Marc Goua et moi-même avons été incités à faire le point sur la situation d'EDF et de la filière nucléaire, d'une part, par la mise en lumière ces derniers mois d'un certain nombre de données concernant l'entreprise publique et, d'autre part, par l'évolution du contexte énergétique en France et dans le monde. Nos travaux prennent bien entendu en compte le cadre législatif existant – à savoir la loi relative à la transition énergétique –, qui est susceptible d'évoluer éventuellement à l'avenir.
Chacun a en tête la démission du directeur financier d'EDF en mars dernier, la dégradation de la note de l'entreprise publique par trois agences financières ainsi que la baisse de ses résultats : son résultat d'exploitation, qui s'établissait aux alentours de 8 milliards d'euros sur la période 2011-2014, a été de 4 milliards d'euros en 2015 et le résultat net part du groupe est tombé de près de 4 milliards à 1 milliard d'euros.
Au-delà de l'ouverture à la concurrence – qui affecte aujourd'hui 60 % du chiffre d'affaires du groupe contre 20 % en 2014 –, EDF est confronté à la faiblesse durable du cours de l'électricité qui, depuis le début de l'année, a chuté de 29 % en France. Cette situation est due à la conjonction de plusieurs facteurs : la baisse généralisée du prix des combustibles fossiles, notamment le charbon et le pétrole ; la diminution du prix des droits d'émission de dioxyde de carbone ; enfin, la surcapacité des moyens de production en électricité, compte tenu de l'arrivée sur le marché d'importantes quantités d'énergie renouvelable fortement subventionnée. Dès lors, se pose la question de savoir comment répondre aux besoins de prévisibilité et d'investissements d'EDF à moyen et long terme.
En France, plusieurs textes législatifs, qui régissent l'ouverture à la concurrence de la production et de la fourniture d'électricité, donnent un certain nombre de moyens à l'État : la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME) et la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Encore faut-il que ces moyens d'action soient utilisés de manière appropriée. Or, tel n'a pas été le cas ces dernières années, sous des majorités différentes, s'agissant de la fixation des tarifs réglementés de vente de l'électricité puisque les recommandations de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ne sont pas suivies par le Gouvernement, qui est régulièrement sanctionné par la juridiction administrative. Il faut aujourd'hui apurer un passif d'autant plus préjudiciable à EDF qu'il atteint, pour les seuls tarifs réglementés, un montant significatif de 1,85 milliard d'euros, auquel s'ajoute celui dû au titre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Lors de la dernière loi de finances, l'évolution du compte d'affectation spéciale Transition énergétique a permis d'apporter un début de réponse, mais cela doit être confirmé à l'avenir.
Il conviendrait également d'adapter le tarif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). En effet, ce tarif avait un sens à une époque où le tarif d'accès au marché était supérieur au coût de production de l'électricité nucléaire, mais tel n'est plus le cas aujourd'hui. De fait, le dispositif n'a pas été défini pour faire face à l'évolution des marchés telle qu'elle s'est produite.
Enfin, il faut envisager la création de nouveaux dispositifs de tarification et de soutien qui correspondent mieux aux besoins d'investissement dans les énergies décarbonées, parmi lesquelles l'énergie nucléaire. Cela implique une réforme du système de fixation du prix du carbone – par l'instauration d'un prix plancher ou d'une taxe différentielle – et, en s'inspirant éventuellement des termes de l'accord conclu entre EDF et le gouvernement britannique, l'institution de mécanismes de soutien sur le modèle du dispositif conçu pour soutenir le développement des capacités de production faisant appel aux énergies non-carbonnées au Royaume-Uni.
La trajectoire d'EDF est évidemment affectée par la loi relative à la transition énergétique – sur laquelle Marc Goua et moi-même ne portons pas la même appréciation –, loi dont la mise en oeuvre est complexe et nécessitera, dans les années qui viennent, un certain nombre de précisions de la part du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. À ce jour, les documents relatifs à la programmation pluriannuelle de l'énergie ne portent que sur les énergies renouvelables. Ainsi, à moins de pratiquer par soustraction – mais la méthode n'est ni satisfaisante ni transparente –, la stratégie nucléaire n'est pas lisible. Or, compte tenu du mix électrique tel qu'il existe dans notre pays, la programmation pluriannuelle définie par le Gouvernement doit comprendre explicitement des lignes directrices pour le secteur nucléaire.
Pour EDF, les investissements relatifs au « Grand carénage » représenteraient 51 milliards d'euros, dont 10 milliards au titre des travaux prescrits par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à la suite de l'accident de Fukushima. Ce cadrage doit être explicité et assumé par l'État. Celui-ci, quelle que soit l'évolution du capital, joue un rôle si déterminant dans la gouvernance d'EDF qu'il ne peut pas ne pas prendre explicitement position au sujet du « Grand carénage » et de l'anticipation de la construction d'une trentaine de nouveaux réacteurs d'ici à 2050. Cela exige des décisions publiques qui n'apparaissent pas dans les programmations prévues par la loi.
Par ailleurs, se pose, à propos de la fermeture de Fessenheim, la question de la réparation du préjudice du fait des lois. Nous avons évalué ce préjudice aux environs de 4 milliards d'euros, mais ce montant peut varier en raison des incertitudes sur l'évolution du prix de l'électricité à moyen et long terme. Notre évaluation est en tout cas très éloignée des 80 à 100 millions d'euros évoqués par la ministre de l'écologie, qui n'a pas répondu au courrier que nous lui avons adressé pour lui demander ses éléments de calcul. Quoi qu'il en soit, nous jugeons indispensable que cette évaluation se fasse selon un « calcul financier objectivable », comme l'a d'ailleurs indiqué le ministre de l'économie.
Actuellement, l'État détient près de 85 % des parts du capital d'EDF. Or, nos travaux confirment l'absence d'un réel arbitrage de sa part entre une politique énergétique de long terme, qui nécessite des investissements lourds, et la protection du pouvoir d'achat des consommateurs. De même, on peut considérer que l'État actionnaire a trop sollicité les dividendes de l'entreprise, qui ne peut pas être sa vache à lait. Toutefois, au printemps dernier, le Gouvernement a annoncé, d'une part, une augmentation de capital de 4 milliards d'euros dont 3 milliards d'euros seront souscrits par l'État et, d'autre part, la perception de dividendes dus pour l'exercice 2015 sous forme de titres, ce qui équivaut à une augmentation de capital de 1,8 milliard d'euros et la reconduction de cette décision pour 2016 et 2017. Ces deux décisions sont tout à fait pertinentes.
S'agissant de la gouvernance, nous jugeons nécessaire de renforcer le rôle de l'Agence des participations de l'État (APE) et de mieux impliquer le Parlement. À ce propos, nous déplorons que les dispositions législatives qui permettraient que celui-ci fût représenté au conseil d'administration d'EDF ne présentent qu'un caractère facultatif dans leur application. Par ailleurs, il serait judicieux qu'un mécanisme d'alerte permette une meilleure information du Parlement en cas de dégradation significative de la situation d'une entreprise stratégique.