Déposé le 21 décembre 2016 par : Mme Gaillard, Mme Alaux, Mme Bruneau, Mme Tallard, Mme Zanetti.
Titre préliminaire : « De l’éthique de l’abattage »
Après le premier alinéa de l’article L. 214‑3 du code rural et de la pêche maritime, est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Tout animal abattu dans un établissement d’abattage doit être rendu inconscient préalablement à la saignée ; cette perte de conscience doit être maintenue jusqu’à la mort de l’animal. »
Concrètement, lors de l’abattage rituel sans étourdissement préalable, les animaux subissent des souffrances supplémentaires à trois moments clefs : avant la saignée, au moment de la saignée et après la saignée. En effet, le délai d’attente des animaux pour être menés jusqu’au piège et mis en contention est allongé, donc source de stress supplémentaire, compte tenu des cris et des odeurs liés à la peur émis par les autres animaux.
Ensuite, la jugulation de l’animal pratiquée sans étourdissement provoque, ainsi que le démontrent les études scientifiques, un stimulus douloureux extrême dû à une section à vif des tissus cutanés, musculaires et vasculaires du cou ainsi que de la trachée et de l’œsophage sur un animal conscient. Or, il a été scientifiquement démontré qu’il n’est pas nécessaire que l’animal soit conscient au moment de la saignée pour obtenir une exsanguination complète de la carcasse et donc une viande propre à la consommation humaine.
Même réalisé dans le respect de toutes les préconisations qui l’encadrent, l’abattage sans étourdissement est également source de douleurs supplémentaires et évitables au cours de la période suivant la jugulation. La perte de conscience ne sera effective que lorsque la perte de sang aura été suffisante. Pendant toute cette période, l’animal ressent la douleur liée à la plaie de jugulation, à laquelle peut s’ajouter celle induite par l’inhalation de sang et/ou de contenu digestif. En outre, de faux-anévrismes qui provoquent l’obturation des vaisseaux peuvent entraver la saignée et ralentir la perte de conscience, donnant lieu à des manœuvres dites « correctives », qui sont elles aussi autant de sources de douleur supplémentaire.
De plus, les cadences imposées au personnel des abattoirs ne permettent pas toujours un contrôle de la perte de conscience effective de l’animal avant de le libérer du box de contention. L’inobservation de ce contrôle risque d’amener à suspendre des animaux encore conscients, leur causant traumatismes et souffrances inacceptables.
Mais bien au-delà de la pratique elle-même, l’abattage sans étourdissement suscite de vives polémiques parce qu’il serait à l’origine de nombreuses dérives pour des motifs purement économiques. Ainsi, en dépit des mesures prises pour prévenir tout détournement des règles en vigueur (autorisation préalable de mise en œuvre de la dérogation, obligation d’enregistrement des commandes ou des ventes nécessitant un abattage dérogatoire, formation et habilitation des sacrificateurs...), il s’avère que le nombre d’animaux abattus sans étourdissement est largement supérieur aux besoins des consommateurs de viandes consacrées et que ce surplus est réintroduit dans la filière conventionnelle. On estime ainsi à plus de 20 % le nombre d’animaux abattus selon des rites cultuels.
Ainsi, paradoxalement, les consommateurs juifs et musulmans se voient imposer une viande issue d’animaux ayant souffert, alors que cela pourrait être évité, au moment de leur abattage, ce qui est contraire à leurs préceptes religieux.
Enfin, la dérogation à l’obligation d’étourdissement préalable à l’abattage, qui vise uniquement à répondre aux besoins des consommateurs juifs et musulmans français, est également utilisée pour l’exportation, essentiellement vers les pays de confession musulmane du Maghreb, du Moyen-Orient et d’Asie. Selon les différentes sources auditionnées, 50 à 80 % du volume des viandes abattues rituellement seraient destinées au marché d’export.
Aujourd’hui, les risques à maintenir le dispositif réglementaire en l’état actuel sont importants, ne serait-ce qu’au niveau économique.
En effet, ébranlé par de sévères crises sanitaires, confronté aux récents scandales qui ont conduit à la fermeture temporaire d’abattoirs du Gard et des Pyrénées Atlantiques, le secteur de l’élevage ainsi que toute la filière viande sont victimes d’une défiance de plus en plus forte des consommateurs. Désormais, le respect du bien-être des animaux, tant au niveau de l’élevage que de l’abattage des animaux dont sont issues les viandes mises sur le marché, est un critère intervenant dans le choix de consommation, au même titre que la qualité et la traçabilité des produits qui sont proposés.
C’est pourquoi, il convient d’agir rapidement pour empêcher l’apparition, à l’aune de ces scandales, d’un amalgame entre consommation de viande et cruauté envers les animaux, voire d’un amalgame entre élevage d’animaux et maltraitance inacceptable. L’avenir de l’élevage français et de la filière viande et, plus généralement, de toutes les filières élaborant des produits d’origine animale en dépendent.
L’étourdissement réversible préalable pourrait éviter cet amalgame et, par voie de conséquence, permettre le maintien et le développement du marché d’exportation de la viande vers les pays de confession hébraïque ou musulmane.
Concernant l’abattage rituel, nombreux sont ceux de nos voisins européens qui ont étendu l’obligation d’étourdissement de l’animal. La Suède, la Norvège, l’Islande, la Suisse, le Lichtenstein, la Lettonie et la province d’Aland (Finlande) prescrivent l’étourdissement préalable de l’animal. Aux Pays-Bas, l’étourdissement de l’animal dans le cadre des abattages rituels sera obligatoire à partir du 1er janvier 2017. L’Espagne limite la dérogation à l’étourdissement préalable aux abattages rituels d’ovins. L’Allemagne et certaines provinces autrichiennes accordent cette même dérogation pour les abattages rituels dans la limite de certains quotas.
Ailleurs dans le monde, la Nouvelle Zélande interdit l’abattage rituel sur son territoire et l’Australie prohibe tout abattage sans étourdissement préalable.
Mais l’exemple à suivre, permettant de concilier l’ensemble des objectifs recherchés, y compris l’exportation des viandes vers les pays musulmans, vient sans doute d’Asie, et plus particulièrement de Malaisie. Dans ce pays de tradition musulmane, une certification halal, dite norme Jakim, a été édictée. Elle avalise le recours à l’étourdissement de l’animal par électronarcose ainsi que l’usage du pistolet mécanique non perforant. Reconnue au Moyen-Orient et en Asie, cette norme a permis à la Malaisie de conquérir ces marchés d’exportation de la viande.
Nous proposons donc d’imposer, dans tout abattage, un étourdissement préalable à la saignée, réversible ou non. Cette disposition entraîne de fait l’abrogation de l’alinéa 2 ainsi que des alinéas 6 à 11 de l’article R. 214‑70 du code rural et de la pêche maritime.
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