Intervention de Laurent Grandguillaume

Séance en hémicycle du 19 juillet 2016 à 15h00
Régulation responsabilisation et simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Grandguillaume, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, mes chers collègues, la régulation, la responsabilisation et la simplification du transport public particulier de personnes – T3P – sont au coeur des débats sur l’économie dite collaborative. Cette expression renferme différentes réalités : cela va de la start-up française, qui innove et s’inscrit dans une dynamique collaborative, à la multinationale, qui se développe sur la base de schémas d’optimisation fiscale et qui veut imposer au consommateur un monopole sectoriel en mettant en concurrence les travailleurs indépendants. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez beaucoup travaillé sur ces questions. Dans ce dernier exemple, on est loin de l’esprit collaboratif ! On retrouve ainsi ce paradoxe dans le transport public particulier de personnes, où les tensions entre les acteurs se manifestent régulièrement par des conflits. La question qui nous est posée collectivement, au-delà de nos différences, est de savoir comment réussir à concilier la révolution technologique et la protection des personnes – le progrès humain.

Les comportements des usagers se sont profondément modifiés avec le numérique, tout comme celui des collectivités territoriales. Les mutations technologiques accélèrent ces changements. Elles imposent de repenser régulièrement l’équilibre du secteur, le cadre juridique, la qualité de service pour les usagers et l’avenir de ceux qui travaillent au quotidien dans ce secteur. Ce débat sera un moment de vérité : peut-être y a-t-il, dans l’hémicycle, des libéraux libertariens qui ne veulent aucune règle, aucune régulation, aucune protection. Cela peut être un modèle de société ; ce n’est pas celui que je défends.

La généralisation et la facilitation de l’utilisation des réservations numériques – sur les applications de voitures de transport avec chauffeur, VTC, comme sur celles dévolues aux taxis – sont venues bouleverser l’activité du taxi et percuter le monopole de la maraude qui est la contrepartie de l’autorisation de stationnement. Sont venus ensuite de nombreux débats, ainsi que la loi Thévenoud de 2014. Face aux difficultés rencontrées sur le terrain, on ne peut pas se satisfaire d’une forme de Far West technologique ou d’une loi de la jungle sans aucune régulation ; en effet, il s’agit du domaine public. Si elle doit être accompagnée, l’innovation ne doit pas empêcher l’État – et les collectivités territoriales, dans le cadre de leurs compétences – de réguler cette activité. Le sujet pose également des questions de sécurité publique : l’arrestation d’hier montre qu’il faut vérifier l’honorabilité des chauffeurs. C’est la moindre des choses. J’ai vu que certains amendements visaient à supprimer cette condition ; nous en débattrons, mais je vous invite à faire en sorte que des vérifications soient opérées pour permettre aux consommateurs d’être en sécurité.

Le taxi n’est pas une profession du passé ; il doit se moderniser et s’adapter, mais partout dans le monde nous sommes accueillis par des chauffeurs. Serions-nous encore plus libéraux que les Américains ? À New York, c’est une autorité de régulation qui vérifie le nombre de bases présentes dans la ville, qui s’assure, par géolocalisation, du retour à la base, et qui attribue les autorisations de stationnement, y compris aux VTC. Pourquoi ne pourrions-nous pas, en France, défendre un modèle qui permette à la fois l’innovation et la protection des consommateurs ?

Le T3P est un secteur d’avenir – tourisme, croissance des aéroports, croissance démographique –, porteur de gisements d’emplois et répondant aux enjeux de la transition écologique. Nous y reviendrons car on peut aller plus loin encore. Le sens de la loi du 1eroctobre 2014 a été de rééquilibrer les contraintes pesant sur les différents acteurs, d’harmoniser certaines règles qui constituaient des distorsions de concurrence et de moderniser le droit et les outils tels que l’open data des taxis ou l’obligation d’avoir un terminal de paiement électronique – TPE. Le taxi a toutefois connu depuis 2014 une stagnation, voire un décrochage en 2015, les difficultés affectant en particulier l’Île-de-France. Il convient de distinguer les situations entre les grandes agglomérations et les zones rurales, qui ne présentent pas les mêmes problématiques. Il est donc essentiel de pacifier ce secteur et de donner de la visibilité aux acteurs en prenant des mesures de cohésion qui passent par la responsabilisation, la régulation et la simplification.

Un amendement vise à modifier le titre de la loi en enlevant le mot « simplification ». Mais croyez-vous normal qu’on soit aujourd’hui obligé, quand on est seul, de passer par un taxi ou par un VTC, alors que si l’on est un groupe – soit plus de deux personnes –, on peut passer par un transporteur public routier de personnes – LOTI ? On doit être le seul pays au monde à opérer cette distinction ! Il est essentiel de simplifier les choses en réduisant le nombre des statuts et de permettre une concurrence saine et loyale en créant une situation claire pour le consommateur. C’est tout le sens de cette proposition de loi.

Le 26 janvier 2016, le Premier ministre m’a confié une mission, que j’ai menée avec Alain Vidalies et Bernard Cazeneuve, ainsi qu’avec le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, pour la partie qui le concerne. J’ai préconisé plusieurs solutions immédiates.

Premièrement, le renforcement des contrôles : alors que plus de 25 000 véhicules – taxis, VTC, LOTI – ont été contrôlés, le nombre de délits constatés et de contraventions montre que les difficultés perdurent et qu’il faut poursuivre l’effort. L’exemple d’hier prouve qu’il est nécessaire de maintenir ces contrôles et d’assainir la situation. Il faut en particulier saluer les « Boers » qui font un travail très important sur le terrain, ainsi que les services de police et de gendarmerie.

Deuxièmement, la mise en place de cellules d’accompagnement des situations individuelles : plus de 500 dossiers ont été adressés à ces cellules, ce qui montre bien, contrairement à ce que j’ai pu entendre, que les difficultés sont réelles.

Troisièmement, l’envoi de lettres de mise en demeure aux plateformes qui se sont réfugiées derrière l’actuelle rédaction du code des transports pour ne pas envoyer les éléments rapidement au régulateur. C’est ce manque de coopération qui nous a poussés à soumettre au législateur cette proposition de loi : il faut remédier à cette situation intolérable. Pour cela, le régulateur doit disposer des instruments nécessaires pour opérer toutes les vérifications.

Un travail de concertation a été mené avec tous les acteurs. Des centaines d’heures ont été consacrées à des auditions et à des réunions de travail avec les VTC, les LOTI, les taxis et les plateformes numériques. Chacun a été associé au débat et a pu apporter sa contribution. Certains ne sont pas d’accord avec cette proposition de loi ; c’est assez logique, car ils n’ont même pas répondu aux lettres de mise en demeure qui leur ont été adressées par le Gouvernement.

Bien entendu, ceux-là peuvent toujours se réfugier derrière telle ou telle déclaration ; j’ai même vu que certaines plateformes ont dépensé des centaines de milliers d’euros pour acquérir de pleines pages de publicité dans la presse. En tant que parlementaire, je n’ai pas les mêmes moyens – et c’est heureux – : je ne peux acheter des pages entières de publicité dans les journaux, ni inviter mes collègues à des déjeuners dans tel ou tel restaurant à proximité de l’Assemblée. Ce que je peux faire, en revanche, c’est me présenter devant vous pour m’exprimer dans le cadre du débat parlementaire sur un texte qui deviendra une loi de la République.

Nous allons donc débattre ici de cette question de manière sereine et dans un esprit de responsabilité. Cette proposition de loi vise en effet à responsabiliser les acteurs. On ne peut pas prétendre être uniquement un intermédiaire, mettant simplement en relation les chauffeurs et les consommateurs, on ne peut pas dire que l’on n’organise pas des transports, et en même temps participer de manière continue aux débats qui concernent le secteur ! Tous les acteurs concernés doivent donc être reconnus comme des centrales de réservation, qu’il s’agisse de centrales de taxi, de VTC, ou de centrales radio : chacun doit avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Se pose ensuite la question de la simplification des statuts : taxis, VTC, LOTI… Il est essentiel d’en revenir à une concurrence saine et loyale entre taxis et VTC, avec des règles partagées. Il faut une période de transition permettant aux chauffeurs qui le souhaitent de continuer à faire du transport occasionnel, grâce à une équivalence qui existe déjà, à partir de douze mois d’activité. Les chauffeurs LOTI qui veulent faire du transport occasionnel pourront donc devenir VTC à la faveur de cette période de transition prévue par la proposition de loi.

Comme le disait très justement Jean Jaurès, « le courage, c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe ». Prétendre que cette proposition de loi conduirait à la suppression de 70 000 emplois est précisément un de ces « mensonges qui passent » ! Au début, on a prétendu qu’elle détruirait 10 000 emplois, puis 15 000, aujourd’hui 70 000 : la semaine prochaine, il sera peut-être question de 150 000 emplois ! Franchement, ce n’est pas responsable, car la période de transition que j’ai évoquée vise à prendre en compte toutes les situations ; les chauffeurs qui veulent continuer à travailler dans le transport occasionnel pourront le faire grâce à la reconnaissance de leurs compétences et de leur expérience.

Cette proposition de loi permettra par ailleurs d’interdire les clauses d’exclusivité, afin que les chauffeurs puissent travailler avec différentes plateformes. C’est une mesure en direction d’une concurrence libre et non faussée : j’espère que ceux qui appellent habituellement une telle concurrence de leurs voeux la soutiendront.

D’autres dispositions portaient sur l’organisation du tronc commun d’examen, qui sera confiée aux chambres des métiers et de l’artisanat. Ces dispositions figuraient à l’article 6 de cette proposition de loi, article qui a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. J’espère que le Gouvernement présentera à nouveau ces éléments par voie d’amendement, afin de les réintégrer au texte.

J’espère que notre débat permettra à la fois d’apaiser la situation, de moderniser le secteur, et d’assurer, par la régulation, la protection du consommateur.

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