Déposé le 7 janvier 2015 par : M. Hetzel.
Supprimer l’alinéa 3.
Il s’agit d’un amendement de suppression visant à l’abandon pur et simple de la profession unique dite de commissaire de justice.
Cette proposition est en effet contestable tant au regard de la décision de recourir aux ordonnances que sur le fond dès lors qu’il s’agit d’une suggestion dépourvue de justification.
Au regard du recours à une ordonnance, le recours à une ordonnance pour créer cette profession unique est doublement contestable, tant au regard de l’insuffisance de la loi d’habilitation qu’au regard du caractère discriminatoire du traitement réservé aux AJMJ.
L’article 20 II comporte une habilitation du gouvernement à légiférer par ordonnances, dont la rédaction méconnaît manifestement les exigences de l’article 38 de la Constitution telles qu’interprétées et précisées par la jurisprudence constitutionnelle.
Selon l’article 38, « Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Les conditions dont la Constitution entoure cette délégation sont essentiellement procédurales et temporelles mais c’est le Conseil constitutionnel qui, pour éviter une délégation excessive aboutissant à une abdication des prérogatives parlementaires, a soumis les lois d’habilitation à des exigences sévères.
Il juge de façon constante que l’article 38 de la Constitution « fait obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention » (V. notamment, n° 99-421 DC-16 décembre 1999 ; 2010-618 DC - 9 décembre 2010). Le projet de loi d’habilitation doit donc dûment justifier le recours aux ordonnances et indiquer précisément tant la finalité que le domaine des ordonnances à venir. Cette exigence est évidemment encore renforcée par l’article 11 de la loi organique du 15 avril 2009 imposant également une étude d’impact pour les projets de loi d’habilitation.
Or, l’article 20 II autorise le gouvernement à prendre des ordonnances pour « Créer une profession de commissaire de justice regroupant les professions d’huissier de justice, de mandataire judiciaire et commissaire-priseur judiciaire » sans offrir aux élus de la nation la moindre justification de cette innovation non plus qu’un quelconque exposé de sa finalité. Aucun début d’explication n’est fourni à cette disposition brutale et péremptoire et l’on ignore tant les motifs de ce « regroupement » que la raison pour laquelle sa réalisation est déléguée au gouvernement au lieu d’être effectuée directement par voie législative.
C’est donc un véritable « chèque en blanc » qui est demandé aux élus de la Nation en méconnaissance totale des exigences constitutionnelles concernant l’usage de l’article 38.
En outre, le législateur méconnaît aussi l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi car il est impossible de comprendre ce que peut signifier le « regroupement » de plusieurs professions dans une autre. S’agit-il de fusionner plusieurs professions en une seule et donc de faire disparaître celles qui existent ? Ou s’agit-il d’une fédération maintenant l’existence, l’autonomie et la spécificité des entités fédérées et, dans ces conditions, selon quels principes d’organisation ? L’exposé des motifs lapidaires qui accompagne le projet de loi se borne à indiquer que cette nouvelle profession « sera en charge de l’exécution des actes et décisions de justice et des situations d’insolvabilité » c’est-à-dire de la somme des missions respectives actuelles des trois professions concernées, ce qui n’avance guère. Il ajoute qu’elle « rassemble » celles-ci, sans que ce terme de « rassemblement » soit plus signifiant
que celui de « regroupement » utilisé dans le dispositif. L’expression « chacun des professionnels exerce les nouvelles compétences dès lors qu’il peut justifier de la détention de la qualification adéquate » est encore parfaitement obscure et absolument vide de sens.
L’étude d’impact est à peine plus explicite même si elle utilise le terme plus précis de « fusion » des trois professions. Les justifications d’une réforme aussi grave sont cependant avancées de façon superficielle, vague et abstraite sans le moindre commencement de démonstration de l’adéquation entre la réforme envisagée et les prétendus problèmes (non établis) qu’il faudrait résoudre.
Il est simplement observé que les commissaires-priseurs judiciaires, huissiers de justice et mandataires judiciaire « ont en commun de traiter des conséquences de la défaillance des débiteurs », « partagent une forte dimension humaine », « sont appelées à jouer un rôle socialement important pour des personnes confrontées à situations difficiles ». L’argument est un peu court et demeure confiné au stade des généralités pour ne pas dire des banalités. L’étude d’impact ajoute sans convaincre qu’au cours de la procédure de liquidation, « huissiers de justice et commissaires-priseurs sont également sollicités : les premiers pour accomplir la signification d’actes de justice par exemple ; les seconds pour dresser l’inventaire ou réaliser l’actif ». Voilà qui apparaît totalement insuffisant et impropre à motiver la fusion de trois professions radicalement différentes, aussi bien dans leurs statuts que dans leurs missions.
On relève également le caractère parfaitement contradictoire du projet de loi qui, d’une part réforme l’accès aux professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, d’autre part autorise le gouvernement à réformer la formation et le recrutement des administrateurs et mandataires judicaires par ordonnance, tout en l’habilitant cependant parallèlement à « fusionner » les trois professions, selon l’expression utilisée dans l’étude d’impact. L’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi est totalement ignoré. Comment peut-on dans le même temps réformer – et donc maintenir – un accès distinct à chacune des trois professions considérées tout en annonçant leur fusion ?
Il n’est juridiquement pas acceptable que le parlement délègue ainsi au gouvernement la détermination discrétionnaire de l’avenir et de l’organisation de professions étroitement associées à l’exercice du service public de la justice, sans la moindre justification ni le moindre encadrement de la délégation consentie et donc dans l’obscurité la plus totale. Pour ces motifs, les alinéas 1 et 3 de l’article 20 devraient être déclarés contraires à la Constitution.
On cherchera en vain la délimitation de l’objet de cette seconde habilitation et un quelconque exposé de sa finalité. Aucun début de justification n’est fourni à cette disposition brutale et péremptoire et l’on ignore tant les motifs de ce « regroupement » que la raison pour laquelle sa réalisation est déléguée au gouvernement au lieu d’être effectuée directement par voie législative.
Après avoir dans ses articles 13, 14, 15, 16, 17 et 18, lui-même fixé les nouvelles règles relatives à l’exercice et à l’accès aux professions d’avocat, de notaire, d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire et déterminé les modalités d’établissement de la cartographie des offices publics et ministériels, le projet de loi inflige un traitement discriminatoire aux professions d’administrateur et mandataire judiciaire en s’abstenant de légiférer directement sur leur cas pour déléguer au gouvernement le soin de déterminer leur avenir par voie d’ordonnance.
Cette étrange discrimination normative ne semble pouvoir s’expliquer - si l’on exclut l’hypothèse selon laquelle le destin de ces professions ne serait pas digne de l’intérêt des représentants de la Nation - que par une impréparation et une précipitation gouvernementales résultant d’une méconnaissance profonde de leur spécificité fonctionnelle et statutaire.
Il en résulte une différence de traitement normatif parfaitement injustifiée : pourquoi certaines professions bénéficient-elles d’une réforme législative immédiate alors que le sort d’autres métiers, pourtant étroitement associés au service public de la justice et à l’exercice de l’autorité judiciaire est renvoyé à une ordonnance future au contenu indéterminé, c’est-à--dire à une procédure opaque et inquiétante n’offrant aucune garantie ni aucune protection aux professionnels considérés ?
Si la loi d’habilitation est muette s’agissant de justifier la « fusion » des trois prétendues professions de l’exécution, c’est qu’il est impossible de trouver la moindre justification à cette idée saugrenue.
A ce jour, tous ceux qui ont exprimé un avis sur cette question l’ont fait soit en condamnant vigoureusement l’idée de profession unique soit en indiquant qu’il y avait lieu d’approfondir la réflexion.
C’est ainsi que la mission présidée par Cécile Untermaier et le rapport de Richard Ferrand concluent à la nécessité de poursuivre les investigations et la concertation alors que, s’agissant de missions parlementaires dont l’objet était précisément de mener ces investigations et cette concertation, le fait que les rapporteurs concluent à la nécessité de poursuivre la réflexion résonne en réalité comme un aveu de la difficulté à justifier cette réforme que pas un observateur avisé ne défend et au soutien de laquelle pas un seul argument pertinent n’a été avancé.
La seule antienne répétée à l’envi pour fonder cette idée de fusion tient dans l’idée qu’elle aurait été proposée par le rapport Darrois. Outre que cela est inexact, au sens où la commission Darrois n’a jamais repris cette idée dans ses conclusions mais n’a fait que l’évoquer sans la justifier ni la discuter le moins du monde , il est étonnant de revêtir la commission Darrois d’une autorité telle que la seule évocation de son nom vaudrait justification et légitimation d’une réforme qu’elle ne propose même pas.
La vérité est que, à ce jour, les deux études menées par les parlementaires Richard Ferrand et Cécile Untermaier expriment une grande perplexité face à ce projet de fusion qu’elles invitent à faire précéder d’études et de concertation, ce qui est un moyen d’affirmer qu’à l’issue de centaines d’auditions (et donc d’études et de concertation) l’utilité d’une telle réforme ne leur est pas apparue.
C’est ainsi que le rapport Ferrand exprime une grande perplexité à l’idée d’inclure les mandataires judiciaires dans la profession de l’exécution :
« Il ressort des auditions conduites par la mission avec les professions concernées que les métiers d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire d’une part, et d’administrateur judicaire d’autre part, ne sont pas fongibles.
En effet, les premiers agissent pour exécuter une décision de justice visant à régler une situation d’insolvabilité tandis que les seconds assurent, sur décision de justice, la gestion de procédures collectives. De plus, en première analyse, la complexité et la technicité de la réglementation en matière de gestion des procédures collectives plaident selon la mission pour leur exclusion du périmètre de cette profession.
Simultanément, la question de l’inclusion des mandataires judiciaires dans cette profession mériterait d’être expertisée ».
Cette conclusion de la nécessité d’expertiser l’inclusion des mandataires judiciaires dans la profession unique sonne comme un aveu de l’irréalisme de cette suggestion dès lors que c’était précisément la tâche confiée à. M. Richard Ferrand que de mener cette expertise. Le fait qu’il puisse conclure sa mission par le constat qu’il y a lieu de poursuivre les investigations démontre bien que les motifs qui fondent la réforme ne lui sont pas apparus.
Quant au rapport Untermaier, il n’est guère plus favorable :
« Beaucoup des personnes et organismes entendus par la mission l’ont montré : la création de la profession unique de l’exécution ne va pas de soi à brève échéance.
Ainsi, quoique représentant d’un ordre professionnel plutôt acquis à cette mesure, M. Jean-François Richard, vice-président de la Chambre nationale des huissiers de justice, indiquait au cours de son audition que la fusion des professions dans le cadre de la profession unique de l’exécution représentait, dans l’immédiat, une vue de l’esprit. Selon son analyse, on ne peut envisager l’émergence d’un nouveau professionnel qu’à moyen terme et ménager une période intermédiaire.
En droit et en fait, les professions d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de mandataire judiciaire présentent en effet des caractéristiques et des spécificités qui rendent difficilement envisageable, en l’état, une fusion pure et simple de leurs membres et de leurs organisations ».
Le seul argument avancé par ce rapport est tiré de l’insuffisance des effectifs d’AJMJ :
« Au regard de la contrainte que représente le faible nombre des professionnels, une grande profession de l’exécution pourrait être utile en ce qu’elle favoriserait la création, sur l’ensemble du territoire, d’un vivier plus large de professionnels habilités à intervenir dans les procédures de traitement des difficultés des entreprises.
En effet, en associant aux mandataires judiciaires l’effectif des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires, au nombre respectif de 3 256 et 400 titulaires d’offices au 1er janvier 2013, notre pays pourrait disposer de 3 962 professionnels en ce domaine, ce qui constitue le facteur d’une possible et utile mutualisation des compétences ».
Mais une telle justification est parfaitement irrecevable. Outre que l’article 20 I s’emploie d’ores et déjà à régler cette difficulté liée à l’insuffisance des effectifs des mandataires de justice, il n’est pas acceptable de renforcer lesdits effectifs en faisant entrer dans la profession des personnes qui n’ont aucune des compétences pour l’exercer, le métier d’huissier de justice ou de commissaire-priseur n’ayant absolument rien à voir avec le métier de mandataire judiciaire.
L’idée d’ouvrir le mandat de justice aux huissiers est aussi absurde que celle qui viserait à remédier à une pénurie de chirurgiens en fusionnant la profession de chirurgien avec celle d’infirmier ou de kiné…
Il est intéressant à cet égard de citer l’avis du Conseil d’Etat rendu sur ce projet de loi :
« Le Conseil d’Etat n’a pu souscrire à l’inclusion de la profession de mandataire judiciaire dans la nouvelle profession de l’exécution à laquelle serait confiée la mission de tirer les conséquences de la défaillance d’un débiteur et, en conséquence, de mettre en oeuvre les mesures d’exécution forcée à son encontre.
Les mandataires judiciaires, qui n’interviennent que sur mandat de justice et n’ont pas de clientèle, procèdent, non à des mesures d’exécution forcée, mais à la mise en oeuvre, dans le cadre des procédures collectives, des actes nécessaires au déroulement de la procédure à charge d’en rendre compte à la juridiction.
En outre, les trois professions concernées présentent des différences statutaires sensibles en droit interne (les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires ont la qualité d’officier public et ministériel que ne possèdent pas les mandataires judiciaires) comme dans le droit de l’Union (les officiers publics et ministériels sont exceptés de la liberté d’établissement par l’article 51 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du champ d’application de la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur).
Enfin, l’intégration des mandataires judiciaires dans la profession multifonctionnelle de commissaire de justice, méconnaîtrait les exigences d’indépendance des intéressés qui s’imposent tout particulièrement à eux dans l’exercice de leur mandat. La suppression, opérée en 1985, de la profession de syndic et la répartition de ses missions entre deux professions distinctes avaient précisément pour but de prévenir tout conflit d’intérêts en établissant une incompatibilité de la profession de mandataire judiciaire avec toute autre profession ».
On ne saurait mieux dire.
Aussi faut-il conclure que la nature et l’étendue de la mission, les compétences requises et le statut des mandataires et administrateurs judiciaires n’a rien de comparable avec ceux des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires, de sorte que ces différents métiers ne sauraient être fondus dans une profession commune sans mettre en péril l’indépendance des mandataires judiciaires en multipliant notamment les risques de conflits d’intérêts. Un tel regroupement irait à l’encontre de toute l’évolution du droit interne et européen qui, depuis plusieurs décennies, a été essentiellement mue par le souci d’assurer l’indépendance de la profession de mandataire judiciaire. Il s’agirait d’un incontestable recul dans la protection des droits et libertés constitutionnels.
Les textes successifs intervenus en matière de règlement des entreprises en difficulté ont, toujours montré la volonté constante du législateur français non seulement de maintenir, mais encore de renforcer l’existence d’une profession de mandataire de justice organisée de nature à garantir l'indépendance et la compétence des intervenants et à permettre un contrôle étroit et efficace sur leur activité. C’est en particulier au regard de cette préoccupation qu’a été adoptée la loi n°85-99 du 25 janvier 1985 qui a marqué le point d'orgue du processus de spécialisation et de professionnalisation des fonctions d'auxiliaire des procédures collectives. En scindant l'activité des syndics pour répartir ces missions entre deux professions incompatibles entre elles mais néanmoins complémentaires, celles d'administrateur judiciaire et de mandataire liquidateur. Le garde des sceaux Robert Badinter sous l’autorité duquel avait été préparé le texte avait observé qu' « au regard des principes, il n'est plus possible que dans une personne unique se concentrent et l'intérêt des créanciers et l'intérêt de l'entreprise ». Ainsi, comme n’a pas manqué de le souligner le Conseil d’Etat, le « modèle français » de procédures collectives a toujours comporté le choix de professions réglementées et contrôlées, s’exerçant dans le cadre strict d’un mandat de justice, sur le seul fondement des aptitudes professionnelles et des qualités morales des intéressés, constatées par un système d’examen par des jurys non corporatistes, sans monopole de droit, ni clientèle, ni système de concours à numerus clausus.
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