Déposé le 29 novembre 2016 par : M. Moreau.
Supprimer cet article.
L'article unique de cette proposition de loi veut instaurer une sanction pénale de 2 ans d'emprisonnement et 30.000 € d'amende contre ce que le Gouvernement qualifie « d'entrave numérique à l'IVG ».
A titre de comparaison, la conduite après usage de stupéfiants est passible de 4.500 euro d'amendes et 2 ans de prison.
Le présent article, ne donnant pas de définition claire des « allégations » ou des « indications » auquel il fait référence, est dangereux par sa généralité, ce qui pourrait d'ailleurs nourrir un grief d'inconstitutionnalité.
Il existe par ailleurs une grande différence de nature entre le fait d'entraver la réalisation d'un avortement et le fait de mettre une information, même différente de ce que souhaite l'actuelle majorité, à la disposition de celles et ceux qui recherchent une information sur Internet. L'avortement n'est pas un acte anodin puisqu'il met un terme définitif à une grossesse. Rappelons à ce titre que, juridiquement, seul le « droit à la vie » peut être qualifié de droit fondamental, notamment dans l'article 2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. La loi de 1974 inscrivait ainsi une dérogation à ce principe, notamment par l'article 16‑1 du Code civil qui dispose que « La loi (…) garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ».
Simone VEIL affirmait, en 1974, que « l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue ». Avec 218.000 IVG pour 810.000 naissances, l'exception est devenue une contraception banalisée.
Ce chiffre d'un 1 avortement pour 4 naissances marque l'échec des politiques de prévention depuis 40 ans. En attestent les 15.000 avortements réalisés par des jeunes filles mineures, tandis que le taux d'IVG chez les femmes de moins de 20 ans atteint 7,6 recours pour 1.000 femmes parmi les 15‑17 ans et 19,5 parmi les 18‑19 ans selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (2015).
C'est également Simone VEIL qui déclarait, toujours en 1974 : « Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme (…) : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes ».
Le Professeur Israël NISAND, que l'on peut difficilement qualifier d'intégrisme, a publié dans Libération une tribune dans laquelle il déclarait que « la meilleure IVG est celle que l'on peut éviter ».
Cet avis est partagé par une majorité de Français. Selon une étude IFOP de septembre 2016, 52 % des Français estiment que « le recours à l'avortement est préoccupant car avorter reste un acte que l'on préférerait éviter ».
Selon une étude IFOP de septembre 2016, cette perception reste la même : « l'avortement est une expérience qui laisse des séquelles : 89 % jugent qu'il laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes ».
Pourtant, les sites officiels du ministère de la Santé ne laissent que très peu de place à ces interrogations.
Dans une tribune dans Le Figaro du 29 septembre 2016, Dominique REYNIE relève que « sur le site du gouvernement, la possibilité de conséquences négatives de l'IVG est expédiée par un gynécologue avec une légèreté choquante ». Pourtant, un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l'Homme du 15 janvier 2013, « CSOMA contre Roumanie », indique que « les États ont l'obligation d'informer les femmes sur les risques liés à l'avortement ».
Aussi, nombreuses sont les femmes, mais également les hommes, qui s'interrogent légitimement sur la réalité, les risques et les conséquences de cet acte. Ne trouvant pas les réponses aux questions qu'ils se posent, la consultation de sites internet est, dès lors, un recours évident, gratuit et anonyme pour nos compatriotes.
Dominique REYNIE soulève également que, selon lui, « on ne trouve pas sur les sites pointés une hostilité à l'IVG ; (…) En ce qui concerne l'IVG, l'appel à la réflexion constitue désormais une opinion que ce gouvernement juge urgent de réduire au silence. Loin des précieux enjeux de santé, loin du légitime droit des femmes, le projet de créer un délit d'entrave numérique n'est que l'expression d'une radicalisation idéologique. C'est une nouvelle menace pour la liberté de penser. »
Par cette proposition de loi le Gouvernement, sous un aspect technique, ouvre en réalité un très dangereux précédent contre la liberté d'opinion et d'expression.
En effet, la mise en ligne d'informations différentes que celles des sites Internet officiels, sur des sites Internet (nommément cités par la Ministre) est assimilée au délit d'entrave prévu par le code de la santé punissant les agissements de ceux cherchant à empêcher une femme d'accéder à un hôpital, une clinique ou un établissement spécialisé pour pratiquer une IVG. La consultation d'un site internet présentant une information différente ne peut pas être comparée aux « commandos anti-IVG » des années 90 qui s'enchaînaient dans les hôpitaux.
Pour le Professeur de Droit Constitutionnel Bertrand MATHIEU, les critiques sont nombreuses : « instaurer un contrôle de l'objectivité de l'information sur le Web est très dangereux. ». Quand le texte évoque des « indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur », qui va contrôler cela ? Selon quels critères ?
« Une telle mesure aurait toutes les chances d'être jugée anticonstitutionnelle. Elle me semblerait clairement dépasser le contrôle que l'État peut exercer sur la liberté d'expression. On ne peut pas réserver un traitement spécifique à l'IVG sans que cela ait des conséquences beaucoup plus larges. À mon sens, pour qu'un site Internet tombe sous le coup de la loi pénale, sur la question précise de l'IVG, il faudrait par exemple qu'il exprime une incitation à faire obstruction à l'IVG, en appelant à une occupation de centres qui le pratiquent. »
Cet article créé ainsi un véritable délit d'opinion, contraire à l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ») ou encore à l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
Par ailleurs, la présente proposition de Loi occulte totalement les différents engagements internationaux, tels que la Conférence du Caire de 1994 (les gouvernements prennent l'engagement de « prendre des mesures appropriées pour aider les femmes à éviter l'avortement qui ne devrait en aucun cas être encouragé par une méthode de planification familiale » et à « réduire le recours à l'avortement »), la Conférence de Pékin (1995) qui vise à « réduire le recours à l'avortement », la résolution 1607 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe de 2008 (Les États doivent « promouvoir une attitude plus favorable à la famille dans les campagnes d'informations publiques et à fournir des conseils et un soutien concret pour aider les femmes qui demandent un avortement en raison de pressions familiales ou financières »).
Ces objectifs passent par une meilleure prise en charge, par la société, du libre choix des femmes confrontées à une grossesse non désirées.
Selon l'étude IFOP de septembre 2016, « 72 % des Français estiment que la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l'interruption volontaire de grossesse. »
En effet, une enquête de l'IFOP de 2010 indique que 47 % des Français estiment que c'est « la situation matérielle » qui est à l'origine des interruptions définitives de grossesses. Cette opinion est même partagée par 58 % des 18‑24 ans. Ces raisons devancent ainsi « l'avis du compagnon » (13 %), « l'avis des professionnels médico-sociaux » (12 %) ou de « l'entourage » (8 %).
Ceci pourrait passer, notamment, par l'ajout dans le livret officiel d'information remis aux femmes enceintes consultant en vue d'une IVG du détail des aides proposées aux femmes enceintes et aux jeunes mères. Selon l'IFOP, 84 % des Français se déclarent favorables à cette mesure.
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