérations de secours sur une attaque de requin seront bien plus complexes que le sauvetage en mer des personnes exposées au risque de noyade ! Cela pose de réelles questions quant à la responsabilité, notamment pénale, des collectivités et de leur premier magistrat dans l'éventualité d'une attaque de requin sur un administré qui pratiquerait le surf alors que la commune est supposée réguler l'activité. Une commune peut-elle légalement règlementer la pratique du surf dans un milieu exposé aux attaques de requin avec des techniques expérimentales sans garantie de sécurité au sens légal des zones de baignades garanties sans risque ? Peut-on déléguer les missions de police administrative à des personnes privées (par exemple, un club de surf) lorsque les communes n'ont ni les moyens financiers ni la capacité technique d'assurer durablement un tel service public ? Il souhaiterait savoir si une loi d'habilitation serait possible dans un tel cas.

Réponse émise le 31 mai 2016

Le risque d'attaques mortelles de requins est encore malheureusement présent à La Réunion. C'est pour cette raison que le principe de l'interdiction de la baignade et des activités nautiques reste la base de la règlementation aujourd'hui applicable au risque requin, conformément à la décision du juge des référés du Conseil d'Etat du 13 août 2013 (Ministre de l'intérieur c. Commune de Saint-Leu, n° 370902), dont les principaux termes sont rappelés ci-dessous : « […] à court terme, seules les mesures d'interdiction de baignade et d'activités nautiques, dans des zones où un dispositif efficace de surveillance et d'alerte n'a pas été mis en place, sont susceptibles de supprimer le risque d'attaques  […] ». C'est le sens de l'article 1er de l'arrêté no 170 du Préfet de La Réunion du 12 février 2016 portant réglementation de la baignade et de certaines activités nautiques dans la bande des 300 mètres à partir du littoral du département de La Réunion, qui est rédigé de la manière suivante : « Dans la bande des 300 mètres du littoral du département de La Réunion, où s'exerce le pouvoir de police spécial du maire, conformément à l'article L.2213-23 du code général des collectivités territoriales, les activités suivantes : - la baignade (y compris lorsqu'elle s'effectue à l'aide d'un équipement de type palmes, masque et tuba) - les activités nautiques utilisant la force motrice des vagues (surf, bodyboard, bodysurf, longboard, paddleboard)sont interdites sauf dans les espaces définis à l'article 2. Tout contrevenant s'expose aux poursuites et peines prévues par les articles 131-13 et R 610-5 du Code pénal. » La décision d'ouvrir la possibilité aux maires d'autoriser la baignade et les activités nautiques a été prise après une étroite concertation entre les partenaires locaux et entre les ministères impliqués dans le plan gouvernemental pour la prévention du risque requin à La Réunion. Cette décision a été rendue possible par la nette amélioration de la politique de prévention du risque requin depuis la mise en place du plan gouvernemental en 2013, à plus d'un titre. Sur le plan de la connaissance tout d'abord, le programme « Connaissances de l'écologie et de l'habitat de deux espèces de requins côtiers sur la côte Ouest de La Réunion » (CHARC), coordonné par l'IRD, a remis en décembre 2014 des conclusions permettant de mieux appréhender le comportement des requins tigre et bouledogue. Cet effort de connaissance se poursuit : l'État finance entièrement les 184 000 euros dédié au programme « Ecologie des requins côtiers à La Réunion » (ECORECO-RUN) coordonné par l'Université de La Réunion, de juillet 2015 à décembre 2016. Le soutien sera maintenu jusqu'en 2020, conformément aux engagements pris à La Réunion le 24 avril 2015. S'agissant des moyens employés ensuite, deux rapports sur l'évaluation de l'efficacité du dispositif « vigies-requin » ont été rendus en août et septembre 2014, qui s'appuient très largement sur les travaux menés dans le cadre du programme CHARC. Ces travaux ont permis la mise en place d'un dispositif « vigies-requin renforcé », entré en phase opérationnelle fin avril 2015. Ce dispositif a permis la relance des entraînements de la filière de surf de haut niveau (« pôle espoir »), dans des conditions de surveillance satisfaisantes. Il est actuellement déployé sur quatre sites de la commune de Saint-Paul. En parallèle, le programme de captures ciblées de requins « Cap Requins 2 » se poursuit, là aussi avec le soutien financier de l'État et des collectivités locales réunionnaises. Ce programme est intégré dans la stratégie générale de réduction du risque visant à la limitation de l'interaction homme-requin par une diminution de la fréquentation des zones d'activités nautiques par les espèces potentiellement dangereuses. Les premiers filets de protection sont opérationnels sur les sites de Boucan Canot et des Roches Noires, dans la commune de Saint-Paul, depuis le début de l'année 2016, grâce à la mobilisation des fonds européens et aux efforts financiers conjugués de l'État, du conseil régional et de la commune de Saint-Paul. Concernant la coordination de la politique de prévention du risque requin, l'association pour le centre de ressources et d'appui sur le risque requin, a tenu son assemblée générale constitutive le 6 avril 2016, sous la présidence du Préfet de La Réunion. Le centre de ressources et d'appui viendra épauler les collectivités et les associations pour développer, expérimenter et mettre en œuvre les solutions techniques les plus adaptées au contexte de chaque commune réunionnaise intéressée. Les maires pourront ainsi décider en meilleure connaissance de cause de la reprise, sur la base de conditions évaluées par le centre de ressources et d'appui, de certaines activités nautiques. Le cadre juridique de la police spéciale de la baignade et des activités nautiques, régi par les articles L. 2212-2, L. 2212-3 et L. 2213-23 du code général des collectivités territoriales, et le régime de responsabilité de la puissance publique qui en découle, fixé par une jurisprudence administrative abondante, apparaît donc tout-à-fait adapté à la règlementation édictée par le Préfet de La Réunion. Par ailleurs, les maires disposent désormais d'une structure, d'outils et de retours d'expérience solides s'ils souhaitent ouvrir leur bande littorale à certaines activités nautiques.

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