Déposé le 11 janvier 2016 par : Mme Attard, Mme Bonneton, M. Molac, M. Coronado, Mme Pompili.
Le livre Ier de la première partie du code de la propriété intellectuelle est complété par un titre IV ainsi rédigé :
« Titre IV
« Les Communs
« Art. L. 141‑1. – Relèvent du domaine commun informationnel :
« 1° Les informations, faits, idées, principes, méthodes, découvertes, dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une divulgation publique licite, notamment dans le respect du secret industriel et commercial et du droit à la protection de la vie privée ;
« 2° Les œuvres, dessins, modèles, inventions, bases de données, protégés par le code de la propriété intellectuelle, dont la durée de protection légale, à l'exception du droit moral des auteurs, a expiré ;
« 3° Les informations issues des documents administratifs diffusés publiquement par les personnes mentionnées à l'article 1 de la loi n°78‑753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal et dans les conditions précisées à l'article 7 de la même loi, sans préjudice des dispositions des articles 9, 10, 14 et 15 de ladite loi.
« Les choses qui composent le domaine commun informationnel sont des choses communes au sens de l'article 714 du code civil. Elles ne peuvent, en tant que telles, faire l'objet d'une exclusivité, ni d'une restriction de l'usage commun à tous, autre que l'exercice du droit moral.
« Les associations agréées ayant pour objet la diffusion des savoirs ou la défense des choses communes ont qualité pour agir aux fins de faire cesser toute atteinte au domaine commun informationnel. Cet agrément est attribué dans des conditions définies par un décret en Conseil d'État. Il est valable pour une durée limitée, et peut être abrogé lorsque l'association ne satisfait plus aux conditions qui ont conduit à le délivrer.
« Est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le fait de porter atteinte au domaine commun informationnel en cherchant à restreindre l'usage commun à tous.
« Art. L. 141‑2. – Le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle, de quelque nature que ce soit, peut autoriser l'usage commun d'un objet auquel ce doit est rattaché par le biais d'une manifestation de volonté à portée générale, à condition que celle-ci soit expresse, non équivoque et publique. Cette manifestation de volonté peut notamment prendre la forme d'une licence libre ou de libre diffusion. Elle ne peut être valablement insérée dans un contrat d'édition tel que défini à l'article L. 132‑1 du présent code.
« Le titulaire de droits est libre de délimiter l'étendue de cette autorisation d'usage commun pour la faire porter uniquement sur certaines des prérogatives attachées à son droit de propriété intellectuelle. L'objet de cette manifestation de volonté fait alors partie du domaine commun informationnel, tel que défini à l'article L. 141‑1, dans la mesure déterminée par le titulaire de droit.
« Cette faculté s'exerce sans préjudice des dispositions de l'article L. 121‑1 relatives à l'inaliénabilité du droit moral. »
L'inscription de contenus librement accessibles dans le régime de l'article 714 du Code civil a deux objectifs :
Premièrement, définir un droit positif de certaines données, telles que des œuvres d'art, qui constituent un patrimoine commun de l'humanité. Ces données sont régulièrement rendues inaccessibles par un usage abusif du droit, par exemple via le droit des marques ou le droit des bases de données, qui ne sont à l'origine pas prévus pour cet usage.
Deuxièmement, ces données, devenues considérablement plus accessibles par l'usage de réseaux informatiques, ont aujourd'hui une valeur encore plus grande. Il est crucial que cette valeur ne soit pas captée, et privatisée, par de grands groupes privés. Sous couvert de développement économique, cette privatisation entraîne au contraire un appauvrissement de notre économie. La valeur économique du domaine commun, et plus particulièrement ses effets bénéfiques sur l'innovation – notamment pour les plus petits acteurs – ont été démontrés.
Les pratiques d'appropriation se développent et compliquent ou interdisent de fait l'accès à des choses communes, notamment à travers ce que l'on appelle le “copyfraud” (la revendication illégitime de droits exclusifs sur une œuvre, accompagnée d'intimidations juridiques telles que des menaces de procès). Ainsi, la numérisation d'une œuvre du domaine public, ou même le simple fait de la photographier, sert régulièrement de justification pour revendiquer un droit d'auteur. Comme si photocopier un roman de Victor Hugo donnait de nouveaux droits au propriétaire du photocopieur.
Les exemples sont nombreux : Le département de la Dordogne a ainsi réclamé un droit d'auteur sur les reproductions de la grotte de Lascaux, 17 000 ans après la mort de ses créateurs. La BNF impose des licences d'utilisation commerciales pour des œuvres qui remontent à plusieurs siècles. Des cinéastes qui publient sur Youtube voient leur compte supprimé sous des plaintes fallacieuses de grands studios, alors qu'il s'agit de leur principale source de revenus.
Le copyfraud est une atteinte grave aux droits des créateurs d'aujourd'hui.
Il serait donc incohérent que les atteintes au domaine commun ne bénéficient pas d'une protection complète, avec la possibilité de réclamer des sanctions pénales contre les fautifs. L'ajout de sanctions pénales constitue une garantie d'effectivité pour le domaine commun informationnel et un moyen de dissuader les tentatives de copyfraud.
Par ailleurs, de nombreux artistes souhaitent aujourd'hui offrir leurs créations au plus grand nombre, sans aucune contrainte, pour enrichir le patrimoine commun de l'humanité. Aujourd'hui, ces artistes sont limités par le droit français, et sont obligés de passer par des solutions contractuelles de type Creative Commons. Cette forme de construction coopérative basée sur la contribution et le partage rassemble de nombreuses communautés d'échange et crée une nouvelle forme de richesse, aussi bien économique que sociale. La création d'un domaine commun volontaire garantirait une protection effective contre les réappropriations. Ainsi, comme le droit d'exploitation secondaire accordé aux chercheurs, le domaine commun volontaire serait un nouveau droit pour les auteurs, et plus largement, une nouvelle arme de défense face aux pressions qui peuvent résulter de la possibilité d'acquérir une exclusivité commerciale sur une œuvre. La création d'un article L. 141‑2 au code de la propriété intellectuelle permettrait donc d'ouvrir ce droit.
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